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SICINIUS. – Qu’il ait pitié de nous, si tout ce que vous dites est vrai!

MÉNÉNIUS. – Je le peins d’après son caractère. Vous verrez quelle grâce aura obtenue sa mère. Il n’y a pas plus de pitié en lui qu’il n’y a de lait dans un tigre: notre pauvre Rome en va faire l’épreuve; et voilà ce qui vous doit être imputé.

SICINIUS. – Que les dieux nous soient propices!

MÉNÉNIUS. – Non; les dieux refuseront de nous être propices dans une telle circonstance. Quand nous l’avons banni, nous n’avons pas respecté les dieux, et quand il reviendra pour nous casser le cou, les dieux n’auront aucun égard pour nous.

(Entre un messager.)

LE MESSAGER. – Tribun, si vous voulez sauver votre vie, fuyez dans votre maison; les plébéiens ont saisi votre collègue, ils le traînent en jurant tous que si les dames romaines ne rapportent pas des nouvelles consolantes, ils le feront mourir à petit feu.

(Entre un second messager.)

SICINIUS. – Quelles nouvelles?

LE MESSAGER. – De bonnes nouvelles, de bonnes nouvelles! Nos dames l’ont emporté; les Volsques se retirent, et Marcius est parti avec eux. Rome n’a jamais vu de plus heureux jour, non, pas même celui où les Tarquins furent chassés?

SICINIUS. – Ami, es-tu bien certain que ta nouvelle est vraie? En es-tu bien sûr?

LE MESSAGER. – J’en suis sûr, comme il est sûr que le soleil est un astre de feu. Où étiez-vous donc caché, pour en douter encore? Jamais fleuve ne précipita ses flots sous les voûtes d’un pont avec autant de rapidité que la foule du peuple consolé qui vient de rentrer dans les portes de Rome. Tenez, entendez-vous?… (On entend les trompettes, les hautbois et les tambours auxquels se mêlent des acclamations.) Les trompettes, les flûtes, les psaltérions, les fifres, les tambours, les cymbales et les acclamations des Romains font danser le soleil. Entendez-vous?

(On entend des acclamations.)

MÉNÉNIUS. – Voici d’heureuses nouvelles! Je veux aller au-devant de nos Romaines. Cette Volumnie vaut à elle seule une ville entière de consuls, de sénateurs, de patriciens… et de tribuns comme vous; oh! toute une terre et toute une mer remplies! Vous avez fait aujourd’hui d’heureuses prières. Ce matin je n’aurais pas donné une obole pour dix mille de vos têtes. Écoutez, quelle allégresse!

(Les instruments et les cris continuent.)

SICINIUS, au messager. – Que les dieux te récompensent de tes bonnes nouvelles; reçois le témoignage de ma reconnaissance.

LE MESSAGER. – Nous avons tous grand sujet de rendre aux dieux de vives actions de grâces.

SICINIUS. – Sont-elles bien près des portes?

LE MESSAGER. – Sur le point d’entrer dans la ville.

SICINIUS. – Allons au-devant d’elles: allons augmenter de notre joie la joie publique.

(Ils sortent.)

(Les dames entrent accompagnées par les sénateurs, les patriciens et le peuple. Le cortège défile sur le théâtre.)

UN SÉNATEUR. – Voyez notre patronne, celle qui a rendu la vie à Rome: convoquez toutes les tribus; qu’on remercie les dieux, et qu’on allume des feux de joie: semez des fleurs devant elles; surmontez par vos cris de reconnaissance les cris d’injustice qui bannirent Marcius: rappelez le fils par vos acclamations au retour de la mère; criez tous: Salut, nobles dames, salut!

TOUS ensemble répètent et crient. – Salut, nobles dames, salut!

(Fanfares et tambours. – Ils sortent.)

SCÈNE V

La place publique d’Antium.

TULLUS AUFIDIUS paraît au milieu de sa suite.

AUFIDIUS, à un officier. – Allez, annoncez aux nobles de l’État que je suis arrivé: remettez-leur ce papier; et, quand ils l’auront lu, dites-leur de se rendre à la place publique, où je confirmerai la vérité de cet écrit devant eux et devant le peuple assemblé. Celui que j’accuse est déjà rentré dans la ville par cette porte, et il se propose de paraître devant le peuple, espérant se justifier avec des paroles. Hâtez-vous. (À trois ou quatre conspirateurs de la faction d’Aufidius qui viennent au-devant de lui.) Soyez les bienvenus.

PREMIER CONJURÉ. – En quel état est notre général?

AUFIDIUS. – Dans l’état d’homme empoisonné par ses propres aumônes, et tué par sa charité.

SECOND CONJURÉ. – Très-noble seigneur, si vous persistez dans le projet auquel vous avez désiré de nous associer, nous vous délivrerons du danger qui vous menace.

AUFIDIUS. – Je ne puis encore rien décider: nous agirons selon que nous trouverons le peuple disposé.

TROISIÈME CONJURÉ. – Tant qu’il y aura de la division entre Marcius et vous, le peuple flottera incertain: mais la chute de l’un rendra le survivant héritier de toute sa faveur.

AUFIDIUS. – Je le sais; et mon plan, pour trouver un prétexte de le frapper, est bien arrangé. – Je l’ai relevé dans sa disgrâce, j’ai engagé mon honneur pour garant de sa foi. Marcius, ainsi comblé d’honneur, a arrosé de flatteries ses nouvelles plantations; il a caressé et séduit mes amis, et c’est dans cette vue qu’il a plié son caractère, qu’on avait toujours connu auparavant pour être rude, indépendant et indomptable.

TROISIÈME CONJURÉ. – Telle était sa roideur quand il briguait le consulat, qu’il le perdit en refusant de fléchir.

AUFIDIUS. – C’est ce dont j’allais parler. Banni pour son orgueil, il est venu dans ma maison offrir sa tête à mon glaive: je l’ai accueilli, je l’ai associé à ma fortune, j’ai donné un libre cours à tous ses désirs; j’ai fait plus: je l’ai laissé, pour accomplir ses projets, choisir dans mon armée mes meilleurs et mes plus vigoureux soldats; j’ai servi ses desseins aux dépens de ma propre personne; je l’ai aidé à recueillir une renommée qu’il s’est appropriée tout entière, et j’ai mis de l’orgueil à me nuire ainsi à moi-même, si bien qu’à la fin j’ai pu être pris pour son subordonné et non son égal, et qu’il m’a traité de l’air qu’on prend avec un mercenaire.

PREMIER CONJURÉ. – Voilà en effet son procédé: l’armée en a été étonnée, et pour dernier trait, lorsqu’il était maître de Rome, et que nous nous attendions au butin et à la gloire…

AUFIDIUS. – Oui, et c’est sur ce point que je l’attaquerai avec toute l’habileté dont je serai capable. Pour quelques larmes de femme qu’on obtient aussi facilement que des mensonges, il a vendu tout le sang versé et tous les travaux qu’avait coûtés notre grande entreprise. C’est pour cela qu’il mourra, et je me rajeunirai par sa chute. Mais écoutons.

(On entend le bruit des instruments militaires et les cris du peuple.)

PREMIER CONJURÉ. – Vous êtes entré dans notre ville natale comme un poteau, sans que personne vous ait fait accueil; mais il revient en fatiguant l’air par le bruit qu’il cause.

SECOND CONJURÉ. – Et tout ce peuple stupide, dont il a tué les enfants, s’enroue lâchement à célébrer sa gloire.