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— Tais-toi, Joanie », lui dit Claire.

Julia n’avait pas un instant quitté Rusty des yeux.

« Pourquoi est-ce important pour vous ? » lui demanda Rusty. On aurait dit qu’il ne sentait pas la présence des autres, à ce moment-là ; comme s’ils n’avaient été que tous les deux.

« Dites-moi, c’est tout, dit Julia.

— Un jour, pendant qu’on se livrait à… à ça… il m’est venu à l’esprit que les fourmis avaient aussi leur petite vie à elles. Je sais bien que ça fait bêtement sentimental…

— Des millions de gens dans le monde croient justement ça, l’interrompit Barbie. Ils vivent avec.

— Bref, je me suis dit que nous leur faisions du mal. Que nous les brûlions, que nous les faisions sans doute griller jusqu’à l’intérieur de leur maison sous terre. En ce qui concernait les victimes directes de la loupe de George, la question ne se posait même pas. Certaines arrêtaient de bouger, mais la plupart prenaient feu.

— C’est affreux », dit Lissa qui tripotait à nouveau son bijou.

« Oui, madame. Et ce jour-là, j’ai dit à George d’arrêter. Il n’a pas voulu. Il a dit, c’est la guerre juculaire. Je m’en souviens. Pas nucléaire, non, juculaire. J’ai essayé de lui arracher la loupe des mains. Nous nous sommes battus, et la loupe a été cassée. »

Il s’interrompit un instant. « Ce qui n’est pas vrai, même si c’est que j’ai dit à l’époque, même si la correction que m’a donnée mon père n’a pas pu me faire changer de version. Celle donnée par George à ses parents était la bonne. J’avais volontairement cassé sa foutue loupe. » Il fit un geste vers l’obscurité. « Comme je casserais cette boîte, si je pouvais. Parce que aujourd’hui, c’est nous qui sommes les fourmis et la boîte qui est la loupe. »

Ernie repensa au chat avec la queue en feu. Claire McClatchey se souvint du jour où elle et sa meilleure amie s’étaient assises sur une enquiquineuse qu’elles détestaient. La fille, une nouvelle, avait un accent du Sud marrant qui donnait l’impression qu’elle parlait avec de la purée plein la bouche. Plus la nouvelle pleurait, plus elle et sa copine riaient. Romeo Burpee se rappela le soir où, étant ivre, il avait vu Hillary Clinton pleurer à la télévision et tendu son verre vers l’écran en s’écriant : « Bien fait pour toi, foutue gonzesse, tire-toi de là et laisse les mecs faire le boulot ! »

Barbie, lui, évoqua un certain gymnase : la chaleur du désert, l’odeur de la merde, un ricanement.

« Je veux voir ce truc de mes propres yeux, dit-il. Qui veut m’accompagner ? »

Rusty soupira. « Moi. »

5

Au moment où Barbie et Rusty s’approchaient de la boîte et de son symbole bizarre émettant des éclats de lumière violette, le deuxième conseiller James Rennie se trouvait dans la cellule que Barbie avait occupée un peu plus tôt.

Carter Thibodeau l’avait aidé à placer le corps de Junior sur la banquette. « Laisse-moi avec lui, avait dit Big Jim.

— Je sais bien que vous devez vous sentir mal, patron, mais il y a mille choses urgentes à faire.

— J’en ai bien conscience. Et je vais m’en occuper. Mais j’ai besoin de passer un moment avec mon fils, avant. Cinq minutes. Après quoi, tu t’occuperas de le faire transporter jusqu’au salon funéraire.

— Très bien. Je suis désolé, patron. Junior était un bon garçon.

— Non, pas vraiment », répondit Big Jim. Il avait parlé d’un ton doux, genre je dis les choses comme elles sont. « Mais voilà, c’était mon fils et je l’aimais. En fin de compte ce n’est peut-être pas si mal. »

Carter réfléchit. « Je sais. »

Big Jim sourit. « Je sais que tu sais. Je commence à me dire que tu es le fils que j’aurais dû avoir. »

Le visage de Thibodeau s’empourpra de plaisir, tandis qu’il grimpait prestement les marches…

Quand il fut parti, Big Jim s’assit sur la banquette et posa la tête de Junior sur ses genoux. Le visage du jeune homme ne présentait aucune marque, et Carter lui avait fermé les yeux. Il suffisait d’ignorer le sang qui souillait sa chemise pour avoir l’impression qu’il dormait.

C’était mon fils et je l’aimais.

C’était vrai. Il avait été prêt à sacrifier Junior, exact, mais il y avait des précédents — ce qui s’était passé sur la colline du Calvaire, par exemple. Et comme le Christ, le garçon était mort pour une cause. Les dégâts qu’avaient pu entraîner les propos délirants d’Andrea Grinnell seraient effacés lorsque la ville se rendrait compte que Barbie avait tué plusieurs officiers de police dévoués, y compris le fils unique de leur chef. Barbie, qui était dans la nature et sans aucun doute en train de tramer de nouveaux coups diaboliques, était un atout politique.

Big Jim resta assis encore quelques instants, passant les doigts dans les cheveux de Junior et contemplant, dans un état second, le visage reposé de son fils. Puis, d’une voix contenue, il chanta pour lui comme l’avait fait sa mère quand il était au berceau, regardant le monde avec de grands yeux émerveillés. « Mon bébé vogue sous une lune d’argent, vogue dans le ciel ; mon bébé vogue sur une mer de rosée, tandis que passent les nuages… vogue, mon bébé, vogue… vogue au-delà des mers… »

Puis il s’interrompit. Il ne se souvenait plus de la suite. Il reposa la tête de Junior sur la banquette et se leva. Son cœur fit une embardée chaotique et il retint son souffle… puis tout rentra dans l’ordre. Il se dit qu’il allait devoir reprendre de ce verapa-machin-truc dans les réserves de la pharmacie d’Andy, mais en attendant, il y avait du boulot.

6

Il quitta Junior et remonta lentement l’escalier, agrippé à la rampe. Carter était dans la salle de service. On avait retiré les corps et du papier journal absorbait le sang de Mickey Wardlaw.

« Allons à l’hôtel de ville avant que ça grouille de flics ici. La Journée des Visiteurs va commencer dans… (il regarda sa montre)… environ douze heures. Nous avons beaucoup de choses à faire d’ici-là.

— Je sais, répondit Carter.

— Et n’oublie pas mon fils. Je veux que les Bowie s’en occupent en priorité. Une présentation respectueuse de ses restes et un beau cercueil. Dis à Stewart que si jamais je vois Junior dans l’une de ses cochonneries en contreplaqué, je le tue. »

Carter griffonnait dans son carnet. « Je m’en occupe.

— Et dis-lui aussi que j’ai à lui parler sous peu. »

Plusieurs policiers se présentèrent à la porte principale. Ils paraissaient abattus, un peu apeurés, très jeunes et très inexpérimentés. Big Jim se hissa hors du fauteuil dans lequel il s’était laissé tomber pour reprendre son souffle. « Faut y aller.

— Je suis prêt », dit Carter.

Il s’en tint là.

Big Jim se tourna vers lui. « Quelque chose qui te tracasse, fiston ? »

Fiston. Carter aima bien ce fiston. Son père s’était tué cinq ans auparavant lorsque son van s’était écrasé contre l’un des ponts jumeaux de Leeds. Ça n’avait pas été une grande perte. Il avait battu sa femme et ses deux fils (le frère aîné de Carter s’était engagé dans la Navy), mais tout cela n’intéressait plus tellement Carter ; sa mère s’assommait au café arrosé et lui-même avait assez bien supporté les coups. Non, ce qu’il avait haï chez son vieux c’était sa façon de geindre tout le temps et sa stupidité. Les gens pensaient que Carter était aussi stupide que son père — hé, Junes elle-même l’avait cru — mais ce n’était pas vrai. Et ça, Mr Rennie l’avait compris, et Mr Rennie n’était certainement pas du genre geignard.