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et Anzoleto.

Elle fit ensuite avec son maître les apprêts de son départ. Les chevaux

étaient demandés pour quatre heures du matin. Le Porpora ne voulait pas

se coucher; mais il céda aux remontrances et aux prières de sa fille

adoptive, qui craignait de le voir tomber malade à son tour, et qui, pour

le convaincre, lui fit croire qu'elle allait dormir aussi.

Avant de se séparer, on se rendit auprès du comte Christian. Il dormait

paisiblement, et Supperville, qui brûlait de quitter cette triste demeure,

assura qu'il n'avait plus de fièvre.

«Cela est-il bien certain, Monsieur? lui demanda en particulier Consuelo,

effrayée de sa précipitation.

--Je vous le jure, répondit-il. Il est sauvé pour cette fois; mais je dois

vous avertir qu'il n'en a pas pour bien longtemps. A cet âge, on ne sent

pas le chagrin bien vivement dans le moment de la crise; mais l'ennui de

l'isolement vous achève un peu plus tard; c'est reculer pour mieux sauter.

Ainsi, tenez-vous sur vos gardes; car ce n'est pas sérieusement, j'imagine,

que vous avez renoncé à vos droits.

--C'est très-sérieusement, je vous assure, Monsieur, dit Consuelo; et je

suis étonnée que vous ne puissiez croire à une chose aussi simple.

--Vous me permettrez d'en douter jusqu'à la mort de votre beau-père,

Madame. En attendant, vous avez fait une grande faute de ne pas vous munir

des pierreries et des titres. N'importe, vous avez vos raisons, que je ne

pénètre pas, et je pense qu'une personne aussi calme que vous n'agit pas

à la légère. J'ai donné ma parole d'honneur de garder le secret de la

famille, et je vais attendre que vous m'en dégagiez. Mon témoignage vous

sera utile en temps et lieu; vous pouvez y compter. Vous me retrouverez

toujours à Bareith, si Dieu me prête vie, et, dans cette espérance, je vous

baise les mains, madame la comtesse.»

Supperville prit congé de la chanoinesse, répondit de la vie du malade,

écrivit une dernière ordonnance, reçut une grosse somme qui lui sembla

légère au prix de ce qu'il avait espéré tirer de Consuelo pour avoir servi

ses intérêts, et quitta le château à dix heures du soir, laissant cette

dernière stupéfaite et indignée de son matérialisme.

Le baron alla se coucher beaucoup mieux portant que la veille, et la

chanoinesse se fit dresser un lit auprès de Christian. Deux femmes

veillèrent dans cette chambre, deux hommes dans celle du chapelain, et le

vieux Hanz auprès du baron.

«Heureusement, pensa Consuelo, la misère n'ajoute pas les privations et

l'isolement à leur infortune. Mais qui donc veille Albert, durant cette

nuit lugubre qu'il passe sous les voûtes de la chapelle? Ce sera moi,

puisque voilà ma seconde et dernière nuit de noces!»

Elle attendit que tout fût silencieux et désert dans le château; après

quoi, quand minuit eut sonné, elle alluma une petite lampe et se rendit à

la chapelle.

Elle trouva au bout du cloître qui y conduisait deux serviteurs de la

maison, que son approche effraya d'abord, et qui ensuite lui avouèrent

pourquoi ils étaient là. On les avait chargés de veiller leur quart de nuit

auprès du corps de monsieur le comte; mais la peur les avait empêchés d'y

rester, et ils préféraient veiller et prier à la porte.

«Quelle peur? demanda Consuelo, blessée de voir qu'un maître si généreux

n'inspirait déjà plus d'autres sentiments à ses serviteurs.

--Que voulez-vous, Signora? répondit un de ces hommes qui étaient loin de

voir en elle la veuve du comte Albert; notre jeune seigneur avait des

pratiques et des connaissances singulières dans le monde des esprits. Il

conversait avec les morts, il découvrait les choses cachées; il n'allait

jamais à l'église, il mangeait avec les zingaris; enfin on ne sait ce qui

peut arriver à ceux qui passeront cette nuit dans la chapelle. Il y irait

de la vie que nous n'y resterions pas. Voyez Cynabre! on ne le laisse pas

entrer dans le saint lieu, et il a passé toute la journée couché en travers

de la porte, sans manger, sans remuer, sans pleurer. Il sait bien que son

maître est là, et qu'il est mort. Aussi ne l'a-t-il pas appelé une seule

fois. Mais depuis que minuit a sonné, le voilà qui s'agite, qui flaire,

qui gratte à la porte, et qui gémit comme s'il sentait que son maître n'est

plus seul et tranquille là dedans.

--Vous êtes de pauvres fous! répondit Consuelo avec indignation. Si vous

aviez le coeur un peu plus chaud, vous n'auriez pas l'esprit si faible.»

Et elle entra dans la chapelle, à la grande surprise et à la grande

consternation des timides gardiens.

Elle n'avait pas voulu revoir Albert dans la journée. Elle le savait

entouré de tout l'appareil catholique, et elle eût craint, en se joignant

extérieurement à ces pratiques, qu'il avait toujours repoussées, d'irriter

son âme toujours vivante dans la sienne. Elle avait attendu ce moment; et,

préparée à l'aspect lugubre dont le culte l'avait entouré, elle approcha de

son catafalque et le contempla sans terreur. Elle eût cru outrager cette

dépouille chère et sacrée par un sentiment qui serait si cruel aux morts

s'ils le voyaient. Et qui nous assure que leur esprit, détaché de leur

cadavre, ne le voie pas et n'en ressente pas une amère douleur? La peur

des morts est une abominable faiblesse; c'est la plus commune et la plus

barbare des profanations. Les mères ne la connaissent pas.

Albert était couché sur un lit de brocart, écussonné par les quatre coins

aux armes de la famille. Sa tête reposait sur un coussin de velours noir

semé de larmes d'argent, et un linceul pareil était drapé autour de lui

en guise de rideaux. Une triple rangée de cierges éclairait son pâle

visage, qui était resté si calme, si pur et si mâle qu'on eût dit qu'il

dormait paisiblement. On avait revêtu le dernier des Rudolstadt, suivant

un usage en vigueur dans cette famille, de l'antique costume de ses pères.

Il avait la couronne de comte sur la tête, l'épée au flanc, l'écu sous les

pieds, et le crucifix sur la poitrine. Avec ses longs cheveux et sa barbe

noire, il était tout semblable aux anciens preux dont les statues étendues

sur leurs tombes gisaient autour de lui. Le pavé était semé de fleurs, et

des parfums brûlaient lentement dans des cassolettes de vermeil, aux quatre

angles de sa couche mortuaire.

Pendant trois heures Consuelo pria pour son époux et le contempla dans

son sublime repos. La mort, en répandant une teinte plus morne sur ses

traits, les avait si peu altérés, que plusieurs fois elle oublia, en

admirant sa beauté, qu'il avait cessé de vivre. Elle s'imagina même

entendre le bruit de sa respiration, et lorsqu'elle s'en éloignait un

instant pour entretenir le parfum des réchauds et la flamme des cierges,

il lui semblait qu'elle entendait de faibles frôlements et qu'elle

apercevait de légères ondulations dans les rideaux et dans les draperies.

Elle se rapprochait de lui aussitôt, et interrogeant sa bouche glacée,