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M. C..., riant. — C’est drôle, mais c’est une fable.

Mme A... — Non, mon cher. On est féroce en paroles tant qu’on se croit sûr qu’Elle est sage. On dit, et on pense, oui, on pense sincèrement qu’on tuera, sans hésiter. Mais au jour de la découverte, on demeure atterré... hésitant..., on pèse les conséquences... et on referme l’armoire en disant : « Rien nulle part, je m’étais trompé. »

Mme B... — Avez-vous quelquefois songé à ce que deviennent les lettres d’amour ?

M. C... — Oui, on les rend, après rupture.

Mme B... — Mais les autres ?

M. C... — Quelles autres ?

Mme B... — Une de mes amies est morte dernièrement, qui devait en avoir beaucoup... et... de mains différentes. Il est indubitable que le mari les a trouvées... et... il pleure sa femme plus que jamais sur le cœur de ses amis.

M. C... — Oh ! Après le décès, on peut être indulgent.

Mme A... — Moi, je n’ai jamais trompé mon mari, et pourtant Dieu sait s’il est laid !

Mme B... Alors... comment faites-vous, ma chère ?

Mme A... — Mon Dieu ! Quand il m’embrasse, je ferme les yeux et je pense... à quelque autre.

29 novembre 1887

L'homme de Mars

J’étais en train de travailler quand mon domestique annonça :

« Monsieur, c’est un monsieur qui demande à parler à Monsieur.

— Faites entrer. » J’aperçus un petit homme qui saluait. Il avait l’air d’un chétif maître d’études à lunettes, dont le corps fluet n’adhérait de nulle part à ses vêtements trop larges.

Il balbutia :

« Je vous demande pardon, Monsieur, bien pardon de vous déranger. » Je dis :

« Asseyez-vous, Monsieur. » Il s’assit et reprit :

« Mon Dieu, Monsieur, je suis très troublé par la démarche que j’entreprends. Mais il fallait absolument que je visse quelqu’un, il n’y avait que vous... que vous... Enfin, j’ai pris du courage... mais vraiment... je n’ose plus.

— Osez donc, Monsieur.

— Voilà, Monsieur, c’est que, dès que j’aurai commencé à parler, vous allez me prendre pour un fou.

— Mon Dieu, Monsieur, cela dépend de ce que vous allez me dire.

— Justement, Monsieur, ce que je vais vous dire est bizarre. Mais je vous prie de considérer que je ne suis pas fou, précisément par cela même que je constate l’étrangeté de ma confidence.

— Eh bien, Monsieur, allez.

— Non, Monsieur, je ne suis pas fou, mais j’ai l’air fou des hommes qui ont réfléchi plus que les autres et qui ont franchi un peu, si peu, les barrières de la pensée moyenne. Songez donc, Monsieur, que personne ne pense à rien dans ce monde. Chacun s’occupe de ses affaires, de sa fortune, de ses plaisirs, de sa vie enfin, ou de petites bêtises amusantes comme le théâtre, la peinture, la musique ou de la politique, la plus vaste des niaiseries, ou de questions industrielles. Mais qui donc pense ? Qui donc ? Personne ! Oh ! Je m’emballe ! Pardon. Je retourne à mes moutons.

« Voilà cinq ans que je viens ici, Monsieur. Vous ne me connaissez pas, mais moi je vous connais très bien... Je ne me mêle jamais au public de votre plage ou de votre casino. Je vis sur les falaises, j’adore positivement ces falaises d’Etretat. Je n’en connais pas de plus belles, de plus saines. Je veux dire saines pour l’esprit. C’est une admirable route entre le ciel et la mer, une route de gazon, qui court sur cette grande muraille, au bord de la terre, au-dessus de l’Océan.

Mes meilleurs jours sont ceux que j’ai passés, étendu sur une pente d’herbes, en plein soleil, à cent mètres au-dessus des vagues, à rêver. Me comprenez-vous ?

— Oui, Monsieur, parfaitement.

— Maintenant, voulez-vous me permettre de vous poser une question ?

— Posez, Monsieur.

— Croyez-vous que les autres planètes soient habitées ? »

Je répondis sans hésiter et sans paraître surpris :

« Mais, certainement, je le crois. » Il fut ému d’une joie véhémente, se leva, se rassit, saisi par l’envie évidente de me serrer dans ses bras, et il s’écria :

« Ah-ah ! Quelle chance ! Quel bonheur ! Je respire ! Mais comment ai-je pu douter de vous ? Un homme ne serait pas intelligent s’il ne croyait pas les mondes habités. Il faut être un sot, un crétin, un idiot, une brute, pour supposer que les milliards d’univers brillent et tournent uniquement pour amuser et étonner l’homme, cet insecte imbécile, pour ne pas comprendre que la terre n’est rien qu’une poussière invisible dans la poussière des mondes, que notre système tout entier n’est rien que quelques molécules de vie sidérale qui mourront bientôt. Regardez la Voie lactée, ce fleuve d’étoiles, et songez que ce n’est rien qu’une tache dans l’étendue qui est infinie. Songez à cela seulement dix minutes et vous comprendrez pourquoi nous ne savons rien, nous ne devinons rien, nous ne comprenons rien. Nous ne connaissons qu’un point, nous ne savons rien au-delà, rien au-dehors, rien de nulle part, et nous croyons, et nous affirmons. Ah-ah-ah ! ! ! S’il nous était révélé tout à coup, ce secret de la grande vie ultra-terrestre, quel étonnement ! Mais non... mais non... je suis une bête à mon tour, nous ne le comprendrions pas, car notre esprit n’est fait que pour comprendre les choses de cette terre ; il ne peut s’étendre plus loin, il est limité, comme notre vie, enchaîné sur cette petite boule qui nous porte, et il juge tout par comparaison. Voyez donc, Monsieur, comme tout le monde est sot, étroit et persuadé de la puissance de notre intelligence, qui dépasse à peine l’instinct des animaux. Nous n’avons même pas la faculté de percevoir notre infirmité, nous sommes faits pour savoir le prix du beurre et du blé, et, au plus, pour discuter sur la valeur de deux chevaux, de deux bateaux, de deux ministres ou de deux artistes.

« C’est tout. Nous sommes aptes tout juste à cultiver la terre et à nous servir maladroitement de ce qui est dessus. A peine commençons-nous à construire des machines qui marchent, nous nous étonnons comme des enfants à chaque découverte que nous aurions dû faire depuis des siècles, si nous avions été des êtres supérieurs. Nous sommes encore entourés d’inconnu, même en ce moment où il a fallu des milliers d’années de vie intelligente pour soupçonner l’électricité. Sommes-nous du même avis ? » Je répondis en riant :

« Oui, Monsieur.

— Très bien, alors. Eh bien, Monsieur, vous êtes-vous quelquefois occupé de Mars ?

— De Mars ?

— Oui, de la planète Mars.

— Non, Monsieur.

— Voulez-vous me permettre de vous en dire quelques mots ?

— Mais oui, Monsieur, avec grand plaisir.

— Vous savez sans doute que les mondes de notre système, de notre petite famille, ont été formés par la condensation en globes d’anneaux gazeux primitifs, détachés l’un après l’autre de la nébuleuse solaire ?

— Oui, Monsieur.

— Il résulte de cela que les planètes les plus éloignées sont les plus vieilles, et doivent être, par conséquent, les plus civilisées. Voici l’ordre de leur naissance : Uranus, Saturne, Jupiter, Mars, la Terre, Vénus, Mercure. Voulez-vous admettre que ces planètes soient habitées comme la Terre ?