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L’abbé répondait :

« Il n’est pas encore fixé, Madame. »

Or, un soir, l’abbé répondit : « Madame, votre fils est atteint de la petite vérole. »

Elle poussa un grand cri de peur, et se sauva.

Quand sa femme de chambre entra chez elle le lendemain, elle sentit d’abord dans la pièce une forte odeur de sucre brûlé, et elle trouva sa maîtresse, les yeux grands ouverts, le visage pâli par l’insomnie et grelottant d’angoisse dans son lit.

Mme Hermet demanda, dès que ses contrevents furent ouverts :

« Comment va Georges ?

— Oh ! Pas bien du tout aujourd’hui, Madame. »

Elle ne se leva qu’à midi, mangea deux œufs avec une tasse de thé, comme si elle-même eût été malade, puis elle sortit et s’informa chez un pharmacien des méthodes préservatrices contre la contagion de la petite vérole.

Elle ne rentra qu’à l’heure du dîner, chargée de fioles, et s’enferma aussitôt dans sa chambre, où elle s’imprégna de désinfectants.

L’abbé l’attendait dans la salle à manger.

Dès qu’elle l’aperçut, elle s’écria, d’une voix pleine d’émotion :

‘Eh bien ?

— Oh ! Pas mieux. Le docteur est fort inquiet. »

Elle se mit à pleurer, et ne put rien manger tant elle se sentait tourmentée.

Le lendemain, dès l’aurore, elle fit prendre des nouvelles, qui ne furent pas meilleures, et elle passa tout le jour dans sa chambre où fumaient de petits brasiers en répandant de fortes odeurs. Sa domestique, en outre, affirma qu’on l’entendit gémir pendant toute la soirée.

Une semaine entière se passa ainsi sans qu’elle fît autre chose que sortir une heure ou deux pour prendre l’air, vers le milieu de l’après-midi.

Elle demandait maintenant des nouvelles toutes les heures, et sanglotait quand elles étaient plus mauvaises.

Le onzième jour au matin, l’abbé, s’étant fait annoncer, entra chez elle, le visage grave et pâle et il dit, sans prendre le siège qu’elle lui offrait.

« Madame, votre fils est fort mal, et il désire vous voir. »

Elle se jeta sur les genoux en s’écriant :

« Ah ! Mon Dieu ! M ! Mon Dieu ! Je n’oserai jamais ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! Secourez-moi ! »

Le prêtre reprit :

« Le médecin garde peu d’espoir, Madame, et Georges vous attend ! »

Puis il sortit.

Deux heures plus tard, comme le jeune homme, se sentant mourir, demandait sa mère de nouveau, l’abbé rentra chez elle et la trouva toujours à genoux, pleurant toujours et répétant :

« Je ne veux pas... je ne veux pas... J’ai trop peur... je ne peux pas... »

Il essaya de la décider, de la fortifier, de l’entraîner. Il ne parvint qu’à lui donner une crise de nerfs qui dura longtemps et la fit hurler.

Le médecin étant revenu vers le soir, fut informé de cette lâcheté et déclara qu’il l’amènerait, lui, de gré ou de force. Mais après avoir essayé de tous les arguments, comme il la soulevait par la taille pour l’emporter près de son fils, elle saisit la porte et s’y cramponna avec tant de force qu’on ne put l’en arracher. Puis lorsqu’on l’eut lâchée, elle se prosterna aux pieds du médecin, en demandant pardon, en s’excusant d’être une misérable. Et elle criait : « Oh ! Il ne va pas mourir, dites-moi qu’il ne va pas mourir, je vous en prie, dites-lui que je l’aime, que je l’adore... »

Le jeune homme agonisait. Se voyant à ses derniers moments, il supplia qu’on décidât sa mère à lui dire adieu. Avec cette espèce de pressentiment qu’ont parfois les moribonds, il avait tout compris, tout deviné et il disait : « Si elle n’ose pas entrer, priez-la seulement de venir par le balcon jusqu’à ma fenêtre pour que je la voie, au moins, pour que je lui dise adieu d’un regard puisque je ne puis pas l’embrasser. »

Le médecin et l’abbé retournèrent encore vers cette femme : « Vous ne risquerez rien, affirmaient-ils, puisqu’il y aura une vitre entre vous et lui. »

Elle consentit, se couvrit la tête, prit un flacon de sels, fit trois pas sur le balcon, puis soudain, cachant sa figure dans ses mains, elle gémit : « Non... non... je n’oserai jamais le voir... jamais… j’ai trop de honte... j’ai trop peur... non, je ne peux pas. »

On voulut la traîner, mais elle tenait à pleines mains les barreaux et poussait de telles plaintes que les passants, dans la rue, levaient la tête.

Et le mourant attendait, les yeux tournés vers cette fenêtre, il attendait, pour mourir, qu’il eût vu une dernière fois la figure douce et bien-aimée, le visage sacré de sa mère.

Il attendit longtemps, et la nuit vint. Alors il se retourna vers le mur et ne prononça plus une parole.

Quand le jour parut, il était mort. Le lendemain, elle était folle.

18 janvier 1887

Le voyage du Horla

J’avais reçu, dans la matinée du 8 juillet, le télégramme que voici :

« Beau temps. Toujours mes prédictions. Frontières belges. Départ du matériel et du personnel à midi, au siège social. Commencement des manœuvres à trois heures. Ainsi donc je vous attends à l’usine à partir de cinq heures.

JOVIS. »

A cinq heures précises, j’entrais à l’usine à gaz de la Villette. On dirait les ruines colossales d’une ville de cyclopes. D’énormes et sombres avenues s’ouvrent entre les lourds gazomètres alignés l’un derrière l’autre, pareils à des colonnes monstrueuses, tronquées, inégalement hautes et qui portaient sans doute, autrefois, quelque effrayant édifice de fer.

Dans la cour d’entrée, gît le ballon, une grande galette de toile jaune, aplatie à terre, sous un filet. On appelle cela la mise en épervier ; et il a l’air, en effet, d’un vaste poisson pris et mort.

Deux ou trois cents personnes le regardent, assises ou debout, ou bien examinent la nacelle, un joli panier carré, un panier à chair humaine qui porte sur son flanc, en lettres d’or, dans une plaque d’acajou : Le Horla.

On se précipite soudain, car le gaz pénètre enfin dans le ballon par un long tube de toile jaune qui rampe sur le sol, se gonfle, palpite comme un ver démesuré. Mais une autre pensée, une autre image frappent tous les yeux et tous les esprits. C’est ainsi que la nature elle-même nourrit les êtres jusqu’à leur naissance. La bête qui s’envolera tout à l’heure commence à se soulever, et les aides du capitaine Jovis, à mesure que Le Horla grossit, étendent et mettent en place le filet qui le couvre, de façon à ce que la pression soit bien régulière et également répartie sur tous les points.

Cette opération est fort délicate et fort importante ; car la résistance de la toile de coton, si mince, dont est fait l’aérostat, est calculée en raison de l’étendue du contact de cette toile avec le filet aux mailles serrées qui portera la nacelle.

Le Horla, d’ailleurs, a été dessiné par M. Mallet, construit sous ses yeux et par lui. Tout a été fait dans les ateliers de M Jovis, par le personnel actif de la société, et rien au-dehors.

Ajoutons que tout est nouveau dans ce ballon, depuis le vernis jusqu’à la soupape, ces deux choses essentielles de l’aérostation. Il doit rendre la toile impénétrable au gaz, comme les flancs d’un navire sont impénétrables à l’eau. Les anciens vernis à base d’huile de lin avaient double inconvénient de fermenter et de brûler la toile qui, en peu de temps, se déchirait comme du papier.