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Elle perdit connaissance d’un coup, devint toute molle.

Elko Krisantem desserra aussitôt son lacet. Il ne voulait surtout pas tuer la jeune Noire. Rien ne bougeait dans la maison. Une forme s’approcha :

— Elle est vivante ?

Lo-ning s’était contentée de ramasser le sac de la Noire et de se tenir prête à intervenir avec le Mace si quelqu’un survenait. Elko souleva le corps de Jada et le jeta sur son épaule.

— Oui, fit-il. Il n’y a plus qu’à remmener au FBI.

Lo-ning lui ouvrit la porte. La 96e Rue était déserte. Elko courut jusqu’à la Dodge arrêtée devant l’immeuble, jeta le corps de Jada sur le siège arrière et prit le volant. Il espérait que quelqu’un découvrirait le gardien de l’immeuble, ligoté comme un saucisson derrière la cage de l’ascenseur. Il était content d’avoir récupéré Jada mais aurait donné cher pour savoir où se trouvait Malko.

Après le départ de ce dernier, il avait attendu dix minutes pour sortir de son coffre, que Lo-ning, à qui Malko l’avait présenté dans l’après-midi, vienne frapper contre la tôle. Ils s’étaient consultés, sachant que le FBI quadrillait Harlem et, en principe, suivait Malko à la trace, grâce à l’émetteur radio. C’est Krisantem qui avait eu l’idée d’aller attendre Jada. Juste en cas. Et, au fond, il avait été enchanté de prendre Lo-ning avec lui parce qu’il était complètement perdu dans New York.

Il avait neutralisé le veilleur de nuit de l’immeuble presque automatiquement sous l’œil admiratif de la jeune Chinoise. Puis, ils avaient attendu, sans beaucoup d’espoir, à vrai dire. Jusqu’au moment où la Cadillac rouge avait stoppé devant la porte.

— J’ai une meilleure idée que le FBI, dit soudain Lo-ning, comme Krisantem rejoignait Broadway. Mes amis seront certainement plus efficaces, s’il y a du grabuge.

Elko Krisantem approuva avec enthousiasme. Il n’éprouvait qu’une attirance très modérée pour le FBI en particulier et la police en général.

Jada gémit et commença à se débattre sur le siège arrière. Lo-ning sortit tranquillement son container de Mace et lui en vaporisa un tout petit peu sous les narines. Juste assez pour que la Noire retombe au fond de la voiture. Lo-ning cala commodément ses pieds dessus et dit à Krisantem :

— Nous allons à la 61e Rue est. Chez le docteur Shu-lo. En route, nous nous arrêterons pour l’avertir.

* * *

— Où est-il ?

La question mit près d’une seconde à parvenir au cerveau de Jada. Elle ouvrit les yeux, à la suite d’un effort énorme. Elle se trouvait dans une pièce nue, probablement un sous-sol, attachée sur une chaise de bois, une lampe puissante braquée dans les yeux. Celle-ci s’éteignit et Jada vit le visage de l’homme qui lui avait posé la question. Un Chinois au visage curieux. Le haut était typiquement asiatique avec un front plat, des cheveux très noirs rejetés en arrière, des yeux bridés, mais le bas du visage aurait pu être celui d’un empereur romain, avec une énorme bouche dont les lèvres trop rouges pour un homme semblaient en caoutchouc et un tout petit menton enrobé de graisse.

Jada frisonna. Cet homme la répugna instinctivement. Elle eut peur, viscéralement. Ce qui prouve qu’elle avait un certain instinct. Le docteur Shu-lo n’avait pas laissé un très bon souvenir à Formose. On disait que toutes les maisons autour de son domicile étaient à vendre à cause des hurlements qui sortaient de ses caves, toutes les nuits.

Outre la gérance de plusieurs bordels de luxe, le docteur Shu-lo était l’éminence grise des services de renseignements de Formose, dont le siège se trouvait au Taiwan Garnison Headquarters. Pékin avait mis sa tête à prix et jure que si le bon docteur tombait entre leurs mains ils l’accommoderaient selon la recette mandarine du canard laqué : en le faisant cuire à petit feu et en enlevant la peau ensuite.

Le docteur Shu-lo avait donc décidé de venir à New York en voyage d’études. Pour laisser les esprits se calmer. Il était ravi de l’histoire des Mad Dogs. Cela lui permettait de ne pas perdre la main.

Le projecteur se ralluma. L’interrogatoire allait sérieusement commencer. Il était temps. Debout dans un coin de la pièce, Krisantem, commençait à se faire du souci. Lo-ning était entrée en contact avec Al Katz. Malko avait totalement disparu depuis une heure… Le filtrage des véhicules dans Harlem n’avait rien donné. Le seul espoir, c’était Jada. Le FBI ignorait encore qu’elle était entre les mains des Chinois, le docteur Shu-lo n’ayant pas la plus petite raison légale de l’interroger.

— La police, balbutia-t-elle. Je veux la police. Vous n’avez pas le droit.

Le docteur Shu-lo ne rit même pas. Il la considérait comme un entomologiste regarde un insecte. Avec un détachement minéral. Il échangea plusieurs phrases en chinois avec Lo-ning. Un autre Chinois se tenait debout dans un coin de la pièce.

— Où est l’homme que vous êtes venu chercher ? répéta le Chinois.

Jada se mordit les lèvres. Elle était courageuse, mais elle n’avait jamais pensé à la torture. Elle supplia le Ciel d’être assez forte pour tenir. Heureusement, il y avait des choses qu’elle ne savait pas, donc qu’elle ne pouvait pas dire. Même si on la coupait en morceaux.

Jada secoua la tête sans rien dire. Elle ne comprenait pas comment elle était là, qui étaient ces Chinois. Il fallait que Lester la sorte de là.

Le Chinois s’approcha d’elle et dit patiemment :

— Nous n’avons pas beaucoup de temps. Vous voulez parler, oui ou non ?

— Je ne sais pas ce que vous voulez dire, fit Jada. Appelez la police.

Krisantem regarda sa montre. Minuit. Malko avait disparu depuis deux heures. Il était peut-être déjà mort. Nerveusement, il joua avec son lacet au fond de la poche. Il n’aimait pas voir torturer une femme mais savait que c’était le seul moyen. Par les voies légales on n’obtiendrait rien.

Le jeune Chinois était sorti de la pièce. Il revint avec une pince, genre pince de dentiste. Jada sentit une coulée glaciale le long de sa colonne vertébrale.

— Alors ? demanda le docteur.

Elle secoua la tête pour que les autres ne se rendent pas compte de sa peur.

Aussitôt, le jeune Chinois saisit sa main droite et lui fit étendre les doigts de force. Elle sentit la pince mordre le bout de l’ongle de l’index et se contracta de tous ses muscles pour résister à la douleur. Ce fut à la fois plus bref et plus douloureux qu’elle ne l’avait supposé.

Une brûlure affreuse, comme si le doigt en entier était parti. Elle eut le courage de baisser la tête. Son doigt ruisselait de sang, mais elle était encore anesthésiée par le choc. Soudain, les élancements commencèrent, effroyables, et elle hurla.

Au bout de la pince, l’ongle semblait démesurément long. Jamais elle n’aurait cru qu’un ongle soit aussi long. Dégoûté, le Chinois le jeta dans une corbeille à papier. Jada rejeta la tête en arrière pour retenir sa nausée. Une certaine satisfaction atténuait sa douleur : maintenant, elle savait qu’elle tiendrait le coup, qu’ils pourraient lui arracher tous les ongles sans qu’elle parle. Lester serait fière d’elle.

Avec un peu d’inquiétude, elle se demanda si cela repoussait, si elle ne serait pas mutilée toute sa vie.

— Vous voulez parler ? demanda doucement le docteur. C’est très ennuyeux, ce que vous nous forcez à faire.

Aimable euphémisme.

— Salauds, dit Jada. Salauds.

Le docteur Shu-lo arrêta le jeune Chinois, qui reprenait déjà la main de Jada. Les méthodes primitives ne marchaient qu’avec les individus faibles ou corrompus. Il donna un ordre en chinois. L’homme à la pince disparut. Il revint avec une petite serviette noire qu’il tendit au docteur. Celui-ci en sortit une seringue et une ampoule.