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Le quatuor, dans le restaurant, s’installa sur les tabourets du comptoir et regarda l’image qui changeait. On se trouvait à présent à l’intérieur d’une grande tente. Une quarantaine de journalistes étaient assis sur des chaises pliantes, d’autres se tenaient debout dans le fond. Ils parlaient entre eux à voix basse. On avait dressé une estrade de fortune à l’autre extrémité. Elle était festonnée de micros et flanquée de deux drapeaux américains ; un écran était installé derrière.

« Sacrément professionnel, pour une opération improvisée, fit remarquer Ernie.

— Oh, pas si improvisée que ça », dit Jackie.

Elle se rappelait sa conversation avec Cox. Nous allons faire de notre mieux pour pourrir la vie à Rennie, avait-il déclaré.

Un pan de toile s’écarta, sur le côté gauche de la tente, et un homme de petite taille, l’air physiquement en forme, les cheveux grisonnants, s’avança d’un pas vif et sauta sur l’estrade. Il portait le treillis de l’armée et s’il avait reçu des décorations, il n’en exhibait aucune. Il n’y avait qu’une chose sur le devant de sa chemise, une bande de tissu sur lequel on lisait : COL. J. COX. Il ne tenait aucune note à la main. Les journalistes firent aussitôt le silence et Cox leur adressa un petit sourire.

« Ce type doit être un pro de la conférence de presse. Il a l’air sensationnel.

— Chut, Julia, dit Rose.

— Mesdames et messieurs, merci d’être venus, commença Cox. Je ferai un bref exposé et je répondrai ensuite à vos questions. La situation, en ce qui concerne Chester’s Mill et ce que nous appelons aujourd’hui le Dôme reste inchangée : la ville est toujours coupée du reste du monde, nous n’avons toujours pas la moindre idée de ce qui a engendré cette situation et tous nos efforts pour rompre cette barrière ont jusqu’ici échoué. D’ailleurs vous le sauriez, bien entendu, si nous y étions parvenus. Les meilleurs scientifiques d’Amérique — les meilleurs du monde entier — se penchent sur ce phénomène et envisagent plusieurs hypothèses. Ne me demandez pas lesquelles, vous n’auriez aucune réponse à ce stade. »

Un murmure de mécontentement monta de la foule des journalistes. Cox attendit. Sous son image à l’écran, la bande défilante de CNN afficha AUCUNE RÉPONSE À CE STADE. Cox reprit lorsque les murmures cessèrent :

« Comme vous le savez, nous avons établi une zone d’interdiction autour du Dôme, tout d’abord d’un mille, puis de deux dès dimanche et, finalement, portée à quatre mardi. Un certain nombre de raisons justifiaient cette précaution, la plus importante étant que le Dôme est dangereux pour des personnes portant des implants, en particulier des pacemakers. Une autre raison était que le champ qui engendre le Dôme aurait pu avoir d’autres conséquences néfastes moins évidentes.

— Parlez-vous de radiations, colonel ? » lança quelqu’un.

Cox pétrifia l’homme d’un regard et, lorsqu’il parut estimer le journaliste suffisamment châtié (pas Wolfie, constata Rose avec plaisir, mais ce roquet à moitié chauve et jacassant de Fox News), reprit son laïus :

« Nous pensons à l’heure actuelle que le Dôme ne présente aucun autre effet nocif, du moins à court terme, et nous avons donc choisi vendredi 27 octobre — après-demain — comme Journée des Visiteurs au Dôme. »

Un concert furieux de questions éclata aussitôt. Cox attendit et, quand les journalistes se furent tus, il prit une télécommande dans une étagère de la console qui portait les micros et appuya sur un bouton. Une photo en haute résolution (beaucoup trop bonne pour provenir de Google Earth, de l’avis de Julia) apparut sur l’écran. On voyait Chester’s Mill et les deux villes au sud, Motton et Castle Rock. Cox échangea la télécommande contre un pointeur laser.

La bande défilante, disait maintenant : VENDREDI JOURNÉE DES VASITEURS AU DÔME. Julia sourit. Le colonel Cox avait pris en faute la machine à composer de CNN.

« Nous pensons pouvoir organiser une visite pour douze mille personnes, reprit Cox. Il ne pourra s’agir que de parents proches, au moins pour cette fois… et nous prions tous pour qu’il n’y ait pas d’autre fois. Les points de ralliement seront situés ici, sur le champ de foire de Castle Rock, et ici, sur l’anneau de vitesse d’Oxford Plains. » Il fit porter le point rouge sur les deux emplacements. « Il y aura douze autocars à chacun des endroits. Ils nous ont été prêtés par les autorités scolaires locales, qui ont annulé un jour de classe pour contribuer à cet effort, et nous les en remercions chaleureusement. Un vingt-cinquième car sera mis à la disposition des journalistes au Shiner’s Bait and Tackle de Motton. » Pince-sans-rire, il ajouta : « Étant donné qu’on vend aussi de l’alcool au Shiner’s, je suis certain que la plupart d’entre vous le connaissent. Un seul véhicule de vidéo, je dis bien un seul, sera autorisé à participer à cet événement. Vous vous arrangerez entre vous pour couvrir l’évènement, mesdames et messieurs, et la chaîne sera choisie par tirage au sort. »

Il y eut un grognement à cette annonce, surtout pour la forme.

« Il y a quarante-huit sièges dans le bus de la presse et, de toute évidence, il y a plusieurs centaines de journalistes ici, venus des quatre coins du monde…

— Des milliers ! » cria un homme à cheveux gris, ce qui provoqua un rire général.

« Ça me fait plaisir de voir enfin quelqu’un s’amuser », dit Ernie d’un ton amer.

Cox s’autorisa un sourire. « Correction acceptée, Mr Gregory. Les sièges seront alloués aux diffuseurs, chaînes de télé, agences de presse — Reuter, Tass, AFP, etc. — et c’est à eux qu’il reviendra de désigner leur représentant. »

« Y’a intérêt à ce que ce soit Wolfie pour CNN, lança Rose, c’est tout ce que je peux dire. »

Les journalistes parlaient avec excitation.

« Puis-je continuer ? intervint Cox. Et que ceux qui envoient des messages veuillent bien s’interrompre. »

« Hooo, roucoula Jackie, j’adore quand un homme a de l’autorité. »

« Vous n’avez certainement pas oublié que ce n’est pas vous, l’évènement, n’est-ce pas ? Est-ce que vous vous comporteriez ainsi si c’était un effondrement dans une mine, ou des gens pris sous un immeuble après un tremblement de terre ? »

Le silence qui accueillit ces remontrances rappelait celui d’une classe de CM lorsque le maître finit par perdre patience. Il avait vraiment de l’autorité, pensa Julia qui, un instant, regretta de tout son cœur que Cox ne fût pas ici, sous le Dôme, en charge des opérations. Mais évidemment, si les cochons avaient des ailes, le bacon volerait.

« Votre tâche, mesdames et messieurs, est double : nous aider à faire circuler l’info et contribuer à ce que les choses se passent sans problème lors de la Journée des Visiteurs. »

La bande défilante de CNN devint : LA PRESSE CONVIÉE À AIDER LES VISITEURS VENDREDI.

« La dernière chose dont nous avons besoin, c’est de voir des proches venus de partout se ruer ici, dans le Maine. Nous avons déjà un total de près de dix mille parents des prisonniers du Dôme rien que dans la région ; les hôtels, motels et terrains de camping sont archicombles. Le message aux parents qui se trouvent dans le reste du pays est simple : si vous n’êtes pas ici, ne venez pas. Non seulement on ne vous accorderait pas le passe Visiteur, mais vous seriez renvoyés, que vous vous présentiez là, là, là ou là. » Le point rouge se posa sur Lewiston, Auburn, North Windham et Conway, au New Hampshire.