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L'impudence de la jeune femme dépassait son entendement.

Non contente de s'être introduite sans autorisation sur les lieux du crime, elle tentait maintenant de le persuader que Saunière avait consacré les derniers moments qui lui restaient à laisser derrière lui une sorte de gag mathématique.

— Commissaire, ce code est d'une simplicité qui frise l'absurde. Jacques Saunière devait savoir que nous le déchiffrerions en un clin d'œil.

Elle tira de sa poche un petit morceau de papier qu'elle lui tendit.

— Voici le décryptage.

Fache lut avec attention.

1-1-2-3-5-8-13-21

— C'est ça? rétorqua-t-il d'un ton cinglant. Tout ce que vous avez fait, c'est remettre les chiffres dans l'ordre croissant !

Elle eut l'audace de lui répondre avec un large sourire de satisfaction :

— Exactement !

La voix de Fache gronda :

— Inspecteur Neveu, je n'ai aucune idée de ce que vous cherchez à démontrer, mais je vous conseille de le faire rapidement !

Il jeta un regard inquiet en direction de Langdon qui, le téléphone à l'oreille, semblait toujours écouter le message de l'ambassade des États-Unis. À en juger par la pâleur de son visage, les nouvelles n'avaient pas l'air bonnes.

— Commissaire, reprit Sophie d'un ton plein de défi, il se trouve que la série de chiffres que vous avez sous les yeux appartient à l'une des séquences mathématiques les plus célèbres de l'Histoire.

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Non seulement Fache ignorait qu'une séquence

mathématique puisse être célèbre, mais de plus il n'appréciait pas du tout le ton désinvolte de la jeune femme.

— Il s'agit de la suite de Fibonacci, dans laquelle chaque nombre est égal à la somme des deux précédents.

Fache vérifia. C'était vrai, en effet. Mais quel rapport avec la mort de Saunière ?

— Le mathématicien Leonardo Fïbonacci a inventé cette séquence au XIII siècle. Le fait que Saunière ait aligné tous les chiffres du début de cette séquence n'est certainement pas une coïncidence.

Fache regarda longuement la jeune femme.

— Très bien. Dans ce cas, voulez-vous me dire pourquoi Saunière l'a intégrée à son message? Que nous dit-il? Qu'est-ce que cela peut bien signifier ?

Elle haussa les Épaules.

— Absolument rien, c'est bien là le problème. C'est un jeu cryptographique des plus simplistes. C'est comme si on mélangeait tous les mots d'un poème, pour voir si vous seriez capable de le reconstituer.

Fache fit un pas vers elle et riva ses yeux dans les siens.

— J'ose espérer que vous allez me donner une explication plus satisfaisante que celle-là !

Elle s'inclina, soudain sérieuse.

— Commissaire, malgré la gravité des événements, je pensais que vous seriez intéressé d'apprendre que Jacques Saunière avait l'intention de vous faire marcher. Il semble que ce ne soit pas le cas. J'informerai mon directeur que vous n'avez plus besoin de mes services.

Là-dessus, elle tourna les talons et repartit comme elle était venue.

Complètement abasourdi, le commissaire la regarda disparaître dans la pénombre. Elle est devenue folle ! Sophie Neveu venait de redéfinir le concept de suicide professionnel.

Fache se tourna vers Langdon, toujours à l'écoute de son message, l'air plus soucieux encore que tout à l'heure.

L'ambassade américaine. Parmi les nombreuses institutions qu'il détestait, voilà une de celles qui l'irritaient le plus.

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L'ambassadeur et lui s'affrontaient régulièrement, leur champ de bataille le plus régulier étant les relations entre la police et les voyageurs ou résidents américains en France. Il ne se passait guère de jour sans que la police arrête un étudiant américain en possession d'une drogue illicite, un homme d'affaires en goguette faisant des avances à une prostituée mineure, un touriste pris en flagrant délit de vol à la tire ou de destruction de biens privés. Légalement, l'ambassade avait le droit de faire rapatrier ses ressortissants vers les États-Unis, où ils s'en tiraient avec une bonne semonce.

Et c'est invariablement ce qu'elle faisait.

Fache appelait cela " l'émasculation de la police judiciaire".

Un dessin humoristique récemment paru dans Paris-Match représentait le chef de la PJ en chien policier enchaîné au bâtiment de l'ambassade, essayant vainement de mordre le mollet d'un Américain.

Pas de ça ce soir, se dit Fache. L'enjeu est trop gros.

Langdon éteignit le portable. Il n'avait pas l'air dans son assiette.

— Tout va bien? demanda le commissaire.

L'Américain secoua la tête d'un air lamentable.

De mauvaises nouvelles de chez lui, se dit le commissaire, en remarquant, lorsque l'Américain lui rendit son téléphone, qu'il avait le front en sueur.

— C'est un accident..., bredouilla Langdon, d'une voix étrange. Un de mes amis... Je vais devoir prendre le premier avion ce matin.

Fache ne doutait pas de la sincérité de son émotion, mais il lisait autre chose sur le visage de l'Américain, une sorte de peur dans ses yeux.

— Je suis désolé, fit-il en le regardant de plus près. Voulez-vous vous asseoir? proposa-t-il en désignant une banquette située un peu plus loin.

L'air absent, Langdon hocha la tête et fit quelques pas, avant de s'arrêter, l'air extrêmement perturbé.

— En fait, je souhaiterais pouvoir me rendre aux toilettes.

Fache réprima une grimace à l'idée de ce contretemps :

— Les toilettes. Bien sûr. Nous allons faire une pause.

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Il pointa dans une direction.

— Il y en a là-bas, en allant vers le bureau du Président.

Langdon hésita et désigna la direction opposée, vers le fond de la Grande Galerie.

— Je crois qu'il y en a de plus proches de ce côté...

Il avait raison. Ils étaient aux deux tiers du parcours et plusieurs toilettes avaient été aménagées à l'extrémité de la Grande Galerie.

— Voulez-vous que je vous accompagne ?

— Non, merci, lança Langdon en s'éloignant. Je préfère rester un peu seul.

Fache n'était guère enchanté de laisser Langdon se balader tout seul dans le musée, mais il se rassura vite : La Grande Galerie se terminait en cul-de-sac, la seule sortie possible étant la grille qu'ils avaient franchie. Pour un si grand espace, les règlements de sécurité imposaient certes plusieurs issues, mais les accès aux cages d'escalier du fond s'étaient fermés automatiquement lorsque Saunière avait déclenché le système d'alarme. Et bien que le système ait été débloqué depuis, il n'y avait aucun risque — l'ouverture de n'importe laquelle des portes déclencherait immédiatement le système d'alarme incendie. Qui plus est, elles étaient gardées à l'extérieur par des agents de la PJ.

— Il faut que je retourne dans le bureau de M. Saunière, déclara-t-il. Vous m'y retrouverez directement. J'aurai d'autres questions à vous poser.

Langdon lui fit un petit signe de la main et disparut dans la pénombre.

Fache repartit d'un pas nerveux dans la direction opposée, repassa sous la herse, traversa le Salon carré et entra furibond dans le bureau du conservateur :

— Qui a laissé entrer Sophie Neveu ? beugla-t-il.

— Elle a dit aux gardes en bas qu'elle avait déchiffré le code..., expliqua Collet, tout penaud.

— Elle est partie ? demanda Fache en la cherchant des yeux.

— Elle n'est pas avec vous ?

— Nom de Dieu, elle a fichu le camp !

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Il se précipita dans le Salon carré. Elle ne s'était visiblement pas attardée pour discuter avec ses collègues.

Fache hésita un instant à appeler les gardes de l'entresol pour leur ordonner d'arrêter Sophie et de la ramener dans le bureau de Saunière. Mais il se ravisa. C'était sa fierté blessée qui s'exprimait... sa volonté d'avoir toujours le dernier mot. Il avait été assez dérangé comme ça...