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C’était une fille de vingt ans, petite, un peu maigre, pâle, assez jolie, l’air gamin, les yeux rieurs sous des cheveux blonds mal peignés.

Le père Piquedent, ému, murmura :

« Quel métier, pour une femme ! Un vrai métier de cheval. »

Et il s’attendrit sur la misère du peuple. Il avait un cœur exalté de démocrate sentimental et il parlait des fatigues ouvrières avec des phrases de Jean-Jacques Rousseau et des larmoiements dans la gorge.

Le lendemain, comme nous étions accoudés à la même fenêtre, la même ouvrière nous aperçut et nous cria : « Bonjour les écoliers ! » d’une petite voix drôle, en nous faisant la nique avec ses mains.

Je lui jetai une cigarette, qu’elle se mit aussitôt à fumer. Et les quatre autres repasseuses se précipitèrent sur la porte, les mains tendues, afin d’en avoir aussi.

Et, chaque jour, un commerce d’amitié s’établit entre les travailleuses du dortoir et les fainéants de la pension.

Le père Piquedent était vraiment comique à voir. Il tremblait d’être aperçu, car il aurait pu perdre sa place, et il faisait des gestes timides et farces, toute une mimique d’amoureux sur la scène, à laquelle les femmes répondaient par une mitraille de baisers.

Une idée perfide me germait dans la tête. Un jour, en rentrant dans notre chambre, je dis, tout bas, au vieux pion :

« Vous ne croiriez pas, Monsieur Piquedent, j’ai rencontré la petite blanchisseuse ! Vous savez bien, celle au panier, et je lui ai parlé ! »

Il demanda, un peu troublé par le ton que j’avais pris :

« Que vous a-t-elle dit ?

— Elle m’a dit... mon Dieu... elle m’a dit... qu’elle vous trouvait très bien... Au fond, je crois... je crois... qu’elle est un peu amoureuse de vous... »

Je le vis pâlir ; il reprit :

« Elle se moque de moi, sans doute. Ces choses-là n’arrivent pas à mon âge. »

Je dis gravement :

« Pourquoi donc ? Vous êtes très bien ! »

Comme je le sentais touché par ma ruse, je n’insistai pas.

Mais, chaque jour, je prétendis avoir rencontré la petite et lui avoir parlé de lui ; si bien qu’il finit par me croire et par envoyer à l’ouvrière des baisers ardents et convaincus.

Or, il arriva qu’un matin, en me rendant à la pension, je la rencontrai vraiment. Je l’abordai sans hésiter comme si je la connaissais depuis dix ans.

« Bonjour, Mademoiselle. Vous allez bien ?

— Fort bien, Monsieur, je vous remercie.

— Voulez-vous une cigarette ?

— Oh ! Pas dans la rue.

— Vous la fumerez chez vous.

— Alors, je veux bien.

— Dites donc, Mademoiselle, vous ne savez pas ?

— Quoi donc, Monsieur ?

— Le vieux, mon vieux professeur

— Le père Piquedent ?

— Oui, le père Piquedent. Vous savez donc son nom ?

— Parbleu ! Eh bien ?

— Eh bien, il est amoureux de vous ! »

Elle se mit à rire comme une folle et s’écria :

« C’te blague !

— Mais non, ce n’est pas une blague. Il me parle de vous tout le temps des leçons. Je parie qu’il vous épousera, moi ! »

Elle cessa de rire. L’idée du mariage rend graves toutes les filles. Puis elle répéta incrédule :

« C’te blague !

— Je vous jure que c’est vrai. »

Elle ramassa son panier posé devant mes pieds :

« Eh bien ! Nous verrons », dit-elle.

Et elle s’en alla.

Aussitôt entré à la pension, je pris à part le père Piquedent :

« Il faut lui écrire ; elle est folle de vous. »

Et il écrivit une longue lettre doucement tendre, pleine de phrases et de périphrases, de métaphores et de comparaisons, de philosophie et de galanterie universitaire, un vrai chef-d’œuvre de grâce burlesque, que je me chargeai de remettre à la jeune personne.

Elle la lut avec gravité, avec émotion, puis elle murmura :

« Comme il écrit bien ! On voit qu’il a reçu de l’éducation ! C’est-il vrai qu’il m’épouserait ? »

Je répondis intrépidement :

« Parbleu ! Il en perd la tête.

— Alors il faut qu’il m’invite à dîner dimanche à l’île des Fleurs. »

Je promis qu’elle serait invitée.

Le père Piquedent fut très touché de tout ce que je lui racontai d’elle.

J’ajoutai :

« Elle vous aime, Monsieur Piquedent ; et je la crois une honnête fille. Il ne faut pas la séduire et l’abandonner ensuite ! »

Il répondit avec fermeté :

« Moi aussi je suis un honnête homme, mon ami. »

Je n’avais, je l’avoue, aucun projet. Je faisais une farce, une farce d’écolier, rien de plus. J’avais deviné la naïveté du vieux pion, son innocence et sa faiblesse. Je m’amusais sans me demander comment cela tournerait J’avais dix-huit ans, et je passais pour un madré farceur, au lycée, depuis longtemps déjà.

Donc il fut convenu que le père Piquedent et moi partirions en fiacre jusqu’au bac de la Queue-de-Vache, nous y trouverions Angèle, et je les ferais monter dans mon bateau, car je canotais en ce temps-là. Je les conduirais ensuite à l’île des Fleurs, où nous dînerions tous les trois. J’avais imposé ma présence, pour bien jouir de mon triomphe, et le vieux, acceptant ma combinaison, prouvait bien qu’il perdait la tête en effet en exposant ainsi sa place.

Quand nous arrivâmes au bac, où mon canot était amarré depuis le matin, j’aperçus dans l’herbe, ou plutôt au-dessus des hautes herbes de la berge, une ombrelle rouge énorme, pareille à un coquelicot monstrueux. Sous l’ombrelle nous attendait la petite blanchisseuse endimanchée. Je fus surpris ; elle était vraiment gentille, bien que pâlotte, et gracieuse, bien que d’allure un peu faubourienne.

Le père Piquedent lui tira son chapeau en s’inclinant. Elle lui tendit la main, et ils se regardèrent sans dire un mot. Puis ils montèrent dans mon bateau et je pris les rames.

Ils étaient assis côte à côte, sur le banc d’arrière.

Le vieux parla le premier :

« Voilà un joli temps, pour une promenade en barque. »

Elle murmura :

« Oh ! Oui. »

Elle laissait traîner sa main dans le courant, effleurant l’eau de ses doigts, qui soulevaient un mince filet transparent, pareil à une lame de verre. Cela faisait un bruit léger, un gentil clapot, le long du canot.

Quand on fut dans le restaurant, elle retrouva la parole, commanda le dîner : une friture, un poulet et de la salade ; puis elle nous entraîna dans l’île, qu’elle connaissait parfaitement.

Alors elle fut gaie, gamine et même assez moqueuse.

Jusqu’au dessert, il ne fut pas question d’amour. J’avais offert du champagne, et le père Piquedent était gris. Un peu partie elle-même elle l’appelait :

« Monsieur Piquenez. »

Il dit tout à coup :

« Mademoiselle, M. Raoul vous a communiqué mes sentiments. »

Elle devint sérieuse comme un juge.

« Oui, Monsieur ! »

— Y répondez-vous ?

— On ne répond jamais à ces questions-là ! »

Il soufflait d’émotion et reprit :

« Enfin, un jour viendra-t-il où je pourrai vous plaire ? »

Elle sourit :

« Gros bête ! Vous êtres très gentil.