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Mais ce qu’il voyait là n’avait rien de trivial. Il ne put s’interdire un soupir exaspéré en consultant les premiers relevés, ce qui lui valut des regards intrigués. « Logistique », expliqua-t-il succinctement à Desjani.

Elle hocha la tête. « Les cellules d’énergie de l’Indomptable commencent à passer dans le rouge.

— Cela, je le savais. Mais je ne m’étais pas rendu compte que celles du reste de la flotte étaient elles aussi en dessous du niveau recommandé. » Geary vérifia un autre relevé et secoua de nouveau la tête. « Idem pour les munitions. Nous avons utilisé de nombreuses mines à Sancerre et Ilion, et nos réserves de missiles spectres sont au plus bas sur tous les vaisseaux. » Il se rejeta de nouveau en arrière, en inspirant une longue goulée d’air pour se calmer. « Grâce soit rendue aux vivantes étoiles pour nos auxiliaires. Sans eux pour fabriquer de nouvelles cellules d’énergie et de l’armement, la flotte se serait déjà retrouvée piégée, impuissante, il y a plusieurs systèmes stellaires. »

Cette nouvelle donne simplifiait considérablement ses projets relatifs à la traversée de Baldur : maintenir la flotte en formation serrée, réduire la consommation d’énergie au strict minimum, éviter l’emploi des armes et laisser amplement le temps aux auxiliaires de reconstituer les réserves d’énergie et de munitions des vaisseaux.

Son sentiment de satisfaction s’évanouit dès qu’il consulta les relevés de situation des quatre auxiliaires rapides de la flotte, lesquels ne l’étaient que dans l’imagination de ceux qui leur avaient trouvé cette appellation. En dépit de leur lenteur et de leur vulnérabilité, ces usines autopropulsées joueraient un rôle vital dans le retour de la flotte à bon port. Du moins tant qu’elles pourraient l’approvisionner en armes et en équipement. « Pourquoi les relevés indiquent-ils une pénurie si critique chez les auxiliaires ? se demanda-t-il à haute voix. Nous avons pillé tout le minerai brut dont nous avions besoin à Sancerre. Leurs réserves étaient censément pleines à ras bord. »

Desjani fronça les sourcils et vérifia les chiffres. « Selon ces relevés, tous les auxiliaires devraient bientôt cesser de fabriquer cellules d’énergie et munitions en raison de la carence en matériaux essentiels. Ça n’a pas de sens. Ils ont forcément embarqué à Sancerre un gros tas de quelque chose. »

Sur le moment, ça leur avait paru trop beau pour être vrai. Et, bien entendu, ç’avait été le cas. Geary lança un appel au vaisseau de tête de la division des auxiliaires en marmonnant des jurons dans sa barbe. Le Sorcière se trouvait à une distance salutaire de quinze secondes-lumière, ce qui ne manquait pas, à mesure que le message rampait vers l’autre vaisseau à la vitesse de la lumière, d’engendrer un retard exaspérant dans les communications. La lumière ne donne l’impression de voyager lentement que dans les profondeurs du vide interstellaire.

L’hologramme du capitaine Tyrosian finit par s’afficher, image annonciatrice d’une mauvaise nouvelle. Mais elle se contenta de dire : « Oui, capitaine ? »

Le délai aurait au moins permis à Geary de formuler sa question avec tact : « Capitaine Tyrosian, je suis en train d’examiner les relevés de situation de vos vaisseaux. Tous semblent indiquer que vous manquez cruellement de minerais bruts. »

Nouvelle attente, puis l’image du capitaine Tyrosian hocha la tête avec contrition. « Oui, capitaine. C’est exact. »

Geary réprima une grimace en constatant que la réponse de Tyrosian n’était guère plus explicite. « Comment est-ce possible ? Je croyais que les auxiliaires avaient rempli leurs soutes à Sancerre. Comment pouvons-nous être si vite confrontés à une pénurie ? »

Les secondes passaient poussivement, trop lentement pour qu’on les ignorât mais trop rapidement pour faire autre chose que patienter. « Ces relevés sont exacts, capitaine Geary, répondit Tyrosian en opinant derechef, l’air encore plus attristée. J’ai tenté d’identifier l’origine du problème. Je reste persuadée que les listes d’acquisition fournies par les systèmes logistiques automatisés en sont la cause. »

Nouvelle pause. Geary eut le plus grand mal à s’interdire de marteler du poing, d’exaspération, le bras de son fauteuil. « Comment des systèmes automatiques pourraient-ils à ce point sous-estimer les quantités de fournitures nécessaires aux auxiliaires pour fabriquer des articles aussi critiques pour la survie de la flotte ? Vos vaisseaux n’auraient-ils pas suivi leurs recommandations ? »

Il consacra les secondes suivantes à se demander quelle punition il pourrait bien infliger au capitaine Tyrosian pour avoir saboté une mission si essentielle dans les grandes largeurs. Qu’elle ne cessât pas de confirmer le vieil adage selon lequel les ingénieurs ne sont pas les champions du monde en matière de communication verbale n’améliorait pas son humeur. Tyrosian n’arrêtait pas d’omettre les informations les plus cruciales comme si elle s’attendait à ce qu’il les connût déjà.

Quand sa réponse lui parvint enfin, elle s’exprimait sur ce ton pontifiant dont usent toujours les ingénieurs quand ils débitent leur credo professionnel. « Nous avons bel et bien suivi les instructions du système. C’est précisément la cause de ce fiasco, capitaine Geary. Il nous a fourni des recommandations erronées. »

Pris de court par cette assertion, Geary hésita avant de répondre. « Veuillez m’expliquer pourquoi le système vous fournirait des recommandations erronées. Seriez-vous en train de me dire qu’il a été saboté à cet effet ? » Les implications d’un tel acte seraient extrêmement graves. Si les systèmes automatisés de la flotte n’étaient plus fiables ou s’ils étaient piratés, elle se retrouverait tout aussi handicapée que par une pénurie d’énergie ou d’armement.

Mais, quand sa réponse lui parvint enfin, Tyrosian secouait la tête. « Non, capitaine. Les systèmes logistiques n’ont jamais été victimes de dysfonctionnement et ne le sont toujours pas. Ils fonctionnent parfaitement. Le problème réside dans les prémisses implicites dont ils se sont servis pour extrapoler les besoins de la flotte. » Elle déglutit, visiblement mal à l’aise, mais poursuivit son compte rendu bille en tête : « Les systèmes logistiques basent leurs estimations de ces besoins futurs sur des projections de l’emploi des munitions et des pertes en vaisseaux qui, à leur tour, reposent sur des modèles antérieurs. »

Elle fit la grimace. « Sous votre commandement, la flotte n’a connu ni emploi de munitions ni pertes en vaisseaux correspondant aux schémas historiques. En conséquence, les systèmes logistiques ont présumé que les vaisseaux exigeant un réapprovisionnement seraient en moins grand nombre et que nous aurions besoin d’une quantité moindre de cellules d’énergie et de munitions. »

Il fallut à Geary un moment pour comprendre. « J’aurais dû perdre davantage de vaisseaux à chacun de nos combats ? Je n’aurais pas dû dépenser autant de munitions ni procéder à autant de manœuvres ? C’est ça ? »

Les secondes s’écoulèrent lentement avant un nouveau hochement de tête de Tyrosian. « Pour l’essentiel, oui. Nous avons combattu plus fréquemment et perdu beaucoup moins de vaisseaux que ne le prévoyaient les projections implicites des systèmes logistiques. Les combats ont été plus complexes et ont requis davantage de cellules d’énergie. On a utilisé plus d’armes à longue portée qu’à l’ordinaire. Nul, parmi nous, n’a entrevu les répercussions sur nos besoins en fournitures. De sorte que les systèmes logistiques ont conclu à des besoins plus élevés en pièces détachées pour les réparations des vaisseaux endommagés au combat, et moindres concernant le réapprovisionnement des rescapés. Nous avons largement de quoi panser les plaies du Guerrier, de l’Orion et du Majestic, mais nous manquerons de ces minerais bruts essentiels, à doses infimes, à la fabrication de cellules d’énergie et de missiles spectres. »