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– Exact! Voilà le passionnant de l’affaire. Il possédait cet objet curieux, et cependant ledit objet portait les initiales de quelqu’un d’autre. Pourquoi?

– Je n’en sais rien. Et vous?

– Essayons de deviner. Un peu plus loin sur l’anneau de cuivre, ne voyez-vous pas une sorte de dessin?

– Si. Une couronne, n’est-ce pas?

– Incontestablement, c’est une couronne. Mais si vous la regardez au jour, vous vous apercevrez qu’il ne s’agit pas d’une couronne ordinaire. C’est une couronne blasonnée, symbole d’une dignité sociale. Elle est constituée par une alternance de quatre perles et de feuilles de fraisier: c’est la couronne d’un marquis. Nous pouvons par conséquent inférer que la personne dont la dernière initiale est un B avait le droit de porter cette petite couronne.

– Ce banal entonnoir en cuir aurait donc appartenu à un marquis?

Dacre a souri.

– Ou à un membre de la famille d’un marquis. Nous avons déduit tout cela de cet anneau gravé.

– Mais encore une fois, quel rapport avec les rêves?

Dois-je attribuer le subit sentiment de répulsion, d’horreur irraisonnée, qui m’a envahi alors à un certain regard que j’ai cru détecter chez Dacre, ou à je ne sais quel sous-entendu dans son comportement?

– J’ai reçu plus d’une fois des informations très importantes par l’entremise d’un rêve, m’a répondu mon compagnon sur le ton didactique qu’il affectionnait. J’ai maintenant pour règle, lorsque j’hésite sur un détail matériel, de placer l’objet en question à côté de moi pendant mon sommeil, et d’espérer fermement une illumination. Cette méthode ne me semble pas très ténébreuse, bien qu’elle n’ait pas été gratifiée à ce jour de la bénédiction de la science officielle. Selon ma théorie, tout objet ayant été intimement associé à n’importe quel paroxysme d’émotion humaine, joyeuse ou douloureuse, conserve une certaine atmosphère ou imprégnation qui peut se communiquer à un esprit sensible et réceptif. Par esprit sensible, je n’entends point un esprit anormal; je parle simplement d’un esprit exercé et cultivé, comme vous ou moi en possédons un.

– Vous voulez dire, par exemple, que si je dormais à côté de cette vieille épée qui est suspendue au mur, je pourrais rêver d’un incident sanglant auquel cette épée aurait participé?

– Vous avez fort bien choisi votre exemple! En fait j’ai utilisé à propos de cette épée la méthode dont je vous ai parlé, et j’ai assisté pendant mon sommeil à la mort de son propriétaire: il a péri au cours d’une escarmouche que je n’ai pu situer avec précision mais qui a eu lieu à l’époque de la Fronde. Si vous voulez bien réfléchir, certaines de nos croyances populaires prouvent que nos ancêtres déjà avaient reconnu cette vérité que nous, avec notre sagesse, nous avons classée dans la catégorie des superstitions.

– Par exemple?

– Hé bien, lorsqu’on place le gâteau de noces sous l’oreiller afin que le dormeur ait des rêves agréables. Vous trouverez d’autres cas analogues dans une petite brochure que je suis en train d’écrire. Mais pour en revenir à notre problème, j’ai dormi une nuit avec cet entonnoir à côté de moi, et j’ai eu un rêve qui a projeté une étrange clarté sur son origine et l’usage qui en a été fait.

– Qu’avez-vous rêvé?

– J’ai rêvé…

Il s’est interrompu, et il a eu l’air soudain très intéressé.

– … Par saint George, voici une idée que je crois bonne! a-t-il repris. Ce serait en vérité une expérience fort instructive. Vous êtes un sujet psychique; vous avez des nerfs qui réagissent promptement à n’importe quelle impression…

– Je ne me suis jamais livré à des tests là-dessus.

– Hé bien, nous allons vous tester ce soir! Puis-je vous demander comme un grand service, puisque vous coucherez ici cette nuit, de dormir avec ce vieil entonnoir placé à côté de votre oreiller?

La requête me sembla absurde, grotesque; mais l’un de mes complexes est un appétit insatiable pour tout ce qui touche au fantastique ou au bizarre. Je ne croyais nullement à la théorie de Dacre, et je ne comptais guère sur le succès de son expérience; toutefois il ne me déplaisait pas que l’expérience fût tentée. Dacre, avec une grande gravité, a approché de la tête de mon divan un tabouret sur lequel il a installé l’entonnoir. Nous avons encore bavardé quelques instants; puis il m’a souhaité une bonne nuit et il m’a laissé seul.

Je suis resté un moment au coin du feu pour fumer une cigarette, et j’ai réfléchi à notre conversation. J’avais beau être sceptique, il y avait quelque chose de troublant dans l’assurance de Dacre; je me sentis impressionné par l’ambiance peu banale où je me trouvais, par cette chambre immense garnie d’objets tous étranges et parfois sinistres. Finalement je me suis déshabillé, j’ai éteint la lampe et je me suis couché. Après m’être tourné et retourné, je me suis endormi. Permettez-moi d’essayer de vous décrire avec le plus de précision possible le rêve que j’ai fait; ses péripéties subsistent dans ma mémoire plus nettement que n’importe quelle scène à laquelle j’aurais réellement assisté.

Pour décor, une salle voûtée. Des angles, quatre tympans grimpaient vers un toit à l’arête vive. L’architecture était fruste, mais solide. Cette salle faisait certainement partie d’un grand bâtiment.

Trois hommes en noir, coiffés de chapeaux de velours noir curieusement trop lourds de la calotte, étaient assis en rang sur une estrade à tapis rouge. Ils avaient l’air très solennels, très tristes. À gauche, deux hommes en robe longue tenaient chacun un portefeuille apparemment bourré de papiers. À droite, une petite blonde avec de bizarres yeux bleu clair, des yeux d’enfant, regardait de mon côté. Elle n’était plus dans la fleur de l’âge, mais elle était jeune encore. Potelée, rondelette, elle avait un maintien fier et assuré, le visage pâli mais serein. Curieux visage, avenant avec quelque chose de félin, comme un soupçon de cruauté, sur la petite bouche mince et droite et le menton bien en chair. Elle se drapait dans une sorte de robe ample et blanche. À côté d’elle un prêtre maigre et passionné lui parlait à l’oreille et levait continuellement un crucifix pour qu’elle l’eût en face des yeux. Elle tourna la tête, et regarda fixement, au-delà du crucifix, les trois hommes en noir qui étaient, je le pressentais, ses juges.

Les trois hommes se levèrent et dirent quelques mots que je n’entendis pas; c’était celui du milieu qui parlait. Puis ils sortirent de la pièce; les deux hommes aux portefeuilles les suivirent. Au même instant plusieurs individus vulgaires en justaucorps entrèrent dans la salle, retirèrent le tapis rouge, puis les planches qui constituaient l’estrade, bref mirent un peu d’ordre. Une fois cet écran disparu, je constatai la présence de meubles extraordinaires: l’un ressemblait à un lit avec des roulettes de bois à chaque bout et une manivelle pour en régler la longueur; un autre était un cheval de bois; il y avait également plusieurs cordes qui se balançaient par-dessus des poulies. On aurait dit un gymnase moderne.

Quand la salle fut prête, un nouveau personnage apparut sur la scène. C’était un homme grand et maigre, tout de noir vêtu. Sa figure décharnée et austère me fit frissonner. Ses habits luisaient de graisse et étaient couverts de taches. Il se comportait avec une dignité mesurée, impressionnante, comme si depuis son entrée il avait pris la direction des opérations. En dépit de son air de brute et de ses habits sordides, c’était maintenant son affaire à lui, sa salle à lui, et c’était à lui de commander. Son avant-bras gauche portait un rouleau de cordelettes, La dame le toisa d’un regard inquisiteur, mais sa physionomie ne s’altéra point: à l’assurance vint seulement s’ajouter un peu de défi. Le prêtre, lui, avait pâli; je vis la sueur perler sur son front haut et bombé; il joignit les mains pour prier; constamment il se penchait vers la dame pour lui murmurer des paroles d’exhortation.