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Malko écarquilla les yeux, cherchant à pénétrer l’obscurité du cimetière de voitures. Il lui avait semblé que quelque chose avait bougé. Il était en avance d’un quart d’heure. Arrêté juste à l’endroit désigné par Jada. Une tôle tomba avec fracas et il sursauta. Sa Dodge était en pleine lumière d’un réverbère. Une cible parfaite.

Deux silhouettes surgirent soudain à trois mètres de son capot. Un Noir et une fille. Ils se séparèrent aussitôt. La Noire passa devant la Dodge, le visage baissé. Malko la vit glisser un billet dans son sac. Elle n’avait pas plus de douze ans. Le cimetière de voitures servait de terrain d’ébats pour les jeunes prostituées à un dollar la passe.

Le pouls de Malko revint à la normale. Il jeta un coup d’œil dans le rétroviseur. Derrière lui la 207e Rue tournait avant de rejoindre Broadway. C’est probablement par là que Jada arriverait. Un voyant vert s’alluma sur son tableau de bord. Il se pencha légèrement sur son volant et dit à voix basse :

— Ce n’était rien. Deux amoureux.

Il fallait bien mettre un peu de poésie dans cette attente sinistre et déprimante. Le voyant vert s’éteignit.

En apparence cette Dodge était une voiture banale. Sans même une antenne de radio. Il fallait s’approcher de très près pour distinguer deux fils métalliques courant dans la masse du pare-brise. Comme des dégivreurs. C’était une puissante antenne pour l’émetteur-récepteur dont la Dodge était équipée. Le micro était dissimulé dans le volant, invisible. Le son venait, très bas, de sous le tableau de bord.

Le moteur d’origine avait été remplacé par un 420 chevaux qui permettait à la Dodge de dépasser deux cents. Les pneus étaient bien entendu à l’épreuve des balles, ainsi que le pare-brise. Testé pour le 11,43, à vingt mètres. Le coffre avait également la particularité de s’ouvrir de l’intérieur. Ce qui n’empêchait pas Elko Krisantem, étendu dedans depuis une heure, de trouver le temps extrêmement long. Il en avait profité pour oindre d’ail toutes les balles de son chargeur. Vieille manie…

Ce soir, Malko était certainement l’homme le mieux protégé de New York. Le numéro de sa voiture avait été communiqué à toutes les voitures de patrouilles, jusqu’au Long Island. Rien que dans Harlem, vingt voitures de FBI attendaient. Le problème était le même que pour un kidnapping. Arrêter Jada ne servait à rien. Il fallait qu’elle mène Malko à quelqu’un d’autre. Et il y avait des risques. Parce que dans Harlem, la nuit, il était hors de question de suivre ouvertement une voiture.

Le FBI avait trouvé la parade. Malko avait dans la poche un paquet de cigarettes truqué. Un émetteur puissant dans un rayon de deux miles. Parmi les voitures du FBI, il y avait cinq voitures gonio. En principe on ne devait pas perdre le contact… L’astuce suprême était que cet appareil n’avait qu’une antenne incorporée et émettait du fond de la poche de Malko. Il suffisait de pousser le bouton de mise en route.

Même Mlle Lo-ning était de la fête. À bord d’une Volkswagen, elle croisait dans les parages de la 207e Rue, jouant les putains motorisées. Avec dans son sac un container de gaz Mace assez important pour gazer la moitié de Harlem.

Malko sursauta. Une voiture venait de stopper derrière la sienne. Il ne l’avait même pas vue arriver. Cela commençait bien. Il regarda dans le rétroviseur. C’était la Cadillac rouge de Jada.

— La voilà, fit-il dans le micro du volant.

Puis il attendit. Jada fit deux appels de phares, mais ne sortit pas. Malko dut se résoudre à abandonner son fort ambulant. C’était à prévoir. Il descendit lentement, mit en route l’émetteur volant et s’approcha de la Cadillac. Jada semblait seule. La glace électrique se baissa silencieusement.

— Qu’est-ce que vous attendez ?

La voix de Jada était nerveuse et dure. Malko se pencha vers elle. Ses cheveux étaient coiffés normalement, avec de courtes boucles. Elle avait dû dépenser une fortune pour les faire décrêper, car ils étaient aussi soyeux que ceux d’une Blanche. Elle portait la robe orange très moulante que Malko lui connaissait déjà.

— Où allons nous ? demanda-t-il.

— Montez, fit-elle. Sinon, je repars.

À regret, Malko fit le tour de la voiture et ouvrit la portière. Dès qu’il fut assis, Jada démarra, tourna à droite dans la Huitième Avenue, puis à gauche, dans la 204e Rue. Pendant plusieurs minutes, ils restèrent silencieux. Le quartier était sinistre, bordé d’entrepôts fermés, de terrains vagues, de maisons en ruine, de pavillons minables, avec des voitures abandonnées, disséquées jusqu’à la carcasse.

La Noire conduisait lentement. Elle mit la radio, puis se tourna vers Malko.

— Vous êtes armé ?

Ce n’était pas dans son personnage d’être armé. Il secoua la tête et dit, d’une voix quand même un peu étranglée :

— Pourquoi ? Je devrais l’être ?

Jada sifflota et le regarda en coin. Sa robe orange était relevée sur ses longues jambes et, quand elle freinait, Malko apercevait son slip clair. Sans qu’elle paraisse s’en soucier.

— Vous avez l’argent ? demanda Malko. Où allons-nous ?

— Vous allez l’avoir, dit Jada. Nous avons rendez-vous dans vingt minutes. En attendant, nous nous promenons.

— Où ?

— Vous verrez bien.

Elle n’avait plus rien de la fille sensuelle qui se serrait contre lui à l’Hippopotamus. Sa haine était presque palpable. Subitement, Malko réalisa que sa chemise était collée à son torse par la sueur. Qu’est-ce que devaient donner les battements de son cœur…

Cette ballade dans Harlem était plutôt déprimante. Il se demanda ce que faisait Krisantem. Le Turc avait l’adresse de Jada, récupérée par le Red Squad et c’est tout. Malko essaya de se rassurer en pensant aux dizaines de policiers répartis dans Harlem pour veiller sur lui. Au pire, on retrouverait vite son corps.

Ils longèrent un immense cimetière, tournèrent, retournèrent, descendant toujours plus bas dans Harlem. De temps en temps, Jada ralentissait. Deux fois, elle s’arrêta sous le prétexte d’allumer une cigarette. Si une voiture les avait suivis, elle s’en serait fatalement aperçue. Malko guigna Jada du coin de l’œil. Elle semblait parfaitement détendue. Il espéra que les zizis électroniques du FBI fonctionneraient mieux qu’Apollo XIII.

En tout cas la Noire n’avait pas d’arme sur elle. Et ils étaient seuls dans la Cadillac. La circulation était assez fluide mais ils croisaient pas mal de voitures. Par contre, il n’y avait presque plus de maisons. Rien que des entrepôts et de longs murs noirs. Pas un piéton.

Un jet qui décollait de Newark, dans le New Jersey, passa très bas dans un rugissement qui couvrit la radio. Malko aperçut dans le rétroviseur les phares d’une voiture qui allait les doubler.

Le véhicule arriva à leur hauteur et ralentit. Il aperçut deux visages noirs le regardant sans aménité. Un Blanc avec une Noire dans Harlem, c’était l’appel au meurtre.

— On arrive bientôt ? demanda Malko.

— Bientôt, fit Jada, énigmatique.

* * *

John Webster avait la garde du chantier de Colonial Concrète jusqu’à sept heures du matin. Un boulot peinard. Il n’y avait rien à voler, que d’énormes bétonneuses. Heureusement, car le dépôt se trouvait sur la 145e Rue, en plein Harlem. Tout ce qui pouvait se voler disparaissait. John gardait relevé en permanence le chien de son 38 police, et avait assez de cartouches pour soutenir un siège. En plus, il s’enfermait dans sa guérite.