Выбрать главу

— Quelle fille ? demanda Katz, nous n’avons arrêté aucune fille.

— Celle qui a essayé d’assassiner Son Altesse, répliqua Krisantem. La négresse. On l’a arrêtée devant moi.

À ses heures, Krisantem était raciste, ce qui est très vilain. Avec beaucoup de bonne grâce il raconta l’arrestation de Jada par la voiture de patrouille.

Les dix minutes suivantes furent passées à donner des coups de fil frénétiques à tous les commissariats de Harlem. Al Katz était au bord de l’infarctus. Personne n’avait vu Jada. Il commença à regarder Krisantem d’un œil nettement soupçonneux. Le Turc, ombrageux comme il l’était, avait très bien pu étrangler Jada et la balancer dans l’Hudson.

— Je me souviens du numéro de la voiture, se rappela soudain Krisantem. C’est le 886.

L’Américain recommença à se battre avec le téléphone. Cette fois, au bout de trente minutes, il fut branché sur le capitaine commandant le commissariat de la 184e Rue. La voiture 886 leur appartenait bien, mais ils n’avaient pas de Jada, ni rien de spécial au rapport.

— Il faut y aller, suggéra Malko. Il y a un mystère là-dessous.

C’était bien l’avis de Al Katz.

* * *

Le 19e Precinct ne payait pas de mine. Une demi-douzaine de voitures de police étaient rangées devant, en double file. C’était le quartier le plus dur de Harlem. Quand Malko et Krisantem y débarquèrent, deux policiers étaient en train de trier sur une grande table un stock d’armes blanches à faire frémir. La récolte d’un soir.

Deux Noirs étaient enchaînés contre un mur. Ils avaient battu à mort un couple âgé dans un ascenseur, trois heures plus tôt. Indifférents à tout. Le capitaine fit entrer ses visiteurs dans un bureau crasseux. Malko expliqua le motif de sa visite. Al Katz avait téléphoné pour le « clearer ». Le capitaine se fit apporter le registre du precinct. Il n’y avait rien concernant Jada. Ils n’avaient arrêté aucune fille la veille.

— Puis-je voir les policiers qui étaient en patrouille cette nuit sur la 886 ? demanda Malko.

— Le sergent est de repos, dit le capitaine, mais pour l’autre, c’est facile.

Il appuya sur le bouton de l’interphone.

— Benson.

Quelques secondes plus tard, la porte s’ouvrit sur un Noir en uniforme, au visage las, avec des yeux proéminents. Le capitaine lui expliqua de quoi il s’agissait. Tout de suite, Malko remarqua le trouble du patrolman. Mais il n’eut même pas à insister. De lui-même le policier secoua la tête et dit :

— Eh bien, je crois que j’ai fait une sacrée gaffe !

Il leur raconta l’histoire de l’arrestation de Jada et comment il avait insisté pour que le sergent la relâchât. Le capitaine était effondré.

Malheureusement, il n’y avait plus rien à faire. Le patrolman Benson baissait la tête, honteux.

— Qu’est-ce qu’elle a fait, cette bonne femme ? demanda-t-il piteusement.

— Oh ! elle est impliquée dans deux meurtres et un complot politique, dit Malko.

Soudain, il eut une idée.

— Y a-t-il quelqu’un qui connaisse bien Harlem, qui pourrait m’aider à la retrouver ? demanda-t-il.

Benson releva la tête.

— Je crois bien que si, sir. On a une fille formidable ici. Jeanie. Elle connaît tout le monde. Si le capitaine le permet.

Le capitaine permettait tout ce qui pouvait laver sa honte. Il confia Malko à Benson. Celui-ci le mena dans un minuscule bureau au premier étage et entra après avoir frappé.

Malko fut heureusement surpris.

Jeanie était une Noire en uniforme, très jolie, les cheveux courts, l’air avenant. Après avoir fait les présentations, Benson lui exposa le problème. Malko l’interrompit.

— Nous sommes à peu près certains que cette fille appartient aux Panthères noires.

La jeune Noire siffla et se leva. Elle avait un corps parfait, peu mis en valeur par l’uniforme.

— Je suis assistante sociale, expliqua-t-elle. Je connais beaucoup de gens et on m’aime bien. Je vais seule dans des coins où les gars d’ici se font accueillir avec des cocktails Molotov. Mais les gens ont peur des Panthères, ils ne parlent pas.

» Les seuls à pouvoir vous aider, ce sont les junkies, les drogués. Tous les petits pourvoyeurs. Ils savent tout, trafiquent avec les Panthères, connaissent les planques. Mais il faut en attraper un et le faire parler. Et ça, ce n’est pas facile.

Pas encourageant. Malko commençait à comprendre pourquoi le FBI piétinait.

— Nous connaissons l’adresse de Jada, dit Malko. Vous ne pourriez pas y faire un tour avec nous ? Essayer d’apprendre quelque chose.

Jeanie eut un beau sourire blasé.

— Si vous voulez, mais il y a une chance sur mille. Allons-y.

* * *

Deux gosses en haillons jouaient sous le porche de l’immeuble de la 96e Rue où habitait Jada. La Cadillac rouge était toujours là et deux hommes du FBI planquaient dans une Ford grise, aussi discrets qu’une mouche dans un verre de lait.

Jeanie dit à Malko :

— Attendez-moi ici. Si les gens vous voient, ils ne diront rien. Vous êtes Blanc.

Malko la vit disparaître dans le grand immeuble. Krisantem se demanda si quelqu’un avait délivré le veilleur de nuit.

Peu après que Jeanie eut disparu, une espèce de fantôme noir frôla la voiture avec un regard haineux. Un Noir squelettique, au visage hâve et pas rasé, le crâne rongé par la pelade. Même Krisantem commença à se gratter.

Jeanie réapparut au bout de vingt minutes. Quand elle eut regagné la voiture, elle respira profondément.

— Quelle vie ! Là-haut il y a une femme avec six enfants dans la même pièce ! Elle ne peut même pas aller aux toilettes seule parce que des voyous y sont embusqués en permanence pour voler tout ce qu’ils peuvent.

— Et notre fille ?

— Personne ne sait rien sur elle. Il n’y a pas longtemps qu’elle habite là. (Elle réfléchit.) Je ne vois qu’un type qui pourrait vous aider : Julius West. Si on le prive de drogue assez longtemps, il dira tout ce qu’il sait. Il fournit les Panthères et les types comme ça.

— Comment peut-on le trouver ?

Jeanie éclata de rire.

— Ce n’est pas mon boulot ! Il faut voir les gars du Narcotic Bureau, à Old slif Street, Downtown. Une fois que vous l’aurez, je pourrai peut-être vous aider. Vous pouvez me joindre au commissariat.

— Donnez-moi votre numéro de téléphone, demanda Malko. Je peux avoir besoin de vous au milieu de la nuit.

Elle lui donna une adresse et un numéro de téléphone et précisa :

— Dites bien qui vous êtes, j’habite avec un flic noir jaloux comme un tigre. Il n’aime pas beaucoup voir des Blancs tourner autour de moi.

Elle demanda à Malko de la laisser là. Elle avait des gens à voir. Elle se ferait ramener par une voiture de patrouille. Malko la regarda s’éloigner. Elle était presque aussi attirante que Jada.

En route, Malko s’arrêta pour appeler Al Katz et lui annoncer la bonne nouvelle. Cette fois, il n’y avait plus aucune piste à suivre. Le néant complet.

*

* * *

Le colonel Tanaka prenait son petit déjeuner à la cafétéria des délégués en lisant les journaux du matin. Il n’y avait encore rien sur la tentative de meurtre mais le Japonais était déjà complètement au courant. Jada avait récupéré et tout raconté à Lester.

Le Japonais était moins furieux de cet échec que des erreurs précédentes. Il savait de quoi les Chinois étaient capables et il était inévitable que Jada ait parlé en état d’hypnose. La catastrophe n’était pas irréparable puisque le FBI n’avait pu remonter plus haut. Et, au moins, le colonel était fixé : il avait le FBI et, très probablement, la CIA aux trousses. Il en éprouva une sorte de sentiment grisant fait d’excitation et de la certitude qu’ils ne pouvaient rien contre lui.