— C'est pratiquement désert, chuchota Sophie. Langdon était assez déçu. Il avait espéré voir beaucoup plus de monde. Il ne tenait pas à répéter l'expérience de Temple Church.
L'Américain s'attendait à croiser une foule dense de touristes parmi lesquels Sophie et lui auraient pu passer inaperçus. Mais sa dernière visite de Westminster avait eu lieu en plein été, un jour où les touristes déferlaient dans une abbaye bien éclairée. Aujourd'hui, en ce matin d'avril pluvieux, Langdon ne voyait qu'un désert de dalles grises ponctué d'alcôves vides et noirâtres.
Apparemment consciente de l'appréhension de son compagnon, Sophie lui rappela qu'ils étaient entrés par un portique de sécurité.
— Si nous sommes attendus, le quidam en question ne peut être armé.
Langdon acquiesça, toujours sur le qui-vive. Il avait même exprimé le souhait de se faire accompagner par des policiers, mais Sophie s'y était opposée. « Nous devons retrouver le cryptex, avait insisté Sophie. C'est la clé. »
Et elle avait raison bien sûr.
Grâce à lui, nous récupérerons Teabing vivant ; nous retrouverons le Graal ; et nous identifierons le responsable de cette machination.
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Malheureusement, une visite à la tombe d'Isaac Newton constituait leur seule chance de mettre la main sur la clé de voûte... Celui (ou ceux) qui détenait le cryptex devait s'y rendre pour décrypter le dernier indice et, si ce personnage n'était pas déjà reparti, Sophie et Langdon avaient bien l'intention de l'intercepter.
Marchant à grands pas vers la gauche pour se mettre à couvert, ils gagnèrent une obscure nef latérale masquée par une rangée de piliers.
Langdon ne parvenait pas à chasser de son esprit l'image de Leigh Teabing retenu captif, probablement ligoté dans le coffre de sa propre limousine. Celui qui avait ordonné le meurtre des dirigeants du Prieuré n'hésiterait pas une seconde à éliminer tous ceux qui se dresseraient sur sa route. Quelle cruelle ironie du sort, se dit-il, que Teabing, ce chevalier moderne, ait été intercepté alors qu'il était lancé sur la piste de son compatriote et pair, sir Isaac Newton.
— Par où devons-nous prendre ? s'enquit Sophie en scrutant les parages du regard.
La tombe. Langdon n'en avait pas la moindre idée.
— Nous devrions demander à un gardien. Westminster est un véritable dédale de mausolées, de recoins, de niches, de galeries qui se commandent les uns les autres. Comme la Grande Galerie du Louvre, elle ne dispose que d'une unique entrée, celle qu'ils venaient tout juste d'emprunter et qu'ils auraient été bien en peine de retrouver par eux-mêmes. « Un vrai piège à touristes ! » maugréa Langdon, se rappelant la remarque ironique d'un collègue. Fidèle à la tradition architecturale, l'abbaye a été érigée selon un plan en croix.
Pourtant, contrairement à la plupart des églises, son entrée est située sur le côté et non à l'arrière de l'église, au commencement de la nef. De plus, l'abbaye est entourée d'une série de cloîtres.
Un pas dans la mauvaise direction et le visiteur inattentif se perd bientôt dans un labyrinthe de passages extérieurs entourés de hauts murs.
— Les gardiens portent des blouses rouges, fît Langdon alors qu'ils approchaient du centre de l'abbaye.
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En jetant un regard oblique vers l'extrémité du transept sud, par-delà l'autel, Langdon vit un groupe d'artistes, à quatre pattes. On apercevait souvent ces pèlerins un peu particuliers dans le coin des poètes. C'étaient de simples touristes occupés à relever les inscriptions et les motifs en relief sur les pierres tombales.
— Je n'aperçois pas le moindre gardien, répondit Sophie, peut-être parviendrons-nous à retrouver la tombe par nous-mêmes ?
Sans un mot, Langdon lui fit faire quelques pas vers le centre de l'abbaye et pointa son index vers la droite.
— Ah, d'accord...
Sophie eut le souffle coupé en embrassant du regard l'immensité de la nef.
— Oui, on va essayer de trouver un gardien, conclut-elle convaincue.
Au même moment, quelques dizaines de mètres plus bas, Isaac Newton recevait la visite d'un admirateur solitaire. Depuis une dizaine de minutes, le Maître étudiait l'impressionnante sculpture dans ses moindres détails.
Encastré dans une niche dorée qui surplombe sa pierre tombale, le monument funéraire de Newton est adossé à la cloison ouest du jubé : un sarcophage massif de marbre noir, surmonté d'une statue du savant britannique en costume d'époque, assis, le coude droit appuyé sur ses livres les plus célèbres empilés derrière lui : Divinity, Chronology, Optiks, et enfin Philosophiae naturalis principia mathematica. À ses pieds, deux angelots tiennent un parchemin enroulé sur lequel on devine un schéma géométrique. L'ensemble se détache sur une impressionnante pyramide de pierre blanche qui cache presque entièrement le fond de la niche.
C'est sur cette pyramide que l'attention du Maître se concentra le plus longtemps - et plus spécifiquement sur l’impressionnante sculpture qui y était adossée, et qui dominait Newton et les deux angelots : sur l'énorme globe, taillé dans le marbre et représentant la voûte céleste, on distinguait les constellations, les signes du zodiaque et le tracé du passage de la
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comète de 1680. Une figure allégorique de l’Astronomie, assise au sommet, était adossée contre un grand livre debout.
Une infinité de sphères...
Cherchez la sphère qui devrait sa tombe orner.
Le Maître était arrivé confiant sur les lieux, convaincu qu'il lui serait facile de découvrir quelle était cette sphère qui manquait à l'ensemble, mais il commençait maintenant à en douter. Manquait-il une planète sur la carte du ciel ?
Probablement pas. Jacques Saunière aurait certainement choisi une énigme beaucoup plus astucieuse, dont la solution sauterait aux yeux sans demander des heures de recherches et de vérifications astronomiques qui, de plus, n'avaient pas grand-chose à voir avec la symbolique du Graal.
Tel un cœur fertile à la chair rosée.
Un groupe de quatre ou cinq touristes qui remontaient le bas-côté, armés de fusains et de grandes liasses de papier, vint le distraire de ses réflexions. Glissant le cryptex dans sa poche, il les regarda passer et disparaître derrière le chœur. Il les imagina gagnant le coin des poètes (Chaucer, Tennyson et Dickens) et leur rendant hommage par un frénétique estampage de leurs tombes.
À nouveau seul, il se rapprocha du monument pour l'inspecter scrupuleusement de bas en haut. Son regard se porta d'abord sur les pieds en crosse du sarcophage, remonta sur le panneau sculpté de la façade, s'attarda sur la statue de Newton et celles des angelots au parchemin, puis sur le globe géant et la figure allégorique qui la surmontait, et enfin sur le décor en voûte étoilée qui tapissait le fond de la niche.
Où peut-il bien manquer une sphère ? songeait-il en caressant le cryptex dans sa poche, comme si le cylindre de marbre gravé par Saunière pouvait lui inspirer la réponse.
Cinq malheureuses lettres me séparent du Graal.
Le Maître approchait de l'extrémité de la cloison nord du jubé. Poussant un long soupir, il se retourna vers la nef principale et le maître autel, au loin. Soudain une tache de couleur rouge attira son regard. C'était un gardien, auquel deux silhouettes très familières faisaient signe.