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la consoler, elle se calma et devint d'une pâleur bleuâtre. Ses lèvres

contractées gardèrent un morne silence, et ses yeux éteints fixés sur la

terre ne se relevèrent pas. Elle se laissa pourtant reconduire jusqu'à

sa voiture qui l'attendait à la grille, et y monta soutenue par sa rivale,

sans lui dire un seul mot.

«Vous êtes bien mal? lui dit Consuelo, effrayée de l'altération de ses

traits. Laissez-moi vous accompagner un bout de chemin, je reviendrai à

pied.»

La Corilla, pour toute réponse, la repoussa brusquement, puis la regarda

un instant avec une expression impénétrable. Et tout à coup, éclatant

en sanglots, elle cacha son visage dans une de ses mains, en faisant,

de l'autre, signe à son cocher de partir et en baissant le store de la

voiture entre elle et sa généreuse ennemie.

Le lendemain, à l'heure de la dernière répétition de l'_Antigono_,

Consuelo était à son poste et attendait la Corilla pour commencer. Cette

dernière envoya son domestique dire qu'elle arriverait dans une demi-heure.

Caffariello la donna à tous les diables, prétendit qu'il n'était point aux

ordres d'une pareille péronnelle, qu'il ne l'attendrait pas, et fît mine

de s'en aller. Madame Tesi, pâle et souffrante, avait voulu assister à la

répétition pour se divertir aux dépens de la Corilla; elle s'était fait

apporter un sofa de théâtre, et, allongée dessus, derrière cette première

coulisse, peinte en rideau replié, qu'en style de coulisse précisément

on appelle _manteau d'arlequin_, elle calmait son ami, et s'obstinait

à attendre Corilla, pensant que c'était pour éviter son contrôle

qu'elle hésitait à paraître. Enfin, la Corilla arriva plus pâle et

plus languissante que madame Tesi elle-même, qui reprenait ses couleurs

et ses forces en la voyant ainsi. Au lieu de se débarrasser de son

mantelet et de sa coiffe avec les grands mouvements et l'air dégagé qu'elle

se donnait de coutume, elle se laissa tomber sur un trône de bois doré

oublié au fond de la scène, et parla ainsi à Holzbaüer d'une voix éteinte:

«Monsieur le directeur, je vous déclare que je suis horriblement malade,

que je n'ai pas de voix, que j'ai passé une nuit affreuse... (Avec qui?

demanda languissamment la Tesi à Caffariello.) Et que pour toutes ces

raisons, continua la Corilla, il m'est impossible de répéter aujourd'hui

et de chanter demain, à moins que je ne reprenne le rôle d'Ismène, et que

vous ne donniez celui de Bérénice à une autre.

--Y songez-vous, Madame? s'écria Holzbaüer frappé comme d'un coup de

foudre. Est-ce à la vieille de la représentation, et lorsque la cour en

a fixé l'heure, que vous pouvez alléguer une défaite? C'est impossible,

je ne saurais en aucune façon y consentir.

--Il faudra bien que vous y consentiez, répliqua-t-elle en reprenant sa

voix naturelle, qui n'était pas douce. Je suis engagée pour les seconds

rôles, et rien dans mon traité, ne me force à faire les premiers. C'est

un acte d'obligeance qui m'a portée à les accepter au défaut de la signora

Tesi, et pour ne pas interrompre les plaisirs de la cour. Or, je suis trop

malade pour tenir ma promesse, et vous ne me ferez point chanter malgré

moi.

--Ma chère amie, on te fera chanter _par ordre_, reprit Caffariello, et tu

chanteras mal, nous y étions préparés. C'est un petit malheur à ajouter à

tous ceux que tu as voulu affronter dans ta vie; mais il est trop tard

pour t'en repentir. Il fallait faire tes réflexions un peu plus tôt. Tu as

trop présumé de tes moyens. Tu feras _fiasco_; peu nous importe, à nous

autres. Je chanterai de manière à ce qu'on oublie que le rôle de Bérénice

existe. La Porporina aussi, dans son petit rôle d'Ismène, dédommagera le

public, et tout le monde sera content, excepté toi. Ce sera une leçon dont

tu profiteras, ou dont tu ne profiteras pas, une autre fois.

--Vous vous trompez beaucoup sur mes motifs de refus, répondit la Corilla

avec assurance. Si je n'étais malade, je chanterais peut-être le rôle aussi

bien qu'_une autre_; mais comme je ne peux pas le chanter, il y a quelqu'un

ici qui le chantera mieux qu'on ne l'a encore chanté à Vienne, et cela pas

plus tard que demain. Ainsi la représentation ne sera pas retardée, et je

reprendrai avec plaisir mon rôle d'Ismène, qui ne me fatigue point.

--Vous comptez donc, dit Holzbaüer surpris, que madame Tesi se trouvera

assez rétablie demain pour chanter le sien?

--Je sais fort bien que madame Tesi ne pourra chanter de longtemps, dit la

Corilla à haute voix, de manière à ce que, du trône où elle se prélassait,

elle pût être entendue de la Tesi, étalée sur son sofa à dix pas d'elle,

voyez comme elle est changée! sa figure est effrayante. Mais je vous ai

dit que vous aviez une Bérénice parfaite, incomparable, supérieure à nous

toutes, et la voici, ajouta-t-elle en se levant et en prenant Consuelo par

la main pour l'attirer au milieu du groupe inquiet et agité qui s'était

formé autour d'elle.

--Moi? s'écria Consuelo qui croyait faire un rêve.

--Toi! s'écria Corilla en la poussant sur le trône avec un mouvement

convulsif. Te voilà reine, Porporina, te voilà au premier rang; c'est moi

qui t'y place, je te devais cela. Ne l'oublie pas!»

Dans sa détresse, Holzbaüer, à la veille de manquer à son devoir et d'être

forcé peut-être de donner sa démission, ne put repousser ce secours

inattendu. Il avait bien vu, d'après la manière dont Consuelo avait fait

l'Ismène, qu'elle pouvait faire la Bérénice d'une manière supérieure.

Malgré, l'éloignement qu'il avait pour elle et pour le Porpora, il ne lui

fut permis d'avoir en cet instant qu'une seule crainte: c'est qu'elle ne

voulût point accepter le rôle.

Elle s'en défendit, en effet, très-sérieusement; et, pressant les mains de

la Corilla avec cordialité, elle la supplia, à voix basse, de ne pas lui

faire un sacrifice qui l'enorgueillissait si peu, tandis que, dans les

idées de sa rivale, c'était la plus terrible des expiations, et la

soumission la plus épouvantable qu'elle pût s'imposer. Corilla demeura

inébranlable dans cette résolution. Madame Tesi, effrayée de cette

concurrence sérieuse qui la menaçait, eut bien envie d'essayer sa voix et

de reprendre son rôle, dût-elle expirer après, car elle était sérieusement

indisposée; mais elle ne l'osa pas. Il n'était pas permis, au théâtre de la

cour, d'avoir les caprices auxquels le souverain débonnaire de nos jours,

le bon public, sait se ranger si patiemment. La cour s'attendait à voir

quelque chose de nouveau dans ce rôle de Bérénice: on le lui avait annoncé,

et l'impératrice y comptait.

«Allons, décide-toi, dit Caffariello à la Porporina. Voici le premier trait

d'esprit que la Corilla ait eu dans sa vie: profitons-en.

--Mais je ne sais point le rôle; je ne l'ai pas étudié, disait Consuelo;

je ne pourrai pas le savoir demain.