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ma fille adoptive, vous demandant pour elle hospitalité, protection et

bénédiction. Elle saura reconnaître vos bontés par son zèle à se rendre

utile et agréable à la jeune baronne. Dans trois mois au plus j'irai la

reprendre, et vous présenter à sa place une institutrice qui pourra

contracter avec votre illustre famille de plus longs engagements.»

«En attendant ce jour fortuné où je presserai dans mes mains la main du

meilleur des hommes, j'ose me dire, avec respect et fierté, le plus

humble des serviteurs et le plus dévoué des amis de votre excellence

_chiarissima, stimatissima, illustrissima_, etc.»

«NICOLAS PORPORA.

Maître de chapelle, compositeur et professeur de chant,

«Venise, le...., 17..»

Amélie sauta de joie en achevant cette lettre, tandis que le vieux comte

répétait à plusieurs reprises avec attendrissement: «Digne Porpora,

excellent ami, homme respectable!

--Certainement, certainement, dit la chanoinesse Wenceslawa, partagée

entre la crainte de voir les habitudes de la famille dérangées par

l'arrivée d'une étrangère, et le désir d'exercer noblement les devoirs

de l'hospitalité: il faudra la bien recevoir, la bien traiter ... Pourvu

qu'elle ne s'ennuie pas ici!...

--Mais, mon oncle, où donc est ma future amie, ma précieuse maîtresse?

s'écria la jeune baronne sans écouter les réflexions de sa tante. Sans

doute elle va arriver bientôt en personne?... Je l'attends avec une

impatience ...»

Le comte Christian sonna. «Hanz, dit-il au vieux serviteur, par qui

cette lettre vous a-t-elle été remise?

--Par une dame, monseigneur maître.

--Elle est déjà ici? s'écria Amélie. Où donc, où donc?

--Dans sa chaise de poste, à l'entrée du pont-levis.

--Et vous l'avez laissée se morfondre à la porte du château, au lieu de

l'introduire tout de suite au salon?

--Oui, madame la baronne, j'ai pris la lettre; j'ai défendu au postillon

de mettre le pied hors de l'étrier, ni de quitter ses rênes. J'ai fait

relever le pont derrière moi, et j'ai remis la lettre à monseigneur

maître.

--Mais c'est absurde, impardonnable, de faire attendre ainsi par le

mauvais temps les hôtes qui nous arrivent! Ne dirait-on pas que nous

sommes dans une forteresse, et que tous les gens qui en approchent sont

des ennemis! Courez donc, Hanz!»

Hanz resta, immobile comme une statue. Ses yeux seuls exprimaient le

regret de ne pouvoir obéir aux désirs de sa jeune maîtresse; mais un

boulet de canon passant sur sa tête n'eût pas dérangé d'une ligne

l'attitude impassible dans laquelle il attendait les ordres souverains

de son vieux maître.

«Le fidèle Hanz ne connaît que son devoir et sa consigne, ma chère

enfant, dit enfin le comte Christian avec une lenteur qui fit bouillir

le sang de la baronne. Maintenant, Hanz, allez faire ouvrir la grille et

baisser le pont. Que tout le monde aille avec des flambeaux recevoir la

voyageuse; qu'elle soit ici la bienvenue!»

Hanz ne montra pas la moindre surprise d'avoir à introduire d'emblée une

inconnue dans cette maison, où les parents les plus proches et les amis

les plus sûrs n'étaient jamais admis sans précautions et sans lenteurs.

La chanoinesse alla donner des ordres pour le souper de l'étrangère.

Amélie voulut courir au pont-levis; mais son oncle, tenant à honneur

d'aller lui-même à la rencontre de son hôtesse, lui offrit son bras; et

force fut à l'impétueuse petite baronne de se traîner majestueusement

jusqu'au péristyle, où déjà la chaise de poste venait de déposer sur les

premières marches l'errante et fugitive Consuelo.

XXIV.

Depuis trois mois que la baronne Amélie s'était mis en tête d'avoir une

compagne, pour l'instruire bien moins que pour dissiper l'ennui de son

isolement, elle avait fait cent fois dans son imagination le portrait de

sa future amie. Connaissant l'humeur chagrine du Porpora, elle avait

craint qu'il ne lui envoyât une gouvernante austère et pédante. Aussi

avait-elle écrit en cachette au professeur pour lui annoncer qu'elle

ferait un très mauvais accueil à toute gouvernante âgée de plus de

vingt-cinq ans, comme s'il n'eût pas suffi qu'elle exprimât son désir à

de vieux parents dont elle était l'idole et la souveraine.

En lisant la réponse du Porpora, elle fut si transportée, qu'elle

improvisa tout d'un trait dans sa tête une nouvelle image de la

musicienne, fille adoptive du professeur, jeune, et Vénitienne surtout,

c'est-à-dire, dans les idées d'Amélie, faite exprès pour elle, à sa

guise et à sa ressemblance.

Elle fut donc un peu déconcertée lorsqu'au lieu de l'espiègle enfant

couleur de rose qu'elle rêvait déjà, elle vit une jeune personne pâle,

mélancolique et très interdite. Car au chagrin profond dont son pauvre

coeur était accablé, et à la fatigue d'un long et rapide voyage, une

impression pénible et presque mortelle était venue se joindre dans l'âme

de Consuelo, au milieu de ces vastes forêts de sapins battues par

l'orage, au sein de cette nuit lugubre traversée de livides éclairs, et

surtout à l'aspect de ce sombre château, où les hurlements de la meute

du baron et la lueur des torches que portaient les serviteurs

répandaient quelque chose de vraiment sinistre. Quel contraste avec le

_firmamento lucido_ de Marcello, le silence harmonieux des nuits de

Venise, la liberté confiante de sa vie passée au sein de l'amour et de

la riante poésie! Lorsque la voiture eut franchi lentement le pont-levis

qui résonna sourdement sous les pieds des chevaux, et que la herse

retomba derrière elle avec un affreux grincement, il lui sembla qu'elle

entrait dans l'enfer du Dante, et saisie de terreur, elle recommanda son

âme à Dieu.

Sa figure était donc bouleversée lorsqu'elle se présenta devant ses

hôtes; et celle du comte Christian venant à la frapper tout d'un coup,

cette longue figure blême, flétrie par l'âge et le chagrin, et ce grand

corps maigre et raide sous son costume antique, elle crut voir le

spectre d'un châtelain du moyen âge; et, prenant tout ce qui l'entourait

pour une vision, elle recula en étouffant un cri d'effroi.

Le vieux comte, n'attribuant son hésitation et sa pâleur qu'à

l'engourdissement de la voiture et à la fatigue du voyage, lui offrit

son bras pour monter le perron, en essayant de lui adresser quelques

paroles d'intérêt et de politesse. Mais le digne homme, outre que la

nature lui avait donné un extérieur froid et réservé, était devenu,

depuis plusieurs années d'une retraite absolue, tellement étranger au

monde, que sa timidité avait redoublé, et que, sous un aspect grave et

sévère au premier abord, il cachait le trouble et la confusion d'un