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Puis, agenouillée sur le lit, elle examina la nuque du mort. Seule, une minuscule goutte de sang perlait. Elle la tamponna doucement avec la serviette. Le poinçon aigu avait perforé le cervelet, et la mort avait été instantanée. Il faudrait une autopsie particulièrement soignée pour en trouver la cause.

C’était une vieille recette de la Louisiane. À l’origine pour accommoder les canards, les tuant sans hémorragie. La recette avait été étendue aux Blancs. Pas mal d’attaques d’apoplexie avaient été mises sur le compte de la petite aiguille qui tuait sans douleur. On n’irait probablement pas autopsier Victor Kurfor. On n’ouvrait pas les diplomates.

Sinon pour les manger, au Lesotho.

Jada alla dans la salle de bains, puis se rhabilla. Elle téléphona à Lester, qui attendait trois blocs plus loin, dans une cafétéria.

— C’est fait. Tout va bien.

— J’arrive, fit le Noir, soulagé.

Cinq minutes plus tard, il était là. Il alla droit au lit et retourna le cadavre de Victor Kurfor.

— Il en avait quand même une belle, remarqua-t-il rêveusement. Tu as bien dû t’amuser…

Ce fut toute l’oraison funèbre de Victor Kurfor, fugitivement ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire.

Jada ne répondit pas. Elle savait que Lester avait toujours eu envie de coucher avec elle.

— Débarrasse-m’en, dit-elle froidement.

Lester se frotta les mains, tout guilleret.

— Notre copain tout jaune va être content, cette fois. On a fait du bon boulot.

— J’ai, rectifia Jada. Où vas-tu le laisser ?

— Sur un banc, dans Central Park. On croira qu’il a eu une attaque.

Jada le regarda avec inquiétude.

— C’est dangereux, non ?

Il haussa les épaules.

— Pas plus que ça. C’est un Noir, lui aussi. Les Blancs s’en foutent. J’ai donné cinq balles au portier pour qu’il la ferme. En lui disant que j’avais un copain camé à déménager.

Chapitre VI

Les moustaches d’Al Katz tendaient tellement vers le bas qu’elles ressemblaient à un accent circonflexe roux. Il regardait fixement, à travers la fenêtre ouverte, le grand building vitré des Nations Unies, de l’autre côté de la Première Avenue. Il jouait avec un stylo, dessinant des pendus sur son sous-main.

— On a trouvé de quoi il est mort ? demanda Malko.

Al Katz baissa les yeux et fignola son pendu.

— Une attaque, il paraît. On l’a découvert cette nuit. Allongé de tout son long sur un banc. Les toubibs l’ont ouvert dans tous les sens, sans résultat. Aucune trace de violence, d’aucune sorte, pas d’hémorragie. Le FBI a retrouvé la Noire et l’adresse de cette Jada. Elle s’appelle Sue Beal, habite 93e Rue ouest. Mais on ne peut rien faire.

— Et pourtant, je suis sûr que cet homme a été assassiné, dit Malko. L’autre soir, il mourait de peur.

— Je sais, dit Al Katz.

Son regard repartit de l’autre côté de l’avenue.

En cette minute précise, les délégués participant à l’Assemblée générale prenaient un repos bien mérité après avoir avalé la diatribe de l’Albanie sur la Chine communiste. Le Guatemala se préparait à répondre vertement avec un discours de quarante-cinq minutes, entièrement élaboré au State Department.

— On peut dire que la délégation du Lesotho n’a pas de chance, conclut tristement Malko. Nous avons deux cadavres sur les bras et nous ne pouvons rien faire d’utile.

Katz haussa les épaules.

— Le premier est mort visiblement dans un accident. Le second a eu bêtement une attaque.

— Et moi, on m’a gentiment ramené chez moi après m’avoir fait peur. Que dit le FBI de tout cela ?

— Le FBI, ce sont des cons, grogna Katz. Si je les pousse un peu, ils vont arrêter la fille et une poignée de Mad Dogs sur n’importe quelle charge. Qu’ils ont respiré trop fort ou éternué sur le passage du président. On sera bien avancés…

— J’ai une idée, proposa soudain Malko.

— Ah ! fit Katz, pas emballé, l’œil torve.

— Je vais leur faire peur. Pour les faire bouger.

— Comment ?

Les yeux dorés de Malko pétillaient. L’idée lui plaisait.

— Je vais les menacer de les faire chanter. Leur réclamer de l’argent pour ne pas les dénoncer. Leur dire que je suis au courant de leur marché avec le Lesotho. Mais il va falloir sérieusement veiller sur ma modeste personne.

Al Katz eut un geste d’apaisement.

— Vous allez être si bien gardé qu’il faudrait une armée entière pour vous tuer.

Malko avait déjà entendu ça quelque part. Mais Al Katz avait déjà le téléphone en main.

— Certains de mes amis ont demandé à vous connaître, dit-il. Ils pourront vous être utiles. Nous déjeunons ensemble demain. Sans compter nos amis Chris Jones et Milton Brabeck. Ils sont à l’Américana depuis ce matin. Sur les instructions de David Wise. Vous avez confiance en eux, non ?

— S’il y a une bataille rangée, oui, dit Malko. Mais de nos jours, cela arrive rarement dans les pays civilisés.

À eux deux les gorilles de la CIA avaient le cerveau d’un canari adulte et la puissance de feu d’un porte-avion géant. Ce n’était pas l’idéal pour l’action en souplesse. Heureusement que Krisantem était là.

— J’appellerai Jada ce soir, à l’Hippopotamus, dit Malko. D’après ce qu’elle m’a dit, elle y est tous les soirs. Je préfère ne pas utiliser les découvertes du FBI.

* * *

— Je veux vous voir, insista Malko.

À l’autre bout du fil, la Noire soupira d’impatience.

— Je n’ai pas beaucoup de temps. Téléphonez-moi la semaine prochaine. En plus, vous étiez ivre mort, il a fallu que je vous ramène chez vous.

— La semaine prochaine, ce sera trop tard.

N’ayant jamais pratiqué le chantage, Malko ignorait comment procèdent les maîtres chanteurs pour affoler leurs victimes. Apparemment il était doué, car une pointe d’inquiétude passa dans la voix de Jada.

— Qu’est-ce que vous voulez dire ?

— Je ne peux pas vous l’expliquer par téléphone, dit Malko, mais cela vous concerne directement.

Il se tut quelques secondes puis laissa tomber :

— Je sais pourquoi vous avez donné beaucoup d’argent à John Sokati.

Il y eut un très long silence à l’autre bout du fil. Malko entendait le bruit de la musique au fond. Puis, Jada dit, très lentement :

— Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.

Malko fabriqua un très beau ricanement machiavélique.

— Je ne vous raconte pas d’histoire, vous feriez mieux de me croire. Parce qu’il y a des gens qui me croiraient si je vais les trouver. Le FBI, par exemple. Je vous attendrai chez P.G. Clarks demain vers sept heures. Nous bavarderons.

Il raccrocha. Les dés étaient jetés. À quitte ou double. Si Jada venait au rendez-vous, c’est que les pires craintes du FBI et de la CIA étaient justifiées. Il y avait bien un complot pour truquer les votes à l’Assemblée générale.

* * *

L’immeuble au coin de Lennox Avenue et de la 117e Rue ouest, en plein Harlem, aurait fait reculer une assistante sociale chevronnée. Le colonel Tanaka, après avoir payé son taxi, contempla la façade avec méfiance, puis vérifia l’adresse qu’il avait notée sur le New York Post. C’était bien l’endroit où Lester lui avait donné rendez-vous. Au sixième étage. Apparemment, le jeune chef des Mad Dogs allait d’une cachette à une autre, pour dépister le FBI. Toujours dans des endroits minables.