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Le colonel Tanaka tira posément trois balles dans la tête de Mamadou Rikoro, bien que la première ait pénétré sous le nez et démantelé le cerveau. Cela fit trois petits bruits sourds, à cause du silencieux. Un modèle particulièrement sophistiqué qui englobait la chambre d’éjection. D’ailleurs l’acoustique de la salle du Conseil de tutelle avait toujours été déficiente.

Mamadou Rikoro bascula sur son fauteuil. Le colonel Tanaka s’approcha et poussa le corps le plus loin possible, de façon qu’il soit invisible de la travée. Heureusement, le diplomate n’était pas trop corpulent. L’odeur de cordite allait très vite se dissoudre dans la senteur de renfermé. La salle n’était visitée que par les groupes de touristes.

À tout hasard, Tanaka descendit les travées pour ressortir par la porte donnant du côté du bar des délégués. Il l’ouvrit rapidement au moment où le garde tournait le dos. Celui-ci vit bien Tanaka. Mais en voyant son collègue le stopper à l’entrée du bar et le laisser passer après qu’il lui eut montré son passe, il ne réagit pas. Certains délégués n’hésitaient pas de temps en temps, à venir faire une petite sieste dans sa salle du Conseil de tutelle. Ou même à se livrer à une visite de sentiments sur les moelleux fauteuils rouges, avec une secrétaire débauchée des sections de traducteurs.

Tanaka alla jusqu’à la cafétéria, où il rejoignit d’autres membres de la délégation japonaise.

* * *

Le corps de Mamadou Rikoro serait peut-être resté là plusieurs jours si une certaine Mrs Thins, de Topeka (Kansas) n’avait éprouvé une grande fatigue dans les jambes à la suite de sa longue visite des Nations Unies. Elle se glissa hors du groupe de touristes et s’effondra dans un moelleux fauteuil du Conseil de tutelle. Hélas, elle ne put étendre ses jambes endolories. En baissant la tête, elle aperçut quelque chose de noir. Pensant qu’il s’agissait d’un objet, elle envoya la main.

C’était la tête de Mamadou Rikoro.

Le hurlement de Mme Thins interrompit net la pertinente explication de la guide. Il se propagea même très loin en dépit de la mauvaise acoustique… Si loin que deux gardes accoururent, croyant à une crise de nerfs.

— Il y a un cadavre ici, glapit Mme Thins.

Et elle s’évanouit.

* * *

Le minuscule bureau du colonel MacCarthy était envahi par la fumée. Le colonel semblait déprimé. Deux cadavres en une semaine, c’était beaucoup. D’autant que, même avec beaucoup d’imagination, on ne pouvait parler de crime de sadique en ce qui concernait Mamadou Rikoro.

— Travail de professionnel, avait suavement murmuré Katz.

Le meurtrier avait ramassé ses douilles. Le contenu des poches de Rikoro s’étalait sur la table du colonel MacCarthy. Rien qui puisse faire avancer l’enquête.

Un à un, les gardes défilaient pour témoigner. En principe, personne ne pouvait pénétrer dans la salle du Conseil de tutelle. Sauf tous les tours guidés et les délégués. Choix horrible…

— Je crois que j’ai aperçu le meurtrier, avoua un des gardes. Un homme petit, brun. Il était de dos. Il a été stoppé par mon collègue à l’entrée du bar des délégués. Comme j’ai vu qu’il était O.K., je n’ai pas insisté.

Le colonel MacCarthy fit appeler le garde en faction devant le bar des délégués.

Celui-ci ne se souvenait de rien. Il contrôlait automatiquement tous les gens qui entraient au bar. Ne regardait même pas les visages, juste les cartes. Peut-être cent à l’heure. On ne put rien lui sortir d’autre.

Chapitre XVIII

Les deux religieuses passèrent d’un pas majestueux devant la statue filiforme offerte par le Nigeria et pénétrèrent dans le bar des délégués. Le garde de service hésita à les stopper puis se décida trop tard : les deux noires majestueuses dans leurs robes blanches s’étaient perdues dans la foule du bar des délégués. C’était la dernière suspension de séance avant le vote sur le rétablissement des droits légitimes de la République populaire de Chine.

Bien sûr, le garde aurait pu retrouver les deux religieuses, mais il ne devait pas abandonner son poste.

Le délégué de la Haute-Volta se retourna : on l’appelait par son nom. Il se trouva nez à nez avec une Noire qui avait de très grands yeux marron et l’air doux. Sa robe blanche de religieuse n’arrivait pas à dissimuler la grâce de son corps, et il en fut troublé à son corps défendant.

— Ma sœur ? demanda-t-il respectueusement.

— Je voudrais vous parler, fit la religieuse d’une belle voix de basse.

Encore une tapeuse. Au nom de la fraternité de race.

— Nous allons entrer en séance, expliqua le diplomate. Et je suis tout seul de ma délégation.

— Je n’en ai pas pour longtemps, insista la religieuse. Quelques minutes et c’est extrêmement important. Pour vous.

Intrigué, le délégué chercha un endroit tranquille. Mais on se serait cru au marché aux esclaves, les jours d’arrivages de Caucasie. La religieuse le tira d’affaire.

— Nous pouvons faire quelques pas au rez-de-chaussée, suggéra-t-elle, nous y serons plus tranquilles.

Le délégué de la Haute-Volta accepta. Ils repassèrent devant le garde et descendirent par l’escalier roulant au rez-de-chaussée. La galerie intérieure était effectivement déserte.

Souriant, le Noir se tourna vers sa sœur de race.

— Alors, en quoi puis-je vous aider ?

La Noire sourit, angélique, les deux mains enfoncées dans sa large robe.

— C’est très simple. Vous allez venir avec moi.

Le diplomate sursauta, assez surpris.

— Avec vous ? Mais c’est impossible, la séance commence dans une demi-heure. Il faut que je vote.

Le sourire de son interlocutrice se fit encore plus angélique.

— Vous allez venir quand même.

À ce moment il vit le canon du parabellum braqué sur son ventre et voulut sauter en arrière. Mais le mur le retint.

— Mais, vous êtes folle ! fit-il d’une voix étranglée. C’est une plaisanterie.

La grande bouche de la Noire souriait toujours, mais ses yeux étaient froids.

— Vous allez marcher à côté de moi, ordonna-t-elle. Nous allons sortir d’ici et monter dans une voiture qui nous attend. Si vous obéissez rien ne vous arrivera.

— Mais qu’est-ce que vous voulez ? protesta le diplomate, je n’ai pas d’argent sur moi…

— Je ne veux pas d’argent, dit la religieuse. Nous vous relâcherons après le vote.

Le délégué de la Haute-Volta sursauta.

— Mais c’est ridicule. Je raconterai ce qui s’est passé. On annulera le vote.

La Noire dit d’un ton calme et cependant menaçant :

— Vous ne direz rien, sinon vous serez exécuté. Même si toute la police vous protège. Si vous dites un mot à qui que ce soit, vous mourrez.

Le délégué la crut. Il savait qu’il se passait des choses étranges à New York. Que certaines organisations criminelles étaient toutes-puissantes. Il fut envahi par une panique irrépressible. Le canon du parabellum s’enfonça encore un peu dans son estomac. Il était prolongé par une sorte de gros cylindre : un silencieux.

— Dépêchez-vous, ordonna la religieuse. Si vous tentez de fuir, je vous abats.

Elle remit le pistolet dans sa poche, mais il en voyait la forme à travers le tissu. Il avait trop peur pour réfléchir. Comme un automate il lui emboîta le pas. L’esplanade à droite grouillait de monde. C’était le coin des touristes. La Noire marchait à côté de lui, très près, et à chaque pas il sentait le canon de l’arme heurter sa hanche.

À la grille, ils durent passer à travers un groupe de touristes. Le délégué reconnut une des guides, une ravissante Chinoise qu’il avait courtisée, et lui adressa un sourire crispé.