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-Hé! l'ami, cria-t-il, pourrais-tu me dire ce qui vous force, tes compagnons et toi, à quitter vos lits à cette heure, pour venir rôder autour du mien? Si vous avez de méchants projets sur les passants, il est peu convenable d'exposer votre roi à servir de témoin pour vous faire pendre. Si ce sont vos belles que vous attendez, certes je m'intéresse à l'accroissement du nombre de mes sujets, mais je ne veux en aucune façon me mêler de ces détails de famille. Ça, franchement, que faites-vous ici?

-Sire, nous vous gardons, répondit le soldat.

-Vous me gardez? contre qui, je vous prie? Les ennemis ne sont pas aux frontières, que je sache, et ce n'est point avec vos épées que vous me protégerez des moucherons. Voyons, parle. Contre qui me gardez-vous?

-Je ne sais pas, Sire. Je vais appeler mon capitaine.

Lorsque le capitaine fut arrivé et qu'il eut entendu la demande du roi:

-Bon Dieu! Sire, s'écria-t-il, comment Votre Majesté peut-elle me faire une question aussi simple? Ignore-t-elle ces menus détails? Tous les rois se font garder contre leurs peuples. Il y a ici cent braves qui n'ont d'autre charge que d'embrocher les curieux. Nous sommes vos gardes du corps, Sire. Sans nous, vos sujets, gens très-gourmands de monarques, en auraient déjà fait une effroyable consommation.

Cependant, Sidoine riait aux larmes. L'idée que ces pauvres diables le gardaient lui avait d'abord paru d'une joyeuseté rare; mais quand il apprit qu'ils le gardaient contre son peuple, il eut un nouvel accès de gaieté dont il faillit étouffer. De son côté, Médéric pouffait à pleines joues, déchaînant une véritable tempête dans l'oreille de son mignon.

-Holà! manants, cria-t-il, pliez bagages, décampez au plus vite. Me croyez-vous assez sot pour imiter vos rois trembleurs, qui ferment dix à douze portes sur eux, en plantant une sentinelle à chacune? Je me garde moi-même, mes bons amis, et je n'aime pas à être regardé quand je dors; car ma nourrice m'a toujours dit que je n'étais pas beau en ronflant. S'il vous faut absolument garder quelqu'un, au lieu de garder le roi contre le peuple, gardez, je vous prie, le peuple contre le roi; ce sera mieux employer vos veilles et gagner plus honnêtement votre argent. Les soirs d'été, pour peu que vous désiriez m'être agréables, envoyez-moi vos femmes avec des éventails, ou, s'il pleut, votez-moi une armée de parapluies. Mais vos épées, à quoi diable voulez-vous qu'elles me servent? Et, maintenant, bonne nuit, messieurs les gardes du corps. Sans plus de zèle, capitaine et soldats se retirèrent, enchantés d'un prince si facile à servir. Alors nos amis, satisfaits d'être seuls, purent causer à l'aise des surprenantes aventures qui leur étaient arrivées depuis le matin. Je veux dire, tu m'entends, que Médéric bavarda une petite demi-heure, philosophant sur toute chose, priant son mignon de suivre avec soin le fil de son raisonnement. Le mignon, dès les premiers mots, ronflait, les poings fermés. Notre bavard, ne s'entendant plus lui-même, remit la suite de ses observations au lendemain. C'est ainsi que le roi Sidoine 1er dormit sa première nuit à la belle étoile, dans un champ désert situé aux portes de sa capitale.

Les événements qui se passèrent les jours suivants ne méritent pas d'être rapportés tout au long, bien qu'ils aient été prodigieux et bizarres, comme tous ceux auxquels se trouvèrent mêlés les héros que j'ai choisis. Notre roi en deux personnes,-vois à quoi tient un mystère!-ayant accepté la couronne par simple complaisance, se garda de tenter la moindre réforme. Il laissa le peuple agir selon ses volontés; ce qui se rencontra être la meilleure façon de régner, la plus commode pour le souverain, la plus profitable pour les sujets.

Au bout de huit jours, Sidoine avait déjà gagné cinq batailles rangées. Il crut devoir mener son armée aux deux premières. Mais il s'aperçut bientôt qu'au lieu de lui donner aide et secours, elle l'embarrassait, se mettant en travers de ses jambes, risquant d'attraper quelque taloche. Il se décida donc à licencier les troupes, déclarant entendre à l'avenir se mettre seul en campagne. Ce fut là le sujet d'une belle proclamation. Elle débutait par cet exorde remarquable: "Il n'est rien de tel pour se gourmer d'importance, comme de savoir pourquoi on se gourme. Or, puisque le roi, lorsqu'il déclare la guerre, connaît seul les causes de son bon plaisir, la logique veut que le roi se batte seul." Les soldats goûtèrent beaucoup ces pensées; à la vérité, faute d'une bonne raison pour taper plus longtemps, ils avaient tourné le dos dans maintes batailles. Souvent aussi ils s'étaient étonnés, causant le soir dans les ambulances avec des blessés ennemis, de l'originale méthode des princes, ayant des poings, comme tout le monde, et faisant tuer plusieurs milliers d'hommes, pour vider leurs querelles particulières.

Seulement, les Bleus, s'il te souvient de la charte, avaient pris un maître dans l'unique but de s'égayer à le voir et à l'entendre jouer des poings et de la langue. L'armée obtint donc de suivre son chef à deux kilomètres de distance. De cette façon, elle eut l'agréable spectacle des combats, sans en courir les dangers.

Médéric harangua plus encore que Sidoine ne se battit. Au bout d'une semaine, il avait déjà enrichi la littérature du pays de treize gros volumes. Le troisième jour, en s'éveillant, il se trouva savoir le grec et le latin, sans avoir appris ces langues dans aucun collège; il put de la sorte répondre par dix pages de Démosthène au prince des orateurs, qui pensait l'embarrasser en lui récitant cinq pages de Cicéron. Depuis ce moment, qui fut celui où le peuple cessa de comprendre, le roi orateur eut encore plus de popularité que le roi guerrier.

Somme toute, la nation Bleue était dans le ravissement. Elle possédait enfin le prince rêvé, un prince idéal, mettant tous ses soins aux menus plaisirs, ne se mêlant jamais des détails sérieux. Cependant, comme un peuple, même un peuple satisfait, murmure toujours un peu, on accusait l'excellent homme de certains goûts bizarres, par exemple de sa singulière obstination à vouloir dormir à la belle étoile. De plus, je crois te l'avoir dit, Sidoine péchait par une grande coquetterie; dès qu'il eut un budget sous la main, il échangea vite ses peaux de loup contre de splendides vêtements de soie et de velours, trouvant à se regarder quelques dédommagements aux ennuis de sa nouvelle profession. On le blâmait de cet innocent plaisir; bien qu'il ne fît autre dépense, on lui reprochait d'user trop de satin, de déchirer trop de dentelle. La rosée, il est vrai, tache les étoffes fines, et rien ne les coupe comme la paille. Or Sidoine couchait tout habillé.

Pour en finir, on comptait à peine cinq à six milliers de mécontents dans cet empire de trente millions d'hommes: des courtisans sans emploi dont l'échine se roidissait, des gens de nerfs irritables auxquels les longs discours donnaient la fièvre, surtout des pervers que fâchait la paix publique. Après une semaine de règne, Sidoine aurait pu sans crainte tenter de nouveau le suffrage universel.