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Ils sentirent une secousse sur le côté gauche et, en se penchant, Chris aperçut une voiture dont la longueur avait diminué du tiers, immobilisée au milieu du carrefour.

Dans un dernier effort, Elko venait de parvenir à la hauteur de la bétonneuse 34. Les deux monstres roulaient de concert. Chuck tourna la tête. Chris Jones brandissait déjà son Magnum dans sa direction.

— Stop, hurla-t-il. Police.

Les yeux de Chuck roulèrent dans leurs orbites. Comme un fou, il écrasa l’accélérateur.

Comme des monstres de l’Apocalypse, les deux bétonneuses dévalaient de front vers l’embranchement du Washington Bridge. Une dizaine de voitures étaient stoppées au feu rouge. Elles allaient être broyées par les soixante tonnes lancées à cent à l’heure. Chuck avait perdu la tête. Accroché à son volant, il fonçait aveuglément.

Elko se mit debout sur l’accélérateur. Il gagna quatre mètres. La bétonneuse vibrant de tous ses boulons, semblait sur le point d’exploser.

Le carrefour n’était plus qu’à cent mètres. Les gens commençaient à jaillir de leurs voitures en hurlant. Elko braqua le volant à droite se rabattant sur la 34.

À la fenêtre d’un immeuble, une bonne Noire laissa tomber un pot de fleurs. C’est la première fois qu’elle assistait en pleine ville à une course de stock-cars entre deux bétonneuses.

Il y eut un effroyable craquement de métal déchiré. Instinctivement Chuck freina. Elko continua de se rabattre. Enchevêtrés, les deux véhicules vinrent stopper contre la grille d’un immeuble qu’ils pulvérisèrent. À vingt mètres des voitures arrêtées. Chris s’assomma à moitié contre le pare-brise. Le temps de récupérer, il vit le conducteur de l’autre bétonneuse, sauter à terre d’un bond énorme et s’enfuir à toutes jambes.

À son tour, il sauta à terre, brandissant son Magnum 457.

— Halte, cria-t-il. Vous êtes en état d’arrestation.

Chuck était en train de pulvériser plusieurs records olympiques. La détonation du revolver lui fit faire un bond, comme s’il avait été mordu par un serpent.

Mais Chris avait tiré en l’air.

Au carrefour, deux policiers en uniforme surgirent de la masse des voitures arrêtées. Chuck les aperçut et infléchit sa course, traversant le terre-plein séparant les deux bandes de circulation. Il se retourna pour voir si Chris allait tirer.

Il y eut un violent coup de frein, comme un gémissement d’agonie et le Noir sembla s’envoler. Une Buick noire venait de le heurter à la hanche, le projetant à plusieurs mètres. Il retomba la tête la première sur le macadam. Chris, qui accourait, entendit le craquement de la nuque qui se brisait et en eut un haut-le-coeur.

Lorsqu’il s’accroupit près du jeune Noir, il respirait encore, mais sa matière cervicale se répandait par terre, par la fracture de la nuque. Virtuellement, il était déjà mort.

Le quartier entier était en ébullition. L’homme qui avait tué accidentellement Chuck sortit de sa Buick, pâle comme un mort. Les gens étaient à toutes les fenêtres, la circulation bloquée. Chris Jone se releva, et courut vers les bétonneuses, laissant le cadavre de Chuck.

Krisantem était plongé à mi-corps dans la bétonneuse. Il se redressa, les cheveux et les épaules couverts de poussière grise et gesticula vers Chris :

— Vite, je crois qu’il est là.

Il replongea dans les entrailles de l’engin la tête la première et y disparut complètement. Chris escalada à son tour la plate-forme arrière. Il entendit les exclamations du Turc à l’intérieur. Celui-ci jurait et se démenait. Chris vit monter une masse grise vers l’orifice. Il envoya les bras et sentit du tissu.

Quelques secondes plus tard, la tête de Malko émergeait de la bétonneuse, poussé par Krisantem, halé par Chris. Celui-ci eut un cri de joie devant les yeux ouverts. Délicatement, il commença à arracher le sparadrap noir obturant la bouche de Malko. Ce dernier n’était qu’une masse grisâtre et glaciale, mais il respirait.

Chapitre X

Malko avait encore de la poussière grise de ciment sous les ongles quand il rejoignit Katz dans son bureau de United Nations Plaza. Krisantem avait juste eu le temps de lui faire couler un bain et il serait arrosé de Mennen. La bétonnière avait scellé la réconciliation entre les gorilles et le Turc. Chris ne parlait plus que de de le nommer membre d’honneur du FBI.

En attendant, les Mad Dogs avaient marqué un point. Même s’ils n’avaient pas supprimé Malko. Il avait été impossible de remonter à la tête du complot.

La moustache d’Al Katz était en berne. Il congratula chaleureusement Malko, donna une chaise à Krisantem et but un Pepsi-Cola d’un coup. Il avait dormi une heure dans son bureau après qu’on eut retrouvé Malko.

— Le conducteur de la bétonneuse était fiché par le FBI comme agitateur et membre des Panthères noires, annonça-t-il. Deux fois arrêté en 1969 et janvier 1970.

Malko regarda le soleil au-dessus de l’East River. Il se rappellerait longtemps de ses heures dans le noir, s’attendant à être enseveli à chaque minute.

— Il y a quelqu’un derrière les Mad Dogs, dit-il. Ce n’est pas eux qui ont pu monter une opération aussi compliquée. Et il est notoire qu’ils n’ont pas d’argent. Jada n’est qu’une exécutante. Ceux qui ont tenté de me tuer aussi.

Katz soupira, de nouveau la moustache en déroute. Ses yeux bleus avaient pris une expression grave.

— Il n’est pas question de demander le report du vote, énonça-t-il emphatiquement. Sous aucun prétexte.

» Depuis 1961, la moitié du monde nous accuse de recourir à tous les stratagèmes possibles pour éviter l’entrée de la Chine rouge à l’ONU. Si on parle de complot, cela sera complet. Nous pouvons gagner quelques jours en téléguidant certains délégués amis pour qu’ils prononcent des discours fleuve, du filibusting, comme au Congrès…

Malko ôta une parcelle de ciment d’un de ses ongles. Son complet d’alpaga beige était aussi bien coupé que celui perdu dans les bétonnières.

— Je ne sais pas à quoi cela va nous avancer. Nous ignorons combien de délégués ont pu être manipulés, d’une façon ou d’une autre. Et c’est le problème crucial.

Katz eut un sourire froid.

— Le secret de la défense est dans l’attaque, a dit Napoléon. Ce n’est pas pour jouer à la marelle que nous vous avons donné un appartement particulièrement bien aménagé.

— Vous voulez que…

— L’année dernière, la marge a été confortable, 48 à 71. Prévoyons le pire. Lisez ceci.

Malko prit la feuille dactylographiée et la lut. C’était une liste de pays. En tête se trouvait l’Autriche, suivie de la Belgique, du Canada, du Chili, de Chypre, de l’Équateur, de la Guinée, de la Guyane, de l’Islande, de l’Iran, de l’Italie, de la Jamaïque, du Koweït, du Laos, du Liban, des îles Maldives, des Pays-Bas, du Portugal, de Singapour, de Trinidad et de la Tunisie.

— Tâchez de trouver votre bonheur là-dedans, dit Katz. Il suffirait qu’on en retourne une demi-douzaine pour que le State Department tout entier se roule par terre de joie. Sans compter ceux qui ont « mal » voté l’année dernière.

Il cligna de l’œil, subitement canaille.

— Mettez-vous au travail tout de suite. Je vais vous envoyer de l’aide. Il y a quatre suspensions de séance aujourd’hui et une intervention de l’Union soviétique. Tout le monde sera là.

Décidément, la partouze et les dollars étaient les deux mamelles des Nations Unies. Malko empocha la liste. Ce rôle de maquereau politique lui déplaisait profondément.

Il était déjà debout, prêt à partir, quand Krisantem se gratta discrètement la gorge.

— Il faudrait peut-être savoir ce que la fille a dit aux policiers qui l’ont arrêtée ?