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fournisseur breveté de Marie-Thérèse, après avoir bien cherché à Paris,

finit par n'en pas trouver une seule, ce qui fait plus d'honneur à la

franchise qu'à la vertu de nos _filles d'opéra_, comme on disait alors.

Ainsi Marie-Thérèse voulait donner à l'amusement qu'elle prenait à tout

ceci un prétexte édifiant et digne de la majesté bienfaisante de son

caractère. Les monarques posent toujours, et les grands monarques plus

peut-être que tous les autres; le Porpora le disait sans cesse, et il ne

se trompait pas. La grande impératrice, zélée catholique, mère de famille

exemplaire, n'avait aucune répugnance à causer avec une prostituée, à la

catéchiser, à provoquer ses étranges confidences, afin d'avoir la gloire

d'amener une Madeleine repentante aux pieds du Seigneur. Le trésor

particulier de Sa Majesté, placé entre le vice et la contrition, rendait

nombreux et infaillibles ces miracles de la grâce entre les mains de

l'impératrice. Ainsi Corilla pleurante et prosternée, sinon en personne

(je doute qu'elle pût rompre son farouche caractère à cette comédie), mais

par procuration passée à M. de Kaunitz, qui se portait caution de sa vertu

nouvelle, devait l'emporter infailliblement sur une petite fille décidée,

fière et forte comme l'immaculée Consuelo. Marie-Thérèse n'aimait, dans ses

protégés dramatiques, que les vertus dont elle pouvait se dire l'auteur.

Les vertus qui s'étaient faites ou gardées elles-mêmes ne l'intéressaient

pas beaucoup; elle n'y croyait pas comme sa propre vertu eût dû la porter

à y croire. Enfin, l'attitude de Consuelo l'avait piquée; elle l'avait

trouvée esprit fort et raisonneuse. C'était trop de présomption et

d'outre-cuidance de la part d'une petite bohémienne, que de vouloir être

estimable et sage sans que l'impératrice s'en mêlât. Lorsque M. de Kaunitz,

qui feignait d'être très impartial tout en desservant l'une au profit

de l'autre, demanda à Sa Majesté si elle avait agréé la supplique de

_cette petite_, Marie-Thérèse répondit: «Je n'ai pas été contente de ses

principes; ne me parlez plus d'elle.» Et tout fut dit. La voix, la figure

et jusqu'au nom de la Porporina furent même complètement oubliés.

Un seul mot avait été nécessaire et en même temps péremptoire pour

expliquer au Porpora la cause de la disgrâce où il se trouvait enveloppé.

Consuelo avait été obligé de lui dire que sa position de demoiselle

paraissait inadmissible à l'impératrice. «Et la Corilla? s'était écrié

le Porpora en apprenant l'admission de cette dernière, est-ce que Sa

Majesté vient de la marier?--Autant que j'ai pu le comprendre, ou le

deviner dans les paroles de Sa Majesté, la Corilla passe ici pour veuve.

--Oh! trois fois veuve, dix fois, cent fois veuve, en effet! disait le

Porpora avec un rire amer. Mais que dira-t-on quand on saura ce qu'il en

est, et quand on la verra procéder ici à de nouveaux et innombrables

veuvages? Et cet enfant dont on m'a parlé, qu'elle vient de laisser auprès

de Vienne, chez un chanoine; cet enfant, qu'elle voulait faire accepter au

comte Zustiniani, et que le comte Zustiniani lui a conseillé de recommander

à la tendresse paternelle d'Anzoleto?--Elle se moquera de tout cela avec

ses camarades; elle le racontera, suivant sa coutume, dans des termes

cyniques, et rira, dans le secret de son alcôve, du bon tour qu'elle a joué

à l'impératrice.--Mais si l'impératrice apprend la vérité?--L'impératrice

ne l'apprendra pas. Les souverains sont entourés, je m'imagine, d'oreilles

qui servent de portiques aux leurs propres. Beaucoup de choses restent

dehors, et rien n'entre dans le sanctuaire de l'oreille impériale que ce

que les gardiens ont bien voulu laisser passer.--D'ailleurs, reprenait le

Porpora, la Corilla aura toujours la ressource d'aller à confesse, et ce

sera M. de Kaunitz qui sera chargé de faire observer la pénitence.»

Le pauvre maestro exhalait sa bile dans ces âcres plaisanteries; mais

il était profondément chagrin. Il perdait l'espoir de faire représenter

l'opéra qu'il avait en portefeuille, d'autant plus qu'il l'avait écrit

sur un libretto qui n'était pas de Métastase, et que Métastase avait le

monopole de la poésie de cour. Il n'était pas sans quelque pressentiment

du peu d'habileté que Consuelo avait mis à capter les bonnes grâces de la

souveraine, et il ne pouvait s'empêcher de lui en témoigner de l'humeur.

Pour surcroît de malheur, l'ambassadeur de Venise avait eu l'imprudence,

un jour qu'il le voyait enflammé de joie et d'orgueil pour le rapide

développement que prenait entre ses mains l'intelligence musicale de Joseph

Haydn, de lui apprendre toute la vérité sur ce jeune homme, et de lui

montrer ses jolis essais de composition instrumentale, qui commençaient à

circuler et à être remarqués chez les amateurs. Le maestro s'écria qu'il

avait été trompé, et entra dans une fureur épouvantable. Heureusement

il ne soupçonna pas que Consuelo fût complice de cette ruse, et M. Corner,

voyant l'orage qu'il avait provoqué, se hâta de prévenir ses méfiances à

cet égard par un bon mensonge. Mais il ne put empêcher que Joseph fût

banni pendant plusieurs jours de la chambre du maître; et il fallut tout

l'ascendant que sa protection et ses service lui donnaient sur ce dernier,

pour que l'élève rentrât en grâce. Porpora ne lui en garda pas moins

rancune pendant longtemps, et l'on dit même qu'il se plut à lui faire

acheter ses leçons par l'humiliation d'un service de valet plus minutieux

et plus prolongé qu'il n'était nécessaire, puisque les laquais de

l'ambassadeur étaient à sa disposition. Haydn ne se rebuta pas, et, à force

de douceur, de patience et de dévouement, toujours exhorté et encouragé par

la bonne Consuelo, toujours studieux et attentif à ses leçons, il parvint à

désarmer le rude professeur et à recevoir de lui tout ce qu'il pouvait et

voulait s'assimiler.

Mais le génie d'Haydn rêvait une route différente de celle qu'on avait

tentée jusque-là, et le père futur de la symphonie confiait à Consuelo

ses idées sur la partition instrumentale développée dans des proportions

gigantesques. Ces proportions gigantesques, qui nous paraissent si simples

et si discrètes aujourd'hui, pouvaient passer, il y a cent ans, pour

l'utopie d'un fou aussi bien que pour la révélation d'une nouvelle ère

ouverte au génie. Joseph doutait encore de lui-même, et ce n'était pas sans

terreur qu'il confessait bien bas à Consuelo l'ambition qui le tourmentait.

Consuelo en fut aussi un peu effrayée d'abord. Jusque-là, l'instrumentation

n'avait eu qu'un rôle secondaire, ou, lorsqu'elle s'isolait de la voix

humaine, elle agissait sans moyens compliqués. Cependant il y avait tant de

calme et de douceur persévérante chez son jeune confrère, il montrait dans

toute sa conduite, dans toutes ses opinions une modestie si réelle et une

recherche si froidement consciencieuse de la vérité, que Consuelo, ne

pouvant se décider à le croire présomptueux, se décida à le croire sage et

à l'encourager dans ses projets. Ce fut à cette époque que Haydn composa

une sérénade à trois instruments, qu'il alla exécuter avec deux de ses amis