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Langdon fixa le post-scriptum de Jacques Saunière pendant plusieurs secondes. P.S. Trouver Robert Langdon. Le parquet de la Grande Galerie tanguait sous ses pieds. Il a cité mon nom en post-scriptum. Malgré tous ses efforts d'imagination, il ne comprenait absolument pas pourquoi.
— Vous saisissez maintenant, dit Sophie avec un regard insistant, pourquoi Fache vous a fait venir, et pourquoi vous êtes son suspect favori ?
La seule chose que Langdon comprenait, c'est pourquoi le commissaire avait paru si satisfait quand il lui avait suggéré que Saunière voulait peut-être désigner son assassin.
Trouver Robert Langdon.
— Mais pourquoi Saunière aurait-il écrit cela ? demanda-t-il d'une voix où la stupéfaction avait fait place à la colère.
Pourquoi aurais-je cherché à le tuer ?
— Fache n'a pas encore de mobile, mais il a enregistré toute votre conversation dans l'espoir d'en trouver un.
Langdon ouvrit la bouche, sans pouvoir dire un mot.
— Il porte sous sa cravate un micro miniature, continua Sophie. Relié par radio à un magnétophone du PC.
— Mais ce n'est pas possible ! Et j'ai un alibi : je suis rentré à l'hôtel aussitôt après ma conférence. Ils n'ont qu'à vérifier auprès de la réception...
— C'est déjà fait. Vous avez retiré votre clé aux alentours de dix heures trente. Or Saunière n'a été assassiné qu'un peu avant onze heures. Vous aviez le temps de ressortir de l'hôtel sans être vu. — C'est absolument insensé ! Fache n'a aucune preuve !
Sophie ouvrit des yeux ronds. Aucune preuve ?
— Monsieur Langdon, votre nom est écrit en toutes lettres à côté du cadavre, et son agenda prouve que vous aviez rendez-vous avec Saunière ce soir, à une heure très proche de celle du meurtre. Il a largement de quoi vous placer en garde à vue !
Langdon se rendit soudain compte qu'il allait avoir besoin d'un avocat.
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— Ce n'est pas moi qui l'ai tué !
— Monsieur Langdon, nous ne sommes pas dans un studio de la télévision américaine et les lois françaises protègent plus la police que les criminels. De plus, dans ce cas précis, il s'ajoute un problème médiatique : Jacques Saunière était un notable du monde des arts parisien. Son assassinat fera la une des quotidiens de demain et Fache sera contraint de faire une déclaration à la presse le plus tôt possible. S'il peut annoncer qu'il est déjà en train d'interroger un suspect, il marquera un point décisif. Que vous soyez coupable ou non, la PJ va vous garder au chaud le plus longtemps possible, tant qu'ils n'auront pas élucidé l'affaire.
Langdon eut l'impression d'être un animal traqué.
— Mais pourquoi me dites-vous tout ça ?
— Parce que je suis sûre de votre innocence, monsieur Langdon.
Elle détourna un instant les yeux et le regarda à nouveau bien en face.
— Et aussi parce que c'est en partie de ma faute si vous êtes soupçonné...
— Pardon ?
— Saunière ne cherchait pas à vous accuser. C'est à moi que son message s'adressait.
Il fallut à Langdon plusieurs secondes pour assimiler l'information.
— Vous pouvez me répéter ça s'il vous plaît ?
— Son message n'était pas destiné à la police. C'est pour moi qu'il l'a écrit. Je crois que, dans l'urgence, il ne s'est pas rendu compte de la façon dont la PJ risquait de l'interpréter. Le code chiffré n'avait qu'une fonction : s'assurer que la police appellerait la cryptographie et que je serais avertie le plus vite possible de ce qui lui était arrivé.
Langdon était complètement dépassé par les événements.
Qu'elle soit folle ou non, cette fille, en tout cas, cherchait à l'aider et il commençait à comprendre pourquoi. P.S. Trouver Robert Langdon. Elle avait l'air convaincue que le post-scriptum lui était destiné.
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— Mais comment pouvez-vous être si sûre que le message vous était destiné ?
— À cause de L'Homme de Vitruve. J'ai toujours adoré ce dessin, c'était mon préféré. Il s'en est servi pour attirer mon attention.
— Attendez une seconde. Saunière savait que c'était votre croquis préféré ?
— Excusez-moi. C'est vrai que je vous raconte tout ça dans le désordre. Jacques Saunière et moi...
Sa voix s'étrangla et Langdon perçut une soudaine mélancolie, comme le souvenir d'un chagrin passé. Saunière et elle avaient sans doute eu une liaison. Langdon contemplait la jolie jeune femme, en se rappelant que les Français d'âge mûr avaient la réputation de prendre souvent de jeunes maîtresses.
Mais l'image de Sophie Neveu en demoiselle entretenue avait quelque chose d'incongru.
— Nous avons rompu il y a une dizaine d'années, et nous ne nous sommes pratiquement pas parlé depuis... Mais ce soir, quand le service de crypto a reçu cette photo, j'ai tout de suite su qu'il cherchait à me transmettre un message.
— Vous avez reconnu L'Homme de Vitruve...
— Oui, et aussi les lettres PS.
— Post-scriptum ?
Elle secoua la tête.
— Ce sont mes initiales.
— Mais vous vous appelez Sophie Neveu...
Elle rougit légèrement.
— PS, c'était le surnom qu'il m'avait donné quand je vivais chez lui. L'abréviation de Princesse Sophie.
Langdon ne broncha pas.
— Je sais que ça a l'air idiot, mais il y a très longtemps de cela. J'étais toute gamine.
— Vous le connaissiez étant enfant ?
— Très bien, murmura-t-elle, le regard embué. Jacques Saunière était mon grand-père.
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— Où est Langdon ? tempêta Fache de retour dans le bureau de Saunière, et exhalant un reste de bouffée de cigarette.
— Toujours aux toilettes.
L'inspecteur Collet s'attendait à la question.
— On peut dire qu'il prend son temps...
Le commissaire se pencha par-dessus l'épaule de Collet pour suivre des yeux le point rouge qui clignotait sur l'écran. Il luttait contre l'envie de courir chercher l'Américain. Il fallait en principe laisser au suspect un maximum de temps et de liberté, pour lui donner une fausse sensation de confiance. Il fallait que Langdon revienne de lui-même. Mais ça faisait presque dix minutes qu'il était parti.
Trop longtemps.
— Vous croyez qu'il a repéré l'émetteur ? demanda-t-il.
Collet secoua la tête.
— Non, on voit toujours des petits déplacements à l'intérieur du même espace. Le GPS est donc toujours sur lui.
S'il l'avait trouvé, il l'aurait jeté et aurait tenté de filer. Il est peut-être indisposé...
— OK, fit Fache, les yeux rivés sur sa montre.
Mais le commissaire avait l'air préoccupé. Collet le sentait tendu depuis le début de cette affaire. Ça ne lui ressemblait pas.
Il se montrait au contraire étonnamment impassible dans les moments difficiles. Ce soir, il avait l'air émotionnellement impliqué, comme si ce crime le concernait personnellement.
Rien d'étonnant à cela, pensait Collet. Cette arrestation est ce qui pourrait lui arriver de mieux. Depuis quelques mois, les médias comme ses supérieurs avaient souvent critiqué ses méthodes agressives, ses accrocs avec les grosses ambassades et ses énormes dépenses en équipements dernier cri. L'arrestation rapide, avec assistance GPS, d'un Américain, ferait taire bien des critiques et lui garantirait son inamovibilité en attendant une retraite confortable. Et Dieu sait s'il en a besoin. Son engouement pour l'informatique lui avait valu bien des déboires, professionnels autant que personnels. Selon la
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