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« Ecoutez, Irène... »

Elle se débattait, ne voulant plus rien entendre, les yeux pleins de larmes et balbutiant : « Laissez-moi ... Laissez-moi... Laissez-moi... »

Il la fit asseoir de force et s’agenouilla de nouveau devant elle, puis il tâcha, en accumulant les raisons et les conseils, de lui faire comprendre la folie et l’affreux danger de son projet. Il n’oublia rien de ce qu’il fallait dire pour la convaincre, cherchant, dans sa tendresse même, des motifs de persuasion.

Comme elle restait muette et glacée, il la pria, la supplia de l’écouter, de le croire, de suivre son avis.

Lorsqu’il eut fini de parier, elle répondit seulement :

« Etes-vous disposé à me laisser partir, maintenant ? Lâchez-moi, que je puisse me lever.

— Voyons, Irène...

— Voulez-vous me lâcher ?

— Irène... votre résolution est irrévocable ?

— Voulez-vous me lâcher !

— Dites-moi seulement si votre résolution, si votre folle résolution que vous regretterez amèrement est irrévocable ?

— Oui... Lâchez-moi.

— Alors, reste. Tu sais bien que tu es chez toi ici. Nous partirons demain matin. »

Elle se leva malgré lui, et, durement :

« Non. Il est trop tard. Je ne veux pas de sacrifice, je ne veux pas de dévouement.

— Peste. J’ai fait ce que je devais faire, j’ai dit ce que je devais dire. Je ne suis plus responsable envers toi. Ma conscience est tranquille. Exprime tes désirs et j’obéirai. »

Elle se rassit, le regarda longtemps, puis demanda, d’une voix très calme :

« Alors, explique.

— Quoi ? Que veux-tu que j’explique ?

— Tout... Tout ce que tu as pensé pour changer comme ça de résolution. Moi, alors, je verrai ce que je dois faire.

— Mais je n’ai rien pensé du tout. Je devais te prévenir que tu allais accomplir une folie. Tu persistes, je demande ma part de cette folie, et même je l’exige.

— Ça n’est pas naturel de changer d’avis si vite.

— Ecoute, ma chère amie. Il ne s’agit ici ni de sacrifice ni de dévouement. Le jour où j’ai compris que je t’aimais, je me suis dit ceci, que tous les amoureux devraient se dire dans le même cas :

« L’homme qui aime une femme, qui s’efforce de la conquérir, qui l’obtient et qui la prend, contracte vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis d’elle un engagement sacré. Il s’agit, bien entendu, d’une femme comme vous, et non d’une femme au cœur ouvert, au cœur facile.

« Le mariage, qui a une grande valeur sociale, une grande valeur légale, ne possède à mes yeux qu’une très légère valeur morale, étant données les conditions où il a lieu généralement.

« Donc, quand une femme, attachée par ce lien juridique, mais qui n’aime pas son mari, qui ne peut l’aimer, dont le cœur est libre, rencontre un homme qui lui plaît, et se donne à lui, quand un homme sans liaison prend une femme ainsi, je dis qu’ils s’engagent l’un vis-à-vis de l’autre, de par ce mutuel et libre consentement, bien plus que par le « oui » murmuré devant l’écharpe du maire.

« Je dis que, s’ils sont tous deux gens d’honneur, leur union doit être plus intime, plus forte, plus saine que si tous les sacrements l’avaient consacrée.

« Cette femme risque tout. Et c’est justement parce qu’elle le sait, parce qu’elle donne tout, son cœur, son corps, son âme, son honneur, sa vie, parce qu’elle a prévu toutes les misères, tous les dangers, toutes les catastrophes, parce qu’elle ose un acte hardi, un acte intrépide, parce qu’elle est préparée, décidée à tout braver, son mari qui peut la tuer et le monde qui peut la rejeter, c’est pour cela qu’elle est respectable dans son infidélité conjugale, c’est pour cela que son amant, en la prenant, croit avoir aussi tout prévu, et la préférer à tout, quoi qu’il arrive. Je n’ai plus rien à dire. J’ai parlé d’abord en homme sage qui devait vous prévenir, il ne reste plus en moi qu’un homme, celui qui vous aime. Ordonnez. »

Radieuse, elle lui ferma la bouche avec ses lèvres, et lui dit tout bas :

« Ce n’était pas vrai, chéri, il n’y a rien, mon mari ne se doute de rien. Mais je voulais voir, je voulais savoir ce que tu ferais, je voulais des... des étrennes... celles de ton cœur... d’autres étrennes que le collier de tantôt. Tu me les as données. Merci... merci... Dieu que je suis contente ! »

7 janvier 1887

Madame Hermet

Les fous m’attirent. Ces gens-là vivent dans un pays mystérieux de songes bizarres, dans ce nuage impénétrable de la démence où tout ce qu’ils ont vu sur la terre, tout ce qu’ils ont aimé, tout ce qu’ils ont fait recommence pour eux dans une existence imaginée en dehors de toutes les lois qui gouvernent les choses et régissent la pensée humaine.

Pour eux l’impossible n’existe plus, l’invraisemblable disparaît, le féerique devient constant et le surnaturel familier. Cette vieille barrière, la logique, cette vieille muraille, la raison, cette vieille rampe des idées, le bon sens, se brisent, s’abattent, s’écroulent devant leur imagination lâchée en liberté, échappée dans le pays illimité de la fantaisie, et qui va par bonds fabuleux sans que rien l’arrête. Pour eux tout arrive et tout peut arriver. Ils ne font point d’efforts pour vaincre les événements, dompter les résistances, renverser les obstacles. Il suffit d’un caprice de leur volonté illusionnante pour qu’ils soient princes, empereurs ou dieux, pour qu’ils possèdent toutes les richesses du monde, toutes les choses savoureuses de la vie, pour qu’ils jouissent de tous les plaisirs, pour qu’ils soient toujours forts, toujours beaux, toujours jeunes, toujours chéris ! Eux seuls peuvent être heureux sur la terre, car, pour eux, la Réalité n’existe plus. J’aime à me pencher sur leur esprit vagabond, comme on se penche sur un gouffre où bouillonne tout au fond un torrent inconnu, qui vient on ne sait d’où et va on ne sait où.

Mais à rien ne sert de se pencher sur ces crevasses, car jamais on ne pourra savoir d’où vient cette eau, où va cette eau. Après tout, ce n’est que de l’eau pareille à celle qui coule au grand jour, et la voir ne nous apprendrait pas grand-chose.

A rien ne sert non plus de se pencher sur l’esprit des fous, car leurs idées les plus bizarres ne sont, en somme, que des idées déjà connues, étranges seulement, parce qu’elles ne sont pas enchaînées par la Raison. Leur source capricieuse nous confond de surprise parce qu’on ne la voit pas jaillir. Il a suffi sans doute d’une petite pierre tombée dans son cours pour produire ces bouillonnements. Pourtant les fous m’attirent toujours, et toujours je reviens vers eux, appelé malgré moi par ce mystère banal de la démence.

Or, un jour, comme je visitais un de leurs asiles, le médecin qui me conduisait me dit :

« Tenez, je vais vous montrer un cas intéressant. »

Et il fit ouvrir une cellule où une femme âgée d’environ quarante ans, encore belle, assise dans un grand fauteuil, regardait avec obstination son visage dans une petite glace à main.

Dès qu’elle nous aperçut, elle se dressa, courut au fond de l’appartement chercher un voile jeté sur une chaise, s’enveloppa la figure avec grand soin, puis revint, en répondant d’un signe de tête à nos saluts.