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Le soir est venu. Et maintenant, après avoir dîné solitaire, j’écris ces lignes auprès de ma fenêtre ouverte. J’entends là-bas, en face, le petit orchestre du Casino qui joue des airs, comme un oiseau fou qui chanterait, tout seul, dans le désert.

Un chien aboie de temps en temps. Ce grand calme fait du bien. Bonsoir.

16 juillet. – Rien. J’ai pris un bain, plus une douche. J’ai bu trois verres d’eau et j’ai marché dans les allées du parc, un quart d’heure entre chaque verre, plus une demi-heure après le dernier. J’ai commencé mes vingt-cinq jours.

17 juillet. – Remarqué deux jolies femmes mystérieuses qui prennent leurs bains et leurs repas après tout le monde.

18 juillet. – Rien.

19 juillet. – Revu les deux jolies femmes. Elles ont du chic et un petit air je ne sais quoi qui me plaît beaucoup.

20 juillet. – Longue promenade dans un charmant vallon boisé jusqu’à l’Ermitage de Sans-Souci. Ce pays est délicieux, bien que triste, mais si calme, si doux, si vert. On rencontre par les chemins de montagne les voitures étroites chargées de foin que deux vaches traînent d’un pas lent, ou retiennent dans les descentes, avec un grand effort de leurs têtes liées ensemble. Un homme coiffé d’un grand chapeau noir les dirige avec une mince baguette en les touchant au flanc ou sur le front ; et souvent d’un simple geste, d’un geste énergique et grave, il les arrête brusquement quand la charge trop lourde précipite leur marche dans les descentes trop dures.

L’air est bon à boire dans ces vallons. Et s’il fait très chaud, la poussière porte une légère et vague odeur de vanille et d’étable ; car tant de vaches passent sur ces routes qu’elles y laissent partout un peu d’elles. Et cette odeur est un parfum, alors qu’elle serait une puanteur, venue d’autres animaux.

21 juillet. – Excursion au vallon d’Enval. C’est une gorge étroite enfermée en des rochers superbes au pied même de la montagne. Un ruisseau coule au milieu des rocs amoncelés.

Comme j’arrivais au fond de ce ravin, j’entendis des voix de femmes, et j’aperçus bientôt les deux dames mystérieuses de mon hôtel, qui causaient assises sur une pierre.

L’occasion me parut bonne et je me présentai sans hésitation. Mes ouvertures furent reçues sans embarras. Nous avons fait route ensemble pour revenir. Et nous avons parlé de Paris ; elles connaissent, paraît-il, beaucoup de gens que je connais aussi. Qui est-ce ?

Je les reverrai demain. Rien de plus amusant que ces rencontres-là.

22 juillet. – Journée passée presque entière avec les deux inconnues. Elles sont, ma foi, fort jolies, l’une brune et l’autre blonde. Elles se disent veuves. Hum ?...

Je leur ai proposé de les conduire à Royat demain, et elles ont accepté.

Châtel-Guyon est moins triste que je n’avais pensé en arrivant.

23 juillet. – Journée passée à Royat. Royat est un pâté d’hôtels au fond d’une vallée, à la porte de Clermont-Ferrand. Beaucoup de monde. Grand parc plein de mouvement. Superbe vue du Puy-de-Dôme aperçu au bout d’une perspective de vallons.

On s’occupe beaucoup de mes compagnes, ce qui me flatte. L’homme qui escorte une jolie femme se croit toujours coiffé d’une auréole ; à plus forte raison celui qui passe entre deux jolies femmes. Rien ne plaît autant que de dîner dans un restaurant bien fréquenté, avec une amie que tout le monde regarde ; et rien d’ailleurs n’est plus propre à poser un homme dans l’estime de ses voisins.

Aller au Bois, traîné par une rosse, ou sortir sur le boulevard, escorté par un laideron, sont les deux accidents les plus humiliants qui puissent frapper un cœur délicat, préoccupé de l’opinion des autres. De tous les luxes, la femme est le plus rare et le plus distingué, elle est celui qui coûte le plus cher, et qu’on nous envie le plus ; elle est donc aussi celui que nous devons aimer le mieux à étaler sous les yeux jaloux du public.

Montrer au monde une jolie femme à son bras, c’est exciter, d’un seul coup, toutes les jalousies ; c’est dire : “Voyez, je suis riche, puisque je possède cet objet rare et coûteux ; j’ai du goût, puisque j’ai su trouver cette perle ; peut-être même en suis-je aimé, à moins que je ne sois trompé par elle, ce qui prouverait encore que d’autres aussi la jugent charmante.”

Mais quelle honte que de promener par la ville une femme laide !

Et que de choses humiliantes cela laisse entendre !

En principe, on la suppose votre femme légitime, car comment admettre qu’on possède une vilaine maîtresse ? Une vraie femme peut être disgracieuse, mais sa laideur signifie alors mille choses désagréables pour vous. On vous croit d’abord notaire ou magistrat, ces deux professions ayant le monopole des épouses grotesques et bien dotées. Or, n’est-ce point pénible pour un homme ? Et puis cela semble crier au public que vous avez l’odieux courage et même l’obligation légale de caresser cette face ridicule et ce corps mal bâti, et que vous aurez sans doute l’impudeur de rendre mère cet être peu désirable, ce qui est bien le comble du ridicule.

24 juillet. – Je ne quitte plus les deux veuves inconnues que je commence à bien connaître. Ce pays est délicieux et notre hôtel excellent. Bonne saison. Le traitement me fait un bien infini.

25 juillet. – Promenade en landau au lac de Tazenat. Partie exquise et inattendue, décidée en déjeunant. Départ brusque en sortant de table. Après une longue route dans les montagnes, nous apercevons soudain un admirable petit lac, tout rond, tout bleu, clair comme du verre, et gîté dans le fond d’un ancien cratère. Un côté de cette cuve immense est aride, l’autre boisé. Au milieu des arbres une maisonnette où dort un homme aimable et spirituel, un sage qui passe ses jours dans ce lieu virgilien. Il nous ouvre sa demeure. Une idée me vient. Je crie : “Si on se baignait !... – Oui, dit-on, mais... des costumes.

— Bah ! Nous sommes au désert.”

Et on se baigne – ... – !

Si j’étais poète, comme je dirais cette vision inoubliable des corps jeunes et nus dans la transparence de l’eau ! La côte inclinée et haute enferme le lac immobile, luisant et rond comme une pièce d’argent ; le soleil y verse en pluie sa lumière chaude ; et le long des roches, la chair blonde glisse dans l’onde presque invisible où les nageuses semblent suspendues. Sur le sable du fond on voit passer l’ombre de leurs mouvements !