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La voix parlait anglais avec un accent asiatique assez prononcé. Elle était inconnue de Malko.

— Je voudrais vous voir d’ici un quart d’heure, au onzième étage, dit l’homme. Dans le bureau 1184. Nous avons du nouveau.

Avant que Malko lui ait demandé qui il était, il avait raccroché. Malko sortit de la cabine, intrigué. Le onzième étage était le fief des Chinois nationalistes. Des alliés de Al Katz, de Lo-ning et des autres. La voix devait appartenir au docteur Shu-lo. Il regarda dans le bar si Lo-ning n’était pas dans les parages, mais, avec la foule, il était impossible de rien voir. Tranquillement, il se dirigea vers le onzième étage.

Le hall, en face de la salle du Conseil de tutelle, bourdonnait de conversations. Les délégués faisaient les cent pas ou étaient assis sur les banquettes sans dossier, sous l’œil paternel des gardes en bleu.

Malko s’engagea dans l’escalier roulant.

* * *

L’étage était désert. C’était la pause du déjeuner. Malko pénétra dans un grand bureau portant le numéro 1183, La salle des calligraphes. Sur chaque table – il y en avait une vingtaine – s’étalaient des feuilles couvertes de caractères soigneusement calligraphiés. Fascinant.

Au fond, une porte donnait sur une autre pièce. Le bureau 1184. Malko y pénétra.

Il n’y avait qu’un seul bureau sur lequel était posé un étrange appareil. Cela tenait de la grue et de la machine à écrire. Malko se souvint que Lo-ning lui en avait parlé. C’était une machine à écrire le chinois. Le mandarin comportant trente-cinq mille caractères, on en avait sélectionné sept mille. Quatre mille se trouvaient à la disposition de l’opérateur, dans un grand casier plat. Une feuille de papier passait dans un rouleau, comme dans une machine à écrire classique. À l’aide d’une pince articulée, l’opérateur sélectionnait un des caractères, l’appliquait contre la feuille de papier où il s’imprimait. Certains arrivaient à imprimer plusieurs centaines de caractères à l’heure.

C’était aussi fascinant qu’un jeu d’enfant. Sur le rouleau, il y avait une feuille de papier blanc avec quelques caractères dispersés, comme si quelqu’un s’était entraîné. Malko regarda par la fenêtre. Le petit bureau donnait sur la Première Avenue. Comme il n’y avait pas d’autre siège, il s’assit sur la chaise métallique, en face de la machine à calligraphier.

Un téléphone se mit à sonner sur la table. D’abord, Malko ne répondit pas. Puis, comme la sonnerie continuait, il décrocha. C’était l’homme qui lui avait donné rendez-vous. La voix était beaucoup moins mystérieuse, chaleureuse même.

— Je suis un peu en retard, dit-il. Voulez-vous vous asseoir et m’attendre ? (Il eut un petit rire.) Amusez-vous à calligraphier votre nom.

Il raccrocha. Malko se pencha sur la machine. Chaque caractère ne mesurait que quelques millimètres. Il essaya de voir comment la machine fonctionnait. C’était minutieux et archaïque à la fois. L’antithèse de l’IBM à boule. Il fallait avoir une mémoire aussi bonne que la sienne pour se souvenir de la place des quatre mille caractères étalés dans le casier. Il nota que certains portaient une marque rouge ou verte. Probablement les plus utilisés.

Il réalisa soudain qu’il mourait d’envie de s’amuser un peu.

* * *

Le colonel Tanaka était rigoureusement immobile dans le réduit du onzième étage recelant les installations électriques. Il en profitait pour se livrer à quelques exercices respiratoires de yoga, parfaitement maître de lui. Il appliquait la politique du risque calculé. Durant sa méditation dans la roseraie, il était arrivé à la conclusion que le meilleur endroit pour éliminer son adversaire était encore l’ONU. C’est là qu’il se sentait le plus en sécurité et que le FBI veillait le moins.

L’élimination de Malko présentait certes un risque, mais sa survie représentait un risque encore plus grand. Le colonel Tanaka ne s’était pas donné le mal qu’il s’était donné pour se faire coiffer sur le poteau. La marge de manœuvre était trop faible. Il suffisait de trois ou quatre votes basculant au dernier moment pour réduire à néant le travail du Japonais.

Ce dernier inspecta les appareils de contrôle devant lui. Il était ingénieur. Cela servait parfois. Les aiguilles, devant lui, allaient lui apprendre la mort de son adversaire. Il n’aurait plus qu’à tout remettre en place avant le retour des Chinois partis déjeuner. Il avait organisé un guet-apens méticuleusement, connaissant les liens de Malko avec les Chinois, grâce à Jada. Et, après avoir examiné les meilleures possibilités offertes par le building des Nations Unies, il s’était arrêté à une solution sophistiquée mais efficace.

C’était tout simplement le principe de la chaise électrique. Le colonel Tanaka avait relié la machine à calligraphier à la colonne montante de deux mille volts, grâce à un câble volant. Un autre embranchement du câble était relié à la chaise métallique sur laquelle Malko avait dû s’asseoir. La veille au soir, il avait effectué les branchements préliminaires, percé le mur avec une perceuse achetée dans l’après-midi. Personne ne lui avait rien demandé. On travaillait jour et nuit dans le building, et surtout quand les employés n’étaient pas là.

Tanaka était assez fier de son plan. En jouant avec la machine, Malko fermerait le circuit. En quelques secondes, cela serait fini. Le Japonais n’aurait plus qu’à retirer les fils du branchement. Il avait déjà liquidé plusieurs personnes de cette façon au cours de sa carrière. Il suffisait de repérer une ligne à haute tension, de posséder un petit matériel et quelques notions d’électricité.

La partie délicate consistait à amener Malko dans la pièce à un moment où elle était déserte. Mais le coup de fil et l’installation finale avait pris exactement huit minutes à Tanaka. Il avait appelé du bureau 1183.

Quand Malko toucherait les fils, l’aiguille du voltmètre volant allait plonger sur la droite. Il suffisait d’attendre une minute. Tanaka s’était enfermé dans le cagibi et ne craignait que la visite inopinée d’un ouvrier de l’entretien. Ce qui était tout à fait improbable à l’heure du déjeuner.

Il achevait son cycle respiratoire du yoga quand l’aiguille oscilla brusquement, puis bondit vers la droite. Elle oscilla follement quelques secondes, puis retomba d’un coup vers la gauche. L’homme avait établi le contact, lutté pour se dégager puis était tombé de la chaise, électrocuté, interrompant le courant.

Le Japonais débrancha aussitôt le fil volant avec sa pince isolante. Il ne restait plus qu’à regagner le restaurant des délégués, où un de ses collègues japonais l’attendait. Cela n’avait aucune importance qu’on découvre les fils. On saurait, de toute façon, que c’était l’œuvre d’un professionnel.

Tanaka ouvrit la porte et referma rapidement. C’était le seul moment risqué de la mission. Car il n’avait rien à faire dans ce réduit.

— Qu’est-ce que vous cherchez ?

La voix froide le fit sursauter. Il se retourna d’un bloc. Une Chinoise, un sandwich à la main, l’examinait, les sourcils froncés. Une femme aux cheveux gris tirés en chignon, très maigre.

— Je me suis trompé de porte, fit Tanaka avec son sourire le plus idiot.

Il ne pouvait pas savoir que Mme Tso, le bras droit du docteur Shu-lo abrégeait toujours ses lunches, souffrant de l’estomac. Et qu’elle était méfiante par métier.

— Vous n’avez pas pu vous tromper, dit-elle sèchement. Il faut une clé spéciale pour ouvrir cette porte. Qui êtes-vous ?

Une seconde, le colonel Tanaka songea à détaler. Mais il ne pouvait pas disparaître de l’ONU, et cette femme risquait de le reconnaître. Son sang-froid revint instantanément. Il en avait vu d’autres.