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Les bergers n'allaient plus sur les vertes fougères

Célébrer les appas de leurs jeunes bergères ;

Les plaisirs et les jeux n'habitaient plus les champs...

Hélas! ils allaient avoir bien autre chose à faire, les bons bergers; ils allaient avoir à prendre le fusil pour les levées en masses prochaines^ et les jeunes bergères pouvaient se préparer à pleurer.

La méthode est une belle chose; avec un peu de patience, en remontant de réponse en réponse, grâce aux indications « voir page tant », les premières phrases du dialogue furent retrouvées, et elles fournissaient une indication bien précise sur la qualité des dialogueurs et leur état d'esprit.

La conversation s^ouvrait ainsi :

Après un long éloignement,

Votre présence fortunée

Me rend ici l'enchantement...

En marge de ces vers, annotation d^une main féminine : « Réponse page 80 ». La page trouvée, réponse delà bergère au berger :

Pleins d'inconstance et de légèreté, lis se lassent bientôt de la même bergère;

Leur amour n'est que vanité :

A peine sont-ils sûrs de plaire, Qu'ils vont porter ailleurs leur infidélité.

Oh! ohl pas le moindre doute, c^est une dispute, une vive et jolie querelle d^amour, dont Pécho endormi se réveille après cent ans écoulés, alors que les disputeurs sont depuis longtemps redevenus poussière. Pauvres amoureux d^autrefois, prétons une indiscrète mais sympathique oreille aux reproches, aux protestations, aux transports rimes quMls empruntent aux poètes de VAlmanach des Muses,

II

Dans un espace blanc, sous la liste des fâtes mobiles pour l'an 1789, deux lignes écrites d'une encre jaunie à peine visible maintenant, tombant sous les yeux du fureteur, éclairèrent tout à coup la scène et permirent de placer les personnages devinés dans un cadre connu :

a 5. de L..., château des Islettes, à BeauvaL »

Et plus bas, d'une autre écriture :

Pornic, ijg3. »

Les Islettes! Beauval! deux noms familiers. Le dernier n'évoque d'abord que l'idée d'une vulgaire ville de fabriques à quelque trente lieues de Paris, une ville de noires usines, de cheminées de briques crachant dans le ciel bleu destourbillonsde fumée sale, une petite ville jadis riante et gaie, parée d'un manteau de verdure et traversée par une petite rivière qui se contentait alors de faire tourner, en les lutinant au passage, les roues d'innocents moulins à farine, aujourd'hui pauvre petite ville noircie, bruyante, respirant l'huile chaude et le charbon de terre, vouée au dur travail, secouée par les courroies de transmission, les chaudières, les pistons, haletant sous les griffes de fer du monstre moderne Industrie.

Mais Beauval, le Beauval de jadis, fut une douce ville se laissant vivre joyeusement au soleil, et le château des Islettes, à deux kilomètres du centre usinier d'aujourd'hui, garda jusqu'en ces dernières années, avant le morcelage et le lotissement de son grand parc, son caractère de petit château xviii* siècle, réunissant à la fois, dans un cadre de charmilles et de jardins, l'idéal de Boucher et celui de Rousseau.

Voici les Islettes de jadis, les Islettes d'il y a quelques années encore :

A l'extrémité d'une avenue d'ormes chenus, un pont jeté sur un bras de petite rivière qui coule lentement sous les roseaux, les grandes herbes et les plaques jaunes des nénuphars, et au bout du pont une vieille grille de fer d'un dessin rococo, flanquée de deux énormes masses vertes qui sont les ruines de deux grands vases de pierre disparaissant sous un fouillis de lierre, de ronces et de plantes folles grimpant jusque-là du lit de la rivière. Le pont manque un peu de solidité, mais ses lézardes sont masquées par des lianes qui brodent de verdure te parapet branlant. Du côté du parc, une terrasse également lézardée trempant dans l'eau montre une ligne de balustres un peu ébréchèe, avec d'autres boules vertes qui furent des vases décoratifs, et de vieilles charmilles devenues un inextricable enchevêtrement de vigne vierge, de clématite, de chèvrefeuille, d^aristoloches.

Cette terrasse s^arréte à quelque vingt-cinq mètres, pour laisser passer un autre bras de la rivière qui court dans le parc, dessine des méandres capricieux à travers une prairie, passe sous des ponts rustiqties et forme de petites îles gracieuses, les IsletteSy qui ont donné le nom au château. L^une de ces islettes montrait, sortant d^un taillis bien peigné, un petit édicule ionique baptisé le Temple de la Nature^ qui formait le pendant d^une vieille petite chapelle toute neuve, d^un faux style gothique, appelée VErmitage de la tendre Hélo'ise. Dans une troisième île plus petite, au sommet d'une grotte de rocaille, un petit Cupidon, inscrivant le mot Amour sur un cippe de marbre encadré de lierre, complétait Pensemble : la Nature, la Religion, TAmour! En ces dernières années, il ne restait plus de Cupidon qu^une jambe verdie par la mousse, mais Pinscription était encore visible, ou plutôt les inscriptions, car à un certain moment Tinscription Amour fut grattée et remplacée par P/ri-losophie, laquelle ne triompha pas longtemps, car, depuis 93 sans doute, le pauvre Cupidon, sans-culotte inconscient, inscrivait gravement sur son cippe le mot Civisme!

Le château s^aperçoit derrière une rangée d^ifs taillés; c^est une très simple bâtisse, une longue façade sans profondeur, avec un pavillon central à fronton et deux pavillons d^angle un peu en avant-corps, décorés de pilastres entre les hautes fenêtres à petits carreaux. Un seul étage en grande partie mansardé et prenant une bonne partie des combles.

En arrivant par le pont, on aperçoit, à travers le vitrage de la porte, les verdures du parc de Tautre côté; et, le soir, quand, derrière les massifs arrondis, derrière les peupliers des prés, le soleil se couche, le château paraît transparent et illuminé du haut en bas; il redevient presque jeune, presque gai, et perd pour un instant son aspect de maison oubliée languissant dans les mélancolies de la vieillesse.

Voici le cadre; fermons un instant les yeux, et reportons-nous à cent ans en arrière, quand tout cela était jeune, les ifs, les charmilles et le château, alors que cet Almanach des Muses^ dans toute la fraîcheur de son papier, était lu sous ces ombrages par de jolis yeux et manié par de gracieuses mains serties de dentelles. Les personnages, on les devine, on les voit. Ce fut par un bel après-midi d'été, en juillet, peut-être le 14, un mardi consacré dans le calendrier, — plaisanterie du hasard, — à saint Bonavemure, sous cette charmille à présent vermoulue, que commença le dialogue à coups de versiculets entre Elle et Lui.

Ils sont là tous les deux. Elle allongée languissamment sur le banc de bois, le coi, légèrement décolleté, caressé par de petits éclats de soleil et chatouillé par des bouquets de chèvrefeuille ; Lui assis à quelque distance, l'air nerveux, et tapotant d'une main distraite sur la table du jardin peinte en vert tendre.

Piqué par Tironie des reproches sans doute mérités, ceux-là seuls qui touchent, il a pris IMimJfwcA dw A/«5es, et, cherchant une réponse, il n'a trouvé à souligner que ces deux pauvres vers d'un quatrain de M. le marquis de Fulvy :

Ce doit être un bien triste vceu Que le vœu de plaisanterie!

Contre cette accusation de gaieté, Elle, secouant tristement la tête, a tout aussitôt protesté par ce vers pris dans une pièce du Petit Veillard, adressée

A Monsieur '"

Qui me faisait compliment sur ma prétendue gaieté ;

Je n'ai de la gaieté que comme on a la tîèvre.