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Albert Robida

Contes pour les bibliophiles

DÉDICACE. m

définitif qu'un Anglais disciple moderne de Sterne nommerait le Public pier de Publishing city, c'est à votre constance, à votre bienveillante amitié^ à votre angélique patience que je le dois, car votre collaboration n'a pas co?i?tu d'obstacles ; elle fut alerte, prodigue, accélérée^ miséricordieuse. En effet, tandis que, d'une allure de podagre, /écrivais le Bibliothécaire Van Der Bœcken, de Rotterdam; les Romantiques inconnus, la Fin des livres, TEnfer du chevalier Kérhany, Histoires de Momies et deux ou trois autres contes qui ne sont au demeurant que des souvenirs personnels narrés sur le mode égotique^ des haïssables historiens du moi moderne, vous terminiez le reste impétueusement avec une verve, un entrain, une modestie sommante qui épaississaient chaque jour davafttage la cuirasse d'estime dont se revêt, avec tant de sincère conviction^ ma batailleuse amitié pour vous.

Et quels plaisants dessins que les vôtres, mon brave Robida, lorsque d'une plume ou d'un crayon mordants, qui se ruent à l'assaut du papier virginal, vous pastiche:^ à plaisir les Johannot, les Déveria, les Nanteuil, les Carie Vernet, les imagiers d'Epinal de V Empire, les vignettistes allemands ou les petits-maîtres du dernier siècle? Vous déroute^ positivement, dans ces fresques hors texte du livre, le public de demi-connaisseurs, c'est-à-dire le grand public, car votre science imperturbable de la manière d'au-trui et d'autrefois surprend vos nombreux admirateurs, qui vous tiennent peut-être rigueur de votre extrême sagacité comme on est déconcerté par un pince-sans-rire inquiétant.

Vous Vavie:{ déjà troublé, ce bon public, par vos voyages fantaisistes et vos itinéraires sérieux, par vos romans à panaches, par votre extravagant Vingtième siècle, par vos piquantes caricatures modernes, par tant de cordes vibrantes que vous ave:{ su mettre en harmonie sur votre lyre universelle; il est un peu en défiance vis-à-vis de vous, ce débonnaire public, car il n'apprécie et ne célèbre que les spécialistes, les hommes qui fournissent une note toujours répétée, les vendeurs d'un même cru, faciles à étiqueter et cataloguer dans sa mémoire; les carillonneurs fidèles aux symphonies réitérées de leur métal idrosyncratique; les autres, les talents multiformes et impétueux, qui, comme vous^ brisent les cadres et les moules qu'on leur assigne et qui s'en vont, à leur fantaisie, errer sur le clavier des arts et des lettres, l'horripilent dans ses notions d^ordre, de méthode et de classification.

Avec vous, au moins, c'est toujours à recommencer; vous dérange:{ les petits papiers de vos bibliographes, vous êtes la couleuvre fugitive de votre propre dossier.

Ici, toutefois, mon excellent camarade, nous serons, je m'en réjouis, à deux pour affronter ce public méthodique etjidèîe à ses habitudes; souhaitons qu'il tious accueille favorablement l'un portant l'autre; mais, à son ne^, à sa barbe, je tiens à vous dire de nouveau merci, et à vous donner l'accolade de gratitude selon les rites des anciens combattants dans les grands spectacles impériaux.

Maintenant, cher ami, la main dans la main, pénétrons dans l'arène, livrons-nous aux griffes des gens d'esprit, qui ne sont souvent que de simples bonnes bétes, comme a dit Beaumarchais, mais n'oublions pas qu'il est plus difficile de les émouvoir ou de les exciter que de les dompter.

Au sortir de cette démonstration publique, remontons sur nos galères respectives et cinglons au large; mais, quelles que soient les rives lointaines où nous abordions par la suite, croye:^, ami très cher, que je conserverai l'impérissable souvenir de cette croisière dans l'archipel de la fantaisie que je viens si fraternellement d'accomplir à vos côtés.

valu jadis (les volumes et non les politiques) sept jolis francs et cinquante centimes.

C'était un pauvre petit volume broché de Tantique Almanach des Muses, qui n'avait rien de bien attirant, étant très peu frais, mais qui portait dans le frontispice gravé du titre, au-dessous des Amours armés d'arcs et de flèches, au-dessus de la tête laurée d'Apollon, les quatre chiffres de la date fatidique 1789. — Le contraste entre ces Muses, les guirlandes de Aeurs, les souriants petits Amours et les idées moins roses qu'évoquait la date du grand bouleversement, fit ouvrir d'abord ce volume avec une curiosité un peu mélancolique.

Le temps était gris et froid, des nuées montaient dans le ciel triste, et les aigres souffles d'une bise de novembre mêlée de gouttes de pluie fouettaient le visage des passants et les couvercles des boîtes à livres. Fallait-il pour douze sous laisser grelotter les innocents Amours de cet Almanach des Muses, dernière fleur éclose jadis au bord du précipice? Pouvait>on les laisser sous Tondée menaçante fondre et périr déRnitivemeni peut-être? L'achat sentimental du pauvre petit bouquin fut donc une bonne action, une espèce de sauvetage, et vraiment le sauveteur n'eut pas à le regretter, malgré les apparences, quand il examina l'objet au coin de la cheminée.

L'habit, ou plutôt ce qui restait de l'habit de ce volume, montrait la corde; le dos, recouvert encore par places d'un papier à fleurs bleues, laissait passer et pendre les ficelles du brochage ; les feuillets de garde n'existaient plus, et les coins de pages usés et jaunis se roulaient et se recroquevillaient lamentablement; et cependant, sous son désastreux aspect de personne distinguée tombée dans le malheur, ce dernier représentant des Muses gracieuses d'avant le cataclysme conservait quelque chose de particulier et de point banal.

Il avait vécu, il avait été lu, feuilleté; il était l'ultime sourire d'une société heureuse sur qui tout à coup les catastrophes allaient tomber; sans doute, mais, en plus de cela, cette épave des coquetteries de jadis gardait un air discret et presque mystérieux de livre qui aurait conservé le culte de son secret.

Tout d'abord, d'une sone de sachet fait de deux pages légèrement collées sur les marges et ouvertes avec précaution, un ruban déteint, fané, décoloré, un ruban dont on n'aurait pu difficilement discerner la couleur primitive, rose ou violette, et deux cheveux longs, fins et blonds, avaient glissé. Trouver un ruban, une Aeur ou même une tresse de cheveux dans un vieux livre, cela n'a rien de bien rare; ce fut sans doute la date de l'almanach, 1789, qui fit regarder un instant avec émotion par le fureteur et ensuite replacer dans le sachet, oU ils étaient restés pressés pendant tant d'années, ces cheveux et ce ruban fané. Mais en feuilletant le livre avec un intérêt déjà vaguement éveillé, des annotations au crayon apparurent de page en page, des renvois sautant aux yeux, des vers soulignés qui semblaient se répondre. En suivant avec ordre les indications crayonnées : « Page iSga ou «Voir réponse p. 28 -, en sautant d'une épigramme do chevalier de P... « contre un auteur qui avoit fait supprimer des écrits où il éioit maltraité >, à un impromptu de M. Marmoniel, secrétaire perpétuel de l'Académie française, « à M"" la comtesse de F... qui venoit de jouer de la harpe », en passant d'une ode anacréontique de M. le comte d'Aguilar, capitaine au régiment Royal-Pologne-Cavalerie, à Sophie abandonnée, chanson par M, Carnot, capitaine au corps royal du génie, de l'Académie de Dijon, à travers les deux cents pièces plus ou moins gracieusement rimées de ce recueil aimé des classes versifiantes, — bourgeoisie lettrée ou aristocratie pinçant de la petite lyre, — peu à peu l'ensemble des vers soulignés parut constituer une sorte de dialogue entre deux lecteurs, ou plutôt entre un lecteur et une lectrice qui se repassaient le livre l'un à l'autre et causaient avec une certaine animation d'abord, puis plus doucement, par l'organe des poètes de l'almanach, en empruntant sans façon la lyre de M. de Florian, de l'Académie française, celle du « petit vieillard >, de la baronne de Bourdic ou de M. de Cubières, écuyer de M"** la comtesse d^Artois, auteur de la pièce qui clôt VAlmanach de ijSg^ un petit poème intitulé les États généraux de Cythèrej et commençant ainsi :