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S’ils m’interrogent, je dirai tout: oui, pensais-je, non, je dirai: non! non! non! non!. Ce mot bourdonnait dans ma cervelle lorsque j’approchai du commissariat, je frissonnais, le corps tendu par l’attente.

Le bureau de police était à quelque quatre cents pas de chez moi. Je savais où il se trouvait mais je n’y étais jamais allé. Entré, sous la porte cochère, j’aperçus un paysan qui, un livret entre les mains, descendait un escalier, venant de je ne sais où, d’en [haut]. Donc le bureau se trouvait dans cet escalier. Je commençai à monter à mon tour; je parlerai selon les circonstances. Je tomberai à genoux et raconterai tout.

Le bureau de police avait été transféré depuis peu dans cette maison. L’escalier était étroit, sale, ruisselant d’ordures. Les cuisines de tous les logements, aux quatre étages de la maison, donnent sur cet escalier, elles restent ouvertes presque toute la journée. Des portiers, leur livret sous le bras, des gens de toute condition: hommes et femmes, des visiteurs montaient et descendaient les marches étroites. Au quatrième étage, la porte à gauche, qui menait au bureau, était grande ouverte, j’entrai et m’arrêtai dans l’antichambre. Il y avait quelques paysans qui attendaient. Il faisait très lourd, même dans l’escalier, de plus le bureau exhalait une odeur de peinture fraîche. Après un moment je décidai de passer dans la pièce voisine. Elle était minuscule, comme toutes les autres. Des scribes, à peine mieux vêtus que je ne l’étais, y étaient assis qui écrivaient. Je m’adressai à l’un d’eux. Qu’est-ce que tu veux?

Je lui montrai la convocation du commissaire.

– Vous êtes étudiant? demanda-t-il après avoir parcouru le papier.

– Oui, étudiant.

Il m’examina avec curiosité.

– Allez voir le greffier, et il pointa le doigt dans la direction de la pièce du fond.

J’y entrai. Le local était exigu et bondé de monde. Les gens qui s’y trouvaient étaient beaucoup mieux mis que ceux qui remplissaient les autres pièces. Je remarquai même dans l’assistance deux dames. L’une d’elles, pauvrement vêtue d’une robe de deuil, était assise à la table du greffier et écrivait ce que lui dictait ce dernier. L’autre dame, très corpulente, au visage rubicond, men[ues]… tach[es]… et, habillée de façon qu’on pourrait appeler luxueuse, se tenait à l’écart, dans une attitude d’attente. Il y avait encore dans le bureau deux visiteurs en manteaux usés, un marchand tout imprégné d’une odeur de cabaret, vêtu d’une sibirka et d’un gilet extrêmement crasseux en satin noir, un étranger et d’autres personnes dont je ne me souviens pas. Des gens se faufilaient à travers les quatre pièces, les uns s’en allaient, les autres arrivaient. Je tendis mon papier au greffier, qui me jeta un rapide coup d’œil, dit: «Attendez un moment» et il continua à s’occuper de la visiteuse. Il me vint à l’idée. Sans doute, ce n’est pas ça. Petit à petit je revenais à moi. Je restai longtemps debout à attendre. Certaines choses m’étonnaient et m’intéressaient dans leurs plus petits détails, certaines autres passaient inaperçues pour moi. Le greffier attirait particulièrement mon attention. Je voulais me rendre compte quel homme c’était, devin[er] quelque chose d’après son visage. C’était un jeune garçon d’environ vingt-deux ans, d’un extérieur assez heureux, vêtu selon la mode et même avec recherche; une raie sur la nuque partageait ses cheveux bien peignés et pommadés; ses doigts bien blancs étincelaient de nombreuses bagues; il portait une montre à chaîne d’or, et un lorgnon en or également. Il dit à l’étranger quelques mots en français. Non, il va certainement me parler d’autre chose, me dis-je, en le dévisageant de toutes mes forces, pour comprendre ce qu’il était et ce qu’il pouvait bien penser sur mon compte.

– Asseyez-vous donc, Louisa Ivanovna, dit-il distraitement à la dame rubiconde et attifée qui avait l’air de ne pas oser s’asseoir.

– Ich danke, prononça-t-elle, et elle s’assit doucement avec un frou-frou de soie en regardant autour d’elle.

Je me retournai et me mis à l’examiner attentivement. Sa robe bleu ciel garnie de dentelle blanche se gonflait autour de la chaise tel un ballon et occupait près de la moitié de la pièce. La dame restait assise, dans une attente timide, souriante, et en même temps confuse d’occuper tant de place. À peine se tourn[a-t-] elle qu’il se répandit une forte odeur de parfum.

La dame en deuil finit d’écrire et se leva. Soudain un officier à l’air gaillard entra bruyamment dans le bureau en remuant les épaules à chaque pas, il lança sa casquette ornée d’une cocarde sur une table voisine et se laissa tomber dans un fauteuil.

En l’apercevant la dame attifée bondit de sa place et se mit à lui tirer des révérences; mais l’officier ne lui prêta pas la moindre attention; elle ne se rassit plus en sa présence. Cet homme était l’adjoint du commissaire du quartier, un lieutenant. Il me regarda de travers et avec une certaine indignation. J’étais vraiment trop mal mis. De plus, je devais être ébouriffé, enfiévré, tout en nage.

– Qu’est-ce que tu fais ici? cria-t-il, en voyant que je ne m’éclipsais pas devant son regard foudroyant.

Ce cri me calma un peu. Donc, ils ne savent rien.

– On m’a fait venir… j’ai reçu une convocation, répondis-je d’une voix tremblotante, et soudain je fus pris de colère. Sa silhouette insolente… Aujourd’hui j’en suis moi-même étonné.

– Nous l’avons cité pour exiger de lui, de cet étudiant, le paiement de l’argent, intervint le greffier. Approchez ici, voilà, me dit-il, en me passant un cahier et en m’indiquant un papier. Lisez!

– Quel argent? pensai-je. Ce n’est donc pas du tout pour la chose.

– À quelle heure vous a-t-on dit de venir, cria le lieutenant, toujours furieux contre moi. On vous a écrit de vous présenter à neuf heures, et maintenant il est déjà onze heures passées?

– Il n’y a qu’un quart d’heure que j’ai reçu votre convocation, répondis-je avec vivacité. C’est déjà bien assez que je sois venu tout en ayant la fièvre. Vous me convoquez pour neuf heures et vous m’envoyez le papier à onze.

– Monsieur, veuillez ne pas crier!

– C’est vous qui criez, moi je parle tout doucement. Veuillez apprendre que je suis étudiant et que je ne souffrirai pas d’être traité ainsi.

Le lieutenant s’emporta à un tel point qu’il bondit de sa place en frémissant.

– Veuillez vous taire! Vous êtes à l’audience. Ne soyez pas insolent…, mo-o-onsieur!

– Vous aussi, vous êtes à l’audience, pourtant vous fumez. Par conséquent, c’est vous qui nous manquez de respect à tous, répondis-je.

Le greffier qui, lui aussi, fumait nous regardait en souriant. Quant à moi, je tressaillais sous l’affront. L’adjoint du commissaire paraissait interdit.