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Buddy continuait de hurler.

Henrietta enfila sa robe d’intérieur, mit ses pantoufles et sortit. Elle s’avançait sur le trottoir lorsqu’une voiture s’arrêta à sa hauteur. Douglas Twitchell, très certainement en route pour l’hôpital. Il avait encore les yeux gonflés de sommeil et il tenait une tasse de café en carton (avec le logo du Sweetbriar Rose dessus) à la main lorsqu’il descendit du véhicule.

« Vous allez bien, Mrs Clavard ?

— Moi oui, mais il y a quelque chose qui ne va pas bien chez les Freeman. Vous entendez ça ?

— Oui.

— Il a dû leur arriver quelque chose. Les voitures sont là. Pourquoi ne le font-ils pas arrêter ?

— Je vais aller voir. » Il prit une gorgée de café, puis posa le gobelet sur le capot de sa voiture. « Vous, vous restez ici.

— Sûrement pas. »

Ils parcoururent les vingt mètres de trottoir et s’engagèrent dans l’allée des Freeman. Le chien hurlait, hurlait. Henrietta en avait la chair de poule, alors que l’air matinal était d’une tiédeur malsaine.

« L’air sent très mauvais, remarqua-t-elle. Il me rappelle l’odeur des papeteries de Rumford ; il y en avait plusieurs qui tournaient encore quand je me suis mariée. Ça ne peut pas être bon pour les gens. »

Twitch répondit d’un grognement et appuya sur la sonnette des Freeman. N’obtenant aucune réaction, il frappa à la porte, puis cogna dessus.

« Regardez si c’est fermé à clef, suggéra Henrietta.

— Je ne sais pas si je dois, Mrs…

— Allons, voyons. » Elle passa devant lui et essaya la poignée. Celle-ci tourna. Elle poussa le battant. L’intérieur était silencieux, encore plongé dans les ombres profondes du début de la matinée. « Will ? lança-t-elle, Lois ? Vous êtes là ? »

Personne ne répondit, mais les hurlements continuèrent.

« Le chien est là, derrière », dit Twitch.

Il aurait été plus rapide de traverser la maison, mais ni l’un ni l’autre n’avaient envie de le faire, si bien qu’ils ressortirent pour emprunter l’allée, puis le passage couvert qui séparait la maison du garage, là où Will rangeait non pas ses voitures, mais ses jouets : deux motoneiges, un ATV, un vélo de cross Yamaha et une imposante Honda Gold Wing.

À l’arrière de la maison, une haute palissade fermait le terrain à la vue. La porte qui y donnait s’ouvrait juste après le passage couvert. Twitch la poussa et subit aussitôt l’impact de près de trente kilos d’un setter irlandais frénétique. Il poussa un cri de surprise et leva les mains, mais le chien ne voulait pas le mordre ; Buddy était en plein mode sauvez-moi-s’il-vous-plaît. Il posa ses pattes avant sur la dernière tunique propre de Twitch et se mit à le lécher partout comme un fou.

« Arrête ! » cria Twitch. Il repoussa l’animal qui retomba au sol mais bondit aussitôt à nouveau sur lui, laissant d’autres traces sales, sa longue langue rose lui léchant à nouveau les joues.

« Buddy, assis ! » ordonna Henrietta. Le chien obéit sur-le-champ, mais son regard ne cessait d’aller de Twitch à Henrietta et il gémissait. Une flaque d’urine commença à s’étaler sous lui.

« C’est pas bon signe, Mrs Clavard.

— Non, admit Henrietta.

— Vous devriez peut-être rester avec le ch… »

Henrietta l’envoya de nouveau promener et s’avança d’un pas décidé dans le jardin des Freeman, laissant Twitch la rejoindre. Buddy resta sur leurs talons, tête basse, queue rentrée, poussant toujours ses gémissements pitoyables.

Ils découvrirent un patio dallé avec un barbecue. Celui-ci était soigneusement bâché (avec CUISINE FERMÉE écrit sur la toile). Un peu plus loin, en bordure de la pelouse, se trouvait le jacuzzi des Freeman, sur une plate-forme en pin redwood. Twitch supposa que la hauteur de la palissade était destinée à leur permettre de s’y baigner nus et peut-être de tirer leur coup, si la fantaisie leur en prenait.

Will et Lois se trouvaient dans le jacuzzi, mais ils n’y tireraient plus jamais de coups. Ils avaient enfilé des sacs en plastique transparents sur leur tête et les avaient scellés autour de leur cou avec de la fibre ou des élastiques bruns. La condensation avait opacifié les sacs, mais pas au point d’empêcher de distinguer leurs visages empourprés. Posée sur l’abattant en pin qui séparait les dépouilles mortelles de Will et Lois Freeman, Twitch vit une bouteille de whisky et une petite fiole de médicament.

« Stop », dit-il. Il ignorait s’il parlait pour lui-même ou s’il s’adressait à Mrs Clavard, ou encore à Buddy, lequel venait de pousser un de ses gémissement pitoyables. Pas aux Freeman, en tout cas.

Henrietta ne s’arrêta pas. Elle s’avança jusqu’au jacuzzi, monta les deux marches le dos aussi droit que celui d’un soldat, regarda les visages décolorés de ses gentils voisins, des voisins parfaitement normaux, n’aurait-elle pas hésité à dire, jeta un coup d’œil à la bouteille de whisky, vit qu’il s’agissait de Glenlivet (la classe, pour un dernier voyage), puis elle prit la fiole et vit qu’elle portait une étiquette de la pharmacie de Sanders.

« Ambien ou Lunesta ? demanda Twitch d’une voix étranglée.

— Ambien, répondit Henrietta, soulagée d’entendre que la voix qui sortait de sa gorge sèche paraissait normale. Ils sont à elle. Même si quelque chose me dit qu’elle a partagé avec lui, hier soir.

— Pas de mot ?

— Pas ici, en tout cas. À l’intérieur, peut-être. »

Mais là non plus ils ne trouvèrent pas de mot, du moins pas en évidence, et ni Twitch ni Henrietta ne voyaient pour quelle raison une note des Freeman disant leur intention de se suicider aurait été cachée. Buddy les suivait de pièce en pièce ; il ne hurlait plus, mais un gémissement sortait du fond de sa gorge.

« Je crois que je vais le prendre chez moi, dit Henrietta.

— Vous n’avez pas trop le choix. Je ne peux pas l’amener à l’hôpital. J’appellerai Stewart Bowie pour qu’il vienne euh… faire le nécessaire. »

Il eut un geste du pouce par-dessus son épaule. Il sentait son estomac se soulever, mais ce n’était pas le pire. Le pire, c’était la dépression qui l’envahissait en douce et jetait une ombre noire sur son âme normalement ensoleillée.

« Je ne comprends pas qu’ils aient eu une telle réaction, dit Henrietta. Si cela faisait un an que nous étions sous le Dôme… ou même un mois… oui, peut-être. Mais moins d’une semaine ? Ce n’est pas ainsi que des gens solides réagissent à une situation difficile. »

Twitch pensait qu’il le comprenait, lui, mais il ne voulut pas le dire à Henrietta : ça finirait par faire un mois, ça finirait par faire une année. Ou plus longtemps. Et sans pluie, avec des ressources allant en s’amenuisant, un air de plus en plus malsain. Si le pays possédant la technologie la plus sophistiquée au monde n’était pas capable d’avoir prise sur le phénomène qui s’était produit à Chester’s Mill (sans même parler de résoudre le problème), ce n’était pas demain la veille qu’il disparaîtrait. Voilà sans doute ce qu’avait compris Will Freeman. Ou peut-être était-ce l’idée de Lois. Peut-être, lorsque le générateur s’était arrêté, avait-elle dit : Faisons-le avant que l’eau du jacuzzi ne devienne froide, mon chéri. Quittons le Dôme tant que nous avons le ventre plein. Qu’est-ce que tu en dis ? Un dernier bain, et quelques verres pour la route.