Couvert de sang, il marcha jusqu'aux abords d'un petit village et chercha en vain quelque chose à manger.
Complètement épuisé, il finit par s'allonger dans le fossé qui bordait la petite route et il perdit conscience.
La lumière revint lentement et le fantôme se demanda s'il était mort depuis longtemps. Un jour ? Trois jours ? C'était sans importance. Il était couché dans un lit tiède, et dans l'air flottait l'odeur de miel des chandelles. Jésus était là, penché sur lui.
« Je suis là, disait-il. La pierre du tombeau a roulé, et tu es ressuscité. »
Il se rendormit, se réveilla de nouveau, l'esprit flottant dans le brouillard. Il ne croyait pas au ciel, et pourtant Jésus le veillait. De la nourriture apparut près de son lit, et le fantôme mangea, sentant presque la chair se reconstituer autour de ses os. Il sombra à nouveau dans le sommeil. Il ouvrit les yeux sur le visage souriant de Jésus. « Tu es sauvé, mon fils.
Bienheureux ceux qui me suivent. »
Il se rendormit.
C'est un appel au secours qui réveilla le fantôme en sursaut.
Sans savoir où il était, il se leva d'un bond, et courut le long d'un couloir, en direction des cris. Dans une cuisine sombre, un homme grand et fort en frappait un autre, plus petit. Sans savoir pourquoi, le fantôme se rua sur l'assaillant et l'envoya voler contre un mur. Le grand costaud s'enfuit, laissant le fantôme debout au-dessus du corps d'un jeune homme en soutane, au nez cassé. Le fantôme le prit dans ses bras et le transporta sur un divan.
— Merci, mon ami, dit le prêtre. L'argent de la quête est toujours tentant pour les voleurs. Tu parlais français dans ton sommeil. Parles-tu aussi l'espagnol ? Il secoua la tête.
— Comment t'appelles-tu ? reprit l'ecclésiastique dans un mauvais français.
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Le fantôme ne se rappelait plus le nom que ses parents lui avaient donné. Seuls les quolibets de la prison tintaient à ses oreilles.
— No hay problema. Ce n'est pas un problème. Je m'appelle Manuel Aringarosa. Je suis missionnaire, je viens de Madrid. On m'a envoyé ici pour construire l'église de l' Obra de Dios.
— Où suis-je ? demanda le fantôme d'une voix blanche.
— À Oviedo, au nord de l'Espagne.
— Comment suis-je arrivé ici ?
— Quelqu'un t'a déposé devant ma porte. Tu étais malade, je t'ai soigné et nourri. Il y a plusieurs jours que tu es ici.
Le fantôme scrutait le visage de son hôte. Il y avait bien longtemps qu'on ne lui avait parlé avec une telle douceur.
— Merci, mon père.
Le prêtre porta la main à sa lèvre ensanglantée.
— C'est moi qui te remercie, mon fils.
Le lendemain matin, le monde était plus clair. Silas fixait calmement un grand crucifix suspendu en face de son lit. Même si l'effigie ne lui disait plus rien, il trouvait sa forme apaisante.
En s'asseyant sur son lit, il remarqua sur sa table de chevet une coupure de journal français. Un article, daté de la semaine précédente. Il le lut, et la peur l'envahit. On y parlait d'un tremblement de terre qui avait détruit une prison, libérant ainsi de dangereux criminels.
Son cœur battait à tout rompre . Le prêtre sait qui je suis ! Il retrouvait des émotions qu'il n'avait pas ressenties depuis des années. La honte, la culpabilité. Accompagnées de la peur d'être capturé. Il sauta à bas de son lit. Où m'enfuir ?
— Les Actes des Apôtres ! fit une voix venant de la porte.
Il se retourna, terrorisé. Le prêtre entra, le sourire aux lèvres, un pansement maladroitement posé sur le nez. Il tendait une vieille bible.
— Je t'en ai trouvé une en français. Ouvre-la au marque-page.
Le fantôme hésita, prit la bible et l'ouvrit à la page indiquée.
Actes, 16.
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Le chapitre racontait l'histoire d'un prisonnier appelé Silas qui gisait dans sa cellule, nu et couvert d'hématomes, et chantait des hymnes à Dieu. En arrivant au verset 26, il eut le souffle coupé :
«... et tout à coup, il se fit un si grand tremblement de terre que les fondements de la prison en furent ébranlés
; au même instant, toutes les portes s'ouvrirent... »
Il leva les yeux vers le prêtre qui le regardait avec un sourire chaleureux.
— Dorénavant, mon ami, si tu n'as pas d'autre nom, je t'appellerai Silas.
Interdit, le fantôme hocha la tête. Silas. Il prenait chair. Je m'appelle Silas.
— C'est l'heure du petit déjeuner. Tu dois reprendre des forces car tu vas m'aider à bâtir cette église.
À dix mille mètres au-dessus de la Méditerranée, le vol 1618
d'Alitalia traversait une zone de turbulences et les passagers s'agitaient nerveusement. C'est à peine si Mgr Aringarosa remarqua quoi que ce fût, absorbé dans ses pensées sur l'avenir de l'Opus Dei. Impatient de savoir comment le plan prévu se déroulait à Paris, il aurait bien voulu pouvoir appeler Silas. Mais c'était impossible. Le Maître y avait veillé.
— C'est pour votre propre sécurité, avait expliqué le Maître, dans un anglais marqué d'un fort accent français. Je connais suffisamment le fonctionnement des communications électroniques pour savoir qu'elles sont faciles à intercepter. Les conséquences pourraient être catastrophiques pour vous.
L'évêque savait que le Maître avait raison. Il semblait exceptionnellement prudent. Sans avoir voulu révéler son identité à Aringarosa, il s'était montré parfaitement digne qu'on lui obéisse. Il avait, après tout, réussi à se procurer des renseignements top secret. Les noms des quatre membres les plus éminents de la confrérie! C'est ce genre d'exploit qui avait convaincu l'évêque que le Maître était vraiment capable de leur livrer le trésor incroyable qu'il prétendait pouvoir découvrir.
— J'ai pris toutes les dispositions nécessaires, Monseigneur. Pour que notre projet réussisse, il faut que vous
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demandiez à Silas de n'obéir qu'à moi pendant les quelques jours à venir. Vous ne communiquerez pas avec lui. C'est moi qui le contacterai par des moyens sécurisés.
— Vous le traiterez dignement ?
— Avec tout le respect que mérite un homme de foi.
— Parfait. Silas et moi ne nous parlerons pas avant que tout soit terminé.
— J'agis ainsi pour protéger votre identité et la sienne, ainsi que mon investissement.
— Votre investissement ?
— Monseigneur, si votre adhésion à mon plan vous conduit derrière les barreaux, vous ne pourrez pas me régler la somme que vous me devrez.
L'évêque sourit.
— C'est subtilement amené ! Je vois que nos souhaits concordent. Eh bien, bonne chance !
Vingt millions d'euros, songeait l'évêque en regardant par son hublot. Pour un bien aussi précieux, c'était dérisoire.
Il reprit confiance. Le Maître et Silas tiendraient leur promesse. L'argent et la foi étaient de puissantes motivations.
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Une plaisanterie numérique ? Livide de rage, Bézu Fache dévisageait Sophie Neveu avec incrédulité.
— Le résultat de votre expertise, reprit-il, c'est que le message de M. Saunière est une blague chiffrée ?