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sentit si émue qu'elle eut peine à ouvrir la scène d'Ismène avec Bérénice,

qui commence par ces mots:

No; tullo, o Berenice,

Tu non apri il tuo cor, etc.[1]

[Note 1: Non, Bérénice, tu n'ouvres pas ici franchement ton coeur.]

A quoi Corilla répondit par ceux-ci:

«E ti par poco,

«Quel che sai de miei casi?»[2]

[Note 2: Ce que tu sais de mes aventures te paraît-il donc peu de chose?]

En cet endroit, la Corilla fut interrompue par un grand éclat de rire de

Caffariello; et, se tournant vers lui avec des yeux étincelants de colère:

«Que trouvez-vous donc là de si plaisant? lui demanda-t-elle.

--Tu l'as très-bien dit, ma grosse Bérénice, répondit Caffariello en riant

plus fort; on ne pouvait pas le dire plus sincèrement.

--Ce sont les paroles qui vous amusent? dit Holzbaüer, qui n'eût pas été

fâché de redire à Métastase les plaisanteries du sopraniste sur ses vers.

--Les paroles sont belles, répondit sèchement Caffariello, qui connaissait

bien le terrain; mais leur application en cette circonstance est si

parfaite, que je ne puis m'empêcher d'en rire.»

Et il se tint les côtes, en redisant au Porpora:

«E ti par poco,

Quel che sai di _tanti_ casi?»

La Corilla, voyant quelle critique sanglante renfermait cette allusion à

ses moeurs, et tremblante de colère, de haine et de crainte, faillit

s'élancer sur Consuelo pour la défigurer; mais la contenance de cette

dernière était si douce et si calme, qu'elle ne l'osa pas. D'ailleurs, le

faible jour qui pénétrait sur le théâtre venant à tomber sur le visage de

sa rivale, elle s'arrêta frappée de vagues réminiscences et de terreurs

étranges. Elle ne l'avait jamais vue au jour, ni de près, à Venise. Au

milieu des douleurs de l'enfantement, elle avait vu confusément le petit

Zingaro Bertoni s'empresser autour d'elle, et elle n'avait rien compris

à son dévouement. En ce moment, elle chercha à rassembler ses souvenirs,

et, n'y réussissant pas, elle resta sous le coup d'une inquiétude et d'un

malaise qui la troublèrent durant toute la répétition. La manière dont la

Porporina chanta sa partie ne contribua pas peu à augmenter sa méchante

humeur, et la présence du Porpora, son ancien maître, qui, comme un juge

sévère, l'écoutait en silence et d'un air presque méprisant, lui devint

peu à peu un supplice véritable. M. Holzbaüer ne fut pas moins mortifié

lorsque le maestro déclara qu'il donnait les mouvements tout de travers;

et il fallut bien l'en croire, car il avait assisté aux répétitions que

Hasse lui-même avait dirigées à Dresde, lors de la première mise en scène

de l'opéra. Le besoin qu'on avait d'un bon conseil fit céder la mauvaise

volonté et imposa silence au dépit. Il conduisit toute la répétition,

apprit à chacun son devoir, et reprit même Caffariello, qui affecta

d'écouter ses avis avec respect pour leur donner plus de poids vis-à-vis

des autres. Caffariello n'était occupé qu'à blesser la rivale impertinente

de madame Tesi et rien ne lui coûtait ce jour-là pour s'en donner le

plaisir, pas même un acte de soumission et de modestie. C'est ainsi que,

chez les artistes comme chez les diplomates, au théâtre comme dans le

cabinet des souverains, les plus belles et les plus laides choses ont leurs

causes cachées infiniment petites et frivoles.

En rentrant après la répétition, Consuelo trouva Joseph tout rempli d'une

joie mystérieuse; et quand ils purent se parler, elle apprit de lui que le

bon chanoine était arrivé à Vienne; que son premier soin avait été de faire

demander son cher Beppo, et de lui donner un excellent déjeuner, tout en

lui faisant mille tendres questions sur son cher Bertoni. Ils s'étaient

déjà entendus sur les moyens de nouer connaissance avec le Porpora, afin

qu'on pût se voir en famille, honnêtement et sans cachotteries. Dès le

lendemain, le chanoine se fit présenter comme un protecteur de Joseph

Haydn, grand admirateur du maestro, et sous le prétexte de venir le

remercier des leçons qu'il voulait bien donner à son jeune ami, Consuelo

eut l'air de le saluer pour la première fois, et, le soir, le maestro et

ses deux élèves dînèrent amicalement chez le chanoine. A moins d'afficher

un stoïcisme dont les musiciens de ce temps-là, même les plus grands, ne

se piquaient guère, il eût été difficile au Porpora de ne pas se prendre

subitement d'affection pour ce brave chanoine qui avait une si bonne table

et qui appréciait si bien ses ouvrages. On fit de la musique après dîner,

et l'on se vit ensuite presque tous les jours.

Ce fut encore là un adoucissement à l'inquiétude que le silence d'Albert

commençait à donner à Consuelo. Le chanoine était d'un esprit enjoué,

chaste en même temps que libre, exquis à beaucoup d'égards, juste et

éclairé sur beaucoup d'autres points. En somme, c'était un ami excellent

et un homme parfaitement aimable. Sa société animait et fortifiait le

maestro; l'humeur de celui-ci en devenait plus douce, et, partant,

l'intérieur de Consuelo plus agréable.

Un jour qu'il n'y avait pas de répétition (on était à l'avant-veille de la

représentation d'_Antigono_), le Porpora étant allé à la campagne avec un

confrère, le chanoine proposa à ses jeunes amis d'aller faire une descente

au prieuré pour surprendre ceux de ses gens qu'il y avait laissés, et voir

par lui-même, en tombant sur eux comme une bombe, si la jardinière soignait

bien Angèle, et si le jardinier ne négligeait pas le volkameria. La partie

fut acceptée. La voiture du chanoine fut bourrée de pâtés et de bouteilles,

(car on ne pouvait pas faire un voyage de quatre lieues sans avoir quelque

appétit), et l'on arriva au bénéfice après avoir fait un petit détour et

laissé la voiture à quelque distance pour mieux ménager la surprise.

Le volkameria se portait à merveille; il avait chaud, et ses racines

étaient fraîches. Sa floraison s'était épuisée au retour de la froidure,

mais ses jolies feuilles tombaient sans langueur sur son tronc dégagé. La

serre était bien tenue, et les chrysanthèmes bleus bravaient l'hiver et

semblaient rire derrière le vitrage. Angèle, suspendue au sein de la

nourrice, commençait à rire aussi, quand on l'excitait par des minauderies;

et le chanoine décréta fort sagement qu'il ne fallait pas abuser de cette

bonne disposition, parce que le rire forcé, provoqué trop souvent chez

ces petites créatures, développait en elles le tempérament nerveux mal à

propos.

On en était là, on causait librement dans la jolie maisonnette du

jardinier; le chanoine, enveloppé dans sa douillette fourrée, se chauffait

les tibias devant un grand feu de racines sèches et de pommes de pin;

Joseph jouait avec les beaux enfants de la belle jardinière, et Consuelo,

assise au milieu de la chambre, tenait Angèle dans ses bras et la

contemplait avec un mélange de tendresse et de douleur. Il lui semblait

que cet enfant lui appartenait plus qu'à tout autre, et qu'une mystérieuse