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Sidoine, quand il eut ramené ses membres, s'assit sur son séant, les poings dans les yeux, les genoux hauts et écartés. Il sanglotait à fendre l'âme.

-Oh! oh! dit Médéric, je le savais bien, il n'y a que mon mignon dans le monde pour avoir un nez d'une telle encolure. C'est là un nez que je connais comme le clocher de mon village. Hé! mon pauvre frère, nous avons donc aussi de gros chagrins. Je te le jure, je voulais m'absenter dix minutes au plus; si tu me retrouves au bout de dix heures, la faute en est assurément au soleil et aux buissons chargés de mûres. Nous leur pardonnerons. Ça! jette-moi ce dogue à la porte: nous causerons plus à l'aise.

Sidoine, toujours pleurant, allongea le bras, prit le dogue par la peau du cou. Il le balança une seconde, et l'envoya, hurlant et se tordant, droit dans le ciel, avec une vitesse de plusieurs milliers de lieues à la seconde. Médéric prit le plus grand plaisir à cette ascension. Il suivit la bête de l'oeil. Quand il la vit entrer dans la sphère d'attraction de la lune, il battit des mains, félicitant son compagnon d'avoir enfin peuplé ce satellite, pour le plus grand bonheur des astronomes futurs.

-Or ça, mon mignon, dit-il en sautant à terre, et notre peuple?

Sidoine, à cette question, éclata de plus belle en gémissements, dodelinant de la tête, se barbouillant le visage de ses larmes.

-Bah! reprit Médéric, notre peuple serait-il mort? L'aurais-tu massacré dans un moment d'ennui, réfléchissant que les peuples rois sont sujets aux abdications tout comme les autres monarques?

-Frère, frère, sanglota Sidoine, notre peuple s'est mal conduit.

-Vraiment?

-Il s'est mis en colère à propos de rien...

-Le vilain!

-...et m'a jeté à la porte...

-Le grossier!

-...comme jamais grand seigneur n'a jeté un aquais.

-Voyez-vous l'aristocrate!

A chaque virgule, Sidoine poussait un profond soupir. Lorsqu'il rencontra un point dans sa phrase, son émotion étant au comble, il fondit de nouveau en larmes.

-Mon mignon, reprit Médéric, il est triste sans doute pour un maître d'être congédié par ses valets, mais je ne vois pas là matière à tant se désoler. Si ta douleur ne me prouvait une fois de plus l'excellence de ton âme et ton ignorance des rapports sociaux, je te gronderais de t'affliger ainsi d'une aventure très-fréquente. Nous lirons l'histoire un de ces jours; tu le verras, c'est une vieille habitude des nations de malmener les princes dont elles ne veulent plus. Malgré le dire de certaines gens, Dieu n'a jamais eu la singulière fantaisie de créer une race particulière, dans le but d'imposer à ses enfants des maîtres élus par lui de père en fils. Ne t'étonne donc pas si les gouvernés veulent devenir gouvernants à leur tour, puisque tout homme a le droit d'avoir cette ambition. Cela soulage de pouvoir raisonner logiquement son malheur. Allons, sèche tes larmes. Elles seraient bonnes chez un efféminé, un glorieux nourri de louanges, qui aurait oublié son métier d'homme en exerçant trop longtemps celui de roi; mais nous, monarques d'hier, nous savons encore marcher sans autre escorte que notre ombre, et vivre au soleil, n'ayant pour royaume que le peu de poussière où se posent nos pieds.

-Eh! répondit Sidoine d'un ton dolent, tu en parles à ton aise. La profession me plaisait. Je me battais à poing que veux-tu, je mettais tous les jours mes habits du dimanche, je dormais sur de la paille fraîche. Raisonne, explique tant que tu voudras. Moi, je veux pleurer.

Et il pleura; puis, s'arrêtant brusquement au milieu d'un sanglot:

-Voici, dit-il, comment les choses se sont passées...

-Mon mignon, interrompit Médéric, tu deviens bavard: le désespoir ne te vaut rien.

-Ce matin, vers six heures, comme je rêvais innocemment, un grand bruit m'a éveillé. J'ai ouvert un oeil. Le peuple entourait mon lit, paraissant fort ému, attendant mon réveil, en quête de quelque jugement. Bon! me suis-je dit, voilà qui regarde Médéric: dormons encore. Et je me suis rendormi. Au bout de je ne sais combien de minutes, j'ai senti mes sujets me tirer respectueusement par un coin de ma blouse royale. Force m'a été d'ouvrir les deux yeux. Le peuple s'impatientait. Qu'a donc mon frère Médéric? ai-je pensé, de méchante humeur. Et, en pensant cela, je me suis mis sur mon séant. Ce que voyant, les braves gens qui m'entouraient ont poussé un murmure de satisfaction. Me comprends-tu, frère, et ne sais-je pas conter à l'occasion?

-Parfaitement, mais si tu contes de ce train-là, tu conteras jusqu'à demain. Que voulait notre peuple?

-Ah! voilà. Je crois n'avoir pas trop bien compris. Un vieux s'est approché de moi, traînant sur ses talons une vache au bout d'un cordeau. Il l'a plantée à mes pieds, la tête dirigée de mon côté. A droite et à gauche de la bête, en face de chaque flanc, se sont formés deux groupes se montrant le poing. Celui de droite criait: "Elle est blanche!" Celui de gauche: "Elle est noire!" Alors le vieux, avec force saluts, m'a dit d'un ton humble: "Sire, est-elle noire, est-elle blanche?"

-Mais, interrompit Médéric, c'était de la haute philosophie, cela. La vache était-elle noire, mon mignon?

-Pas précisément.

-Alors elle était blanche?

-Oh! pour cela non. D'ailleurs, je m'inquiétais peu d'abord de la couleur de la bête. C'était à toi de répondre, je n'avais que faire de regarder. Tu ne répondais toujours pas. Moi, te pensant en train de préparer ton discours, je m'apprêtais à me rendormir sournoisement. Le vieux, qui s'était courbé en deux pour recevoir ma réponse, se sentant des démangeaisons dans l'échine, me répétait: "Sire, est-elle blanche, est-elle noire?"

-Mon mignon, tu dramatises ton récit selon toutes les règles de l'art. Pour peu que j'aie le temps, je ferai de toi un auteur tragique. Mais continue.

-Ah! le paresseux! me dis-je enfin, il dort comme un roi. Cependant le peuple commençait à s'impatienter de nouveau. Il s'agissait de t'éveiller, le plus doucement possible, sans qu'il s'aperçût du fait. Je glissai un doigt dans mon oreille gauche; elle était vide. Je le glissai dans mon oreille droite; vide également. C'est à partir de ces gestes que le peuple s'est fâché.

-Pardieu! mon mignon, ignores-tu la mimique à ce point? Se gratter une oreille est signe d'embarras, et toi, lorsque tu as un jugement à rendre, tu vas te gratter les deux!

-Frère, j'étais fort troublé. Je me levai, sans plus faire attention au peuple, je fouillai énergiquement mes poches, celles de la blouse, celles de la culotte, toutes enfin. Rien dans les poches de gauche, rien dans les poches de droite. Mon frère Médéric n'était plus sur moi. J'avais espéré un instant le rencontrer se promenant dans quelque gousset écarté. Je visitai les coulures, j'inspectai chaque pli. Personne. Pas plus de Médéric dans mes vêtements que dans mes oreilles. Le peuple, stupéfait de ce singulier exercice, me soupçonna sans doute de chercher des raisons dans mes poches; il attendit quelques minutes, puis se mit à me huer, sans plus de respect, comme si j'eusse été le dernier des manants. Avoue-le, frère, il eût fallu une forte tête pour se sauver saine et sauve d'une pareille situation.