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Or, l'ayant vainement cherchée, elle désespérait de jamais la rencontrer.

Un soir, passant devant l'église, elle entra faire un bout de prière. Elle alla tout au fond, dans une petite chapelle qu'elle aimait pour son ombre et son silence; les vitraux, d'un bleu sombre, éclairaient les dalles comme d'un reflet de lune; la voûte, un peu basse, n'avait pas d'écho. Mais, ce soir-là, la petite chapelle était en fête. Un rayon égaré, après avoir traversé la nef, donnait en plein sur l'humble autel, allumant dans les ténèbres le cadre doré d'un vieux tableau.

Soeur-des-Pauvres, qui s'était agenouillée sur la pierre nue, eut une courte distraction, à voir ce bel adieu du soleil à son coucher, sur ce cadre qu'elle ne savait point là. Puis, penchant la tête, elle commença son oraison; elle suppliait le bon Dieu de lui envoyer un ange qui se chargeât du gros sou.

Au fort de sa prière, elle leva le front. Le baiser du soleil montait lentement; il avait laissé le cadre pour la toile peinte; on eût pu croire qu'une lumière blonde sortait de l'image sainte. Elle rayonnait sur le mur noir; et c'était comme si quelque chérubin eût écarté un coin du voile des cieux, car on y voyait, dans un éblouissement de gloire et de splendeur, la Vierge Marie endormant Jésus sur ses genoux.

Soeur-des-Pauvres regardait, cherchant à se souvenir. Elle avait vu, en songe peut-être, cette belle sainte et cette enfant divin. Eux aussi la reconnaissaient sans doute: ils lui souriaient, et même elle les vit sortir de la toile, pour descendre vers elle.

Elle entendit une voix douce qui disait:

-"Je suis la sainte mendiante des cieux. Les pauvres de la terre me font l'offrande de leurs larmes, et je tends la main à chaque misérable, afin qu'il se soulage. J'emporte au ciel ces aumônes de souffrance. Ce sont elles qui, amassées une à une dans les siècles, formeront au dernier jour les trésors de félicité des élus.

"C'est ainsi que je vais par le monde, pauvrement vêtue, comme il convient à une fille du peuple. Je console les indigents mes frères, je sauve les riches par la charité.

"Je t'ai vue, un soir, et j'ai reconnu en toi celle que je cherchais. C'est un rude labeur que le mien. Lorsque je rencontre un ange sur la terre, je lui confie une partie de ma mission. J'ai pour cela des sous du ciel qui ont l'intelligence du bien, qui rendent fées les mains pures.

"Vois, mon Jésus te sourit: il est content de toi. Tu as été mendiante des cieux, car chacun t'a fait l'aumône de son âme, et tu amèneras ton cortège de pauvres jusque dans le paradis. Maintenant, donne ce sou qui te pèse; les chérubins ont seuls cette force de porter éternellement le bien sur leurs ailes. Sois humble, sois heureuse."

Soeur-des-Pauvres écoutait la parole divine; elle était là, demi-penchée, muette, en extase; et, dans ses yeux grands ouverts, se reflétait l'éblouissement de la vision. Elle demeura longtemps immobile. Puis, comme le rayon montait toujours, il lui sembla que la porte du ciel se refermait; la Vierge, ayant pris le ruban à son cou, disparut lentement. L'enfant regardait encore, mais elle voyait seulement le haut du cadre doré, brillant faiblement aux dernières lueurs.

Alors, ne sentant plus le poids du sou sur sa poitrine, elle crut en ce qu'elle venait de voir. Elle se signa, elle s'en alla, remerciant Dieu.

C'est ainsi qu'elle n'eut plus de souci et qu'elle vécut longtemps, jusqu'au jour où l'ange qu'elle attendait depuis sa jeunesse, l'emmena auprès de sa mère et de son père, dont les regrets l'appelaient depuis si longtemps au paradis. Elle trouva près d'eux Guillaume et Guillaumette, qui l'avaient quittée, eux aussi, un jour qu'ils étaient las.

Et plus de cent ans après sa mort, on n'aurait pu trouver un seul mendiant dans la contrée; non pas qu'il y eût dans les armoires des familles de nos vilaines pièces d'or ou d'argent; mais il s'y rencontrait toujours, on ne savait comment, quelques fils du sou de la Vierge, de ces gros sous de cuivre jaune, qui sont la monnaie des travailleurs et des simples d'esprit.

AVENTURES DU GRAND SIDOINE ET DU PETIT MÉDÉRIC

I. LES HÉROS.

A cent pas, le grand Sidoine avait quelque peu l'aspect d'un peuplier, si ce n'est qu'il était plus haut de taille et de tournure plus épaisse. A cinquante, on distinguait parfaitement son sourire satisfait, ses gros yeux bleus à fleur de tête, ses énormes poings qu'il balançait d'une façon timide et embarrassée. A vingt-cinq, on le déclarait sans hésiter garçon de coeur, fort comme une armée, mais bête comme tout.

Le petit Médéric, pour sa part, avait, quant à la taille, de fortes ressemblances avec une laitue, je dis une laitue en bas âge. Mais, à remarquer ses lèvres fines et mobiles, son front pur et élevé, à voir la grâce de son salut, l'aisance de son allure, on lui accordait aisément plus d'esprit qu'aux doctes cervelles de quarante grands hommes. Ses yeux ronds, pareils à ceux d'une mésange, dardaient des regards pénétrants comme des vrilles d'acier; ce qui, certes, l'aurait fait juger méchant enfant, si de longs cils blonds n'avaient voilé d'une ombre douce la malice et la hardiesse de ces yeux-là. Il portait des cheveux bouclés, il riait d'un bon rire engageant, de sorte qu'on ne pouvait s'empêcher de l'aimer.

Bien qu'ils eussent grand'peine à converser librement, le grand Sidoine et le petit Médéric n'en étaient pas moins les meilleurs amis du monde. Ils avaient seize ans tous deux, étant nés le même jour, à la même minute, et se connaissaient depuis lors; car leurs mères, qui se trouvaient voisines, se plaisaient à les coucher ensemble dans un berceau d'osier, aux jours où le grand Sidoine se contentait encore d'une couche de trois pieds de long. Sans doute, c'est chose rare que deux enfants, nourris d'une même bouillie, aient des croissances si singulièrement différentes. Ce fait embarrassait d'autant plus les savants du voisinage, que Médéric, contrairement aux usages reçus, avait à coup sûr rapetissé de plusieurs pouces. Les cinq ou six cents doctes brochures écrites sur ce phénomène par des hommes spéciaux, prouvaient de reste que le bon Dieu seul savait le secret de ces croissances bizarres, comme il sait, d'ailleurs, ceux des Bottes de sept lieues, de la Belle au bois dormant et de ces mille autres vérités, si belles et si simples, qu'il faut toute la pureté de l'enfance pour les comprendre.

Les mêmes savants, qui faisaient métier d'expliquer ce qui ne saurait l'être, se posaient encore un grave problème. Comment peut-il se faire, se demandaient-ils entre eux, sans jamais se répondre, que cette grande bête de Sidoine aime d'un amour aussi tendre ce petit polisson de Médéric? et comment ce petit polisson trouve-t-il tant de caresses pour cette grande bête? Question obscure, bien faite pour inquiéter des esprits chercheurs: la fraternité du brin d'herbe et du chêne.

Je ne me soucierais pas autant de ces savants, si un d'eux, le moins accrédité dans la paroisse, n'avait dit, certain jour, en hochant la tête: "Hé, hé! bonnes gens, ne voyez-vous pas ce dont il s'agit? Rien n'est plus simple. Il s'est fait un échange entre les marmots. Quand ils étaient au berceau, alors qu'ils avaient la peau tendre et le crâne de peu d'épaisseur, Sidoine a pris le corps de Médéric, et Médéric, l'esprit de Sidoine; de sorte que l'un a crû en jambes et en bras, tandis que l'autre croissait en intelligence. De là leur amitié. Ils sont un même être en deux êtres différents; là c'est, si je ne me trompe, la définition des amis parfaits."