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Avec beaucoup de soin, il remplit la seringue, fit couler une petite goutte, puis s’approcha de Jada. De fines gouttelettes de sueur apparurent sur le front de la Noire. Les piqûres lui avaient toujours fait peur.

— Ne bougez pas, dit le Chinois avec indifférence. Je dois vous faire une intraveineuse. Si vous bougez, je risque de vous tuer. Vous ne voulez pas mourir n’est-ce pas ?…

Non, Jada ne voulait pas mourir. Terrorisée, elle regarda l’aiguille s’enfoncer d’un coup sec dans sa veine. Elle éprouva seulement un petit picotement puis une douleur très supportable quand le liquide s’écoula dans le sang.

— Qu’est-ce que vous me faites ? demanda-t-elle d’une voix étranglée.

Le Chinois ne répondit pas. Il retira l’aiguille essuya le bras avec un petit coton et reposa la seringue.

— Il y en a pour une dizaine de minutes, dit-il à Lo-ning et à Krisantem.

La jeune Chinoise s’approcha de la chaise et murmura :

— Si on vous crevait les yeux, je suis sûre que vous parleriez.

C’était une belle nature.

Jada se sentait bizarre. Des sueurs froides, une crispation de l’estomac. Comme si elle avait le ventre creux depuis trois jours. Pourvu qu’elle tienne.

Quand elle les rouvrit, les murs de la pièce se mirent à tourner et à onduler. Elle se retint pour ne pas hurler. Sa tête lui faisait horriblement mal, elle avait envie de rendre et sentait le sang battre dans ses tempes. Elle cria quand le docteur se pencha vers elle. Il semblait très long, filiforme même, avec une minuscule tête verte en poire et des yeux d’insecte, apparents et globuleux. Elle n’entendit pas la question et ferma les yeux.

Elle sentit qu’on lui tirait la tête en arrière sans brutalité, mais irrésistiblement. Elle rouvrit les yeux. Cette fois le Chinois avait un visage normal. Elle vit ses lèvres bouger.

— Qu’avez-vous fait de l’homme avec qui vous étiez ?

Chaque mot résonnait douloureusement dans sa tête comme un coup. Tout était flou. Elle ne répondit pas. Plusieurs fois, le Chinois reposa la question, sans s’énerver, sur un ton monocorde. Peu à peu l’image mordait le cerveau de Jada, s’incrustait dedans, devenait gênante. Il fallait qu’elle réponde pour se débarrasser de cette bête qui la taraudait. Il le fallait absolument.

— Quel homme ? demanda-t-elle d’une voix pâteuse.

— L’homme blond, fit la voix patiente.

L’image de Malko se forma lentement dans le cerveau de Jada. Mais quelque chose l’empêchait de répondre, dans les profondeurs de son subconscient.

— Je… je ne sais pas, balbutia-t-elle.

Elle pleurait sans même s’en rendre compte.

Puis tout se brouilla dans son cerveau et elle n’entendit plus aucune question. Sa tête retomba sur sa poitrine. Le docteur Shu-lo secoua la tête. Il était tombé sur un sujet particulièrement difficile. Il s’approcha de Jada et souleva une de ses paupières, puis l’ausculta rapidement.

— Il n’y a plus que l’hypnotisme, dit-il, si nous voulons obtenir un résultat rapidement. L’injection de penthotal que je lui ai faite va aider, et en une heure nous devrions obtenir quelque chose.

— Une heure, s’exclama Lo-ning.

Elle n’avait vu Malko que trois fois mais n’arrivait pas à oublier ses yeux dorés. Krisantem se dandina, mal à l’aise. Il n’y connaissait rien en torture. Son métier, c’était de tuer. Mais il était sincèrement inquiet pour Malko. Sorti de son lacet et de son vieil Astra, il ne pouvait plus servir à grand-chose.

— Aidez-moi à la porter en haut, demanda le docteur.

Avec l’aide de l’autre Chinois, Krisantem entreprit de transporter Jada, inconsciente.

Il était minuit et demi.

*

**

Il y avait un policier par marche dans l’escalier menant à l’appartement de Jada. Le FBI avait investi l’immeuble depuis une demi-heure, délivré le veilleur de nuit et inspectait l’appartement, centimètre par centimètre. Sans résultat.

Al Katz en personne était plongé dans la contemplation de l’aile éraflée de la Cadillac rouge. L’Américain ne décolérait pas. Le FBI avait interpellé plus de deux cents voitures depuis la disparition de Malko. Toutes les sorties de Harlem-Nord étaient bloquées. Le signalement de Jada avait été diffusé partout ainsi que celui de Malko. Le quartier où on avait retrouvé le poste émetteur avait été passé au peigne fin.

Rien.

— Retournons là-bas, proposa l’Américain.

Un petit convoi se dirigea vers le carrefour de la 122e Rue et de la Neuvième Avenue. Une voiture de patrouille y stationnait en permanence, dans l’attente de Dieu sait quel miracle. Quand Al Katz arriva, on alluma deux projecteurs pour lui permettre d’inspecter la chaussée. Pratiquement à quatre pattes, il examina le carrefour pouce par pouce. Soudain, il poussa une exclamation et ramassa quelque chose dans le creux de sa main. Une écaille de peinture rouge, comme la Cadillac de Jada.

Quelque chose d’imprévu s’était passé à ce carrefour. Al Katz continua son inspection et ne trouva qu’un peu de ciment frais, ce à quoi il ne prêta aucune attention. Dégoûté, il décida d’aller se coucher en maintenant le dispositif de surveillance et de recherches. Il se sentait coupable vis-à-vis de Malko. C’est lui qui l’avait encouragé à prendre le risque. Maintenant, il avait disparu, la fille avait disparu et ils n’en savaient pas plus. Si on ne retrouvait pas la Noire rapidement, il ne donnait pas cher de la vie du Prince Autrichien.

Furieux, il retraversa tout Harlem pour regagner son appartement de Park Avenue, juste avant le building de la Panam. À la moindre découverte, on devait le réveiller. Malheureusement, il n’y croyait pas beaucoup. Dans Harlem, les Blancs n’étaient pas chez eux. Même le FBI.

* * *

Jada éclata de rire. Elle voyait un hibou posé sur la tête du docteur Shu-lo. Elle ferma les yeux, et des taches de couleurs violentes passèrent devant ses paupières fermées. Elle était bien, personne ne lui demandait rien, elle se sentait détendue, ne se souciant plus de l’endroit où elle se trouvait. Ses douleurs avaient cessé. Même son doigt mutilé ne lui faisait plus mal. On lui avait d’ailleurs confectionné un petit pansement.

— Ouvrez les yeux, dit la voix insistante du docteur. Ouvrez les yeux et écoutez la musique.

Docilement, Jada ouvrit les yeux. D’abord la lumière du stroboscope la gêna. Le clignotement blanc et bleu incessant lui fit plisser les yeux, mais, très rapidement, elle s’y habitua. Très vite, elle ne vit plus que la lumière mouvante devant ses yeux, il lui fallait faire un tel effort pour s’en détacher qu’elle s’y fixa.

En même temps la musique commença à la bercer. Ce n’était pas vraiment une musique suivie, mais plutôt les notes très harmonieuses qui se mariaient pour donner un fond musical extraordinairement reposant. Jada eut l’impression que son corps ne pesait plus rien, comme lorsqu’elle fumait la marihuana à haute dose. Elle se surprit à chantonner. Le docteur se pencha sur elle, demanda gentiment :

— À quoi pensez-vous ?

Jada fronça les sourcils. À quoi pensait-elle ?

— Je suis bien, dit-elle sincèrement. Je ne pense à rien de spécial. Il fait beau.

Le docteur approuva et n’insista pas. Il régla le stroboscope braqué sur Jada de façon que les éclairs soient un peu plus espacés, puis alla au magnétophone et haussa le son légèrement. Jada était allongée sur un divan de cuir, la tête soulevée par des coussins, dans son cabinet de travail. Bien sûr, son installation était un peu du bricolage, mais il espérait parvenir néanmoins à un résultat. Il regarda sa montre. Jada était sous hypnose depuis plus d’une heure. C’était vraiment un sujet très résistant, en dépit de la piqûre de penthotal.