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Elle l'avait suivi en boudant. En entrant dans la Salle des États, elle avait scruté les murs avant d'arrêter son regard sur la place d'honneur qui sautait aux yeux : le centre de la cloison de droite, où était suspendu un seul tableau, abrité derrière un panneau de protection en Plexiglas. Son grand-père s'était immobilisé sur le seuil et lui avait montré le cadre.

— Vas-y, ma chérie. Il n'y a pas beaucoup de gens qui ont la chance de la regarder en tête à tête.

Sophie avait refoulé son appréhension et s'était avancée vers la Joconde. Après tout ce qu'elle avait entendu dire à son sujet, elle avait l'impression de marcher au-devant d'une reine.

Elle avait pris une profonde inspiration, et avait redressé la tête.

La fillette ne savait pas à quoi elle aurait dû s'attendre, mais sûrement pas à ça. Elle ne ressentit aucun émerveillement, aucun étonnement. La dame ressemblait à toutes ses reproductions. Elle resta muette pendant une éternité, attendant qu'il se passe quelque chose.

— Alors, qu'en penses-tu? demanda Jacques Saunière qui arrivait derrière elle. Elle est belle, non ?

Elle est trop petite.

— Toi aussi, tu es petite mais très belle.

Je ne suis pas belle, songea Sophie. Elle détestait ses cheveux roux, ses taches de rousseur, et elle était plus grande que tous les garçons de sa classe.

Elle secoua la tête.

— Je la trouve encore plus moche que sur les photos. Son visage est tout... brumeux !

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— C'est un effet pictural qu'on appelle le fumato, et qui est très difficile à réaliser. C'est Leonardo Da Vinci qui a fait les plus beaux.

Sophie était toujours perplexe.

— Elle a l'air de savoir quelque chose... comme les enfants de ma classe, quand ils ont un secret.

— C'est aussi pour ça qu'elle est tellement célèbre. Les gens aiment bien essayer de deviner pourquoi elle sourit.

— Et toi, tu sais pourquoi ?

— Peut-être. Un jour, je te raconterai...

— Je t'ai déjà dit que j'ai horreur des secrets ! s'écria Sophie en trépignant.

— Mais la vie est pleine de secrets, Princesse. On ne peut pas les découvrir tous d'un seul coup.

— Je remonte ! déclara soudain Sophie.

Sa voix résonna dans la cage d'escalier. Langdon se figea :

— Voir la Joconde ? Maintenant ?

Elle évalua le risque.

— Je ne suis pas soupçonnée de meurtre, et il faut que je découvre le sens du message de mon grand-père.

— Et l'ambassade ?

Elle se sentait coupable de l'abandonner après l'avoir persuadé de prendre la fuite, mais elle n'avait pas le choix. Elle désigna une porte métallique au bas des marches.

— Poussez la porte et suivez les signaux lumineux jusqu'à la sortie. Mon grand-père m'a souvent fait passer par là. Vous arriverez devant un tourniquet de sécurité. Vous n'aurez qu'à le franchir.

Elle lui tendit ses clés de voiture.

— Vous trouverez sur l'esplanade une petite Smart rouge, garée juste en face de la sortie. Vous savez comment vous rendre à l'ambassade ?

Il hocha la tête, les yeux baissés sur la clé qu'il tenait dans la main.

— Comprenez-moi, monsieur Langdon, je suis persuadée que mon grand-père m'a laissé un autre message près de la Joconde - pour désigner son assassin. Ou pour me prévenir

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d'un danger. Ou encore pour m'expliquer ce qui est arrivé à ma famille. Il faut que j'aille voir.

— Mais pourquoi ne vous l'aurait-il pas dit dans son premier message ? Pourquoi cette anagramme ?

— Je pense qu'il ne voulait pas que quelqu'un d'autre comprenne. Même pas la police.

Jacques Saunière avait visiblement fait l'impossible pour ne transmettre son message qu'à sa petite-fille. Il l'avait crypté, il y avait intégré des initiales qu'elle était seule à connaître, et lui avait suggéré de demander de l'aide à Robert Langdon. Un sage conseil puisque l'Américain avait déchiffré l'anagramme.

— Si étrange que cela paraisse, reprit-elle, j'ai l'impression qu'il voulait que j'aille voir la Joconde avant qui que ce soit d'autre.

— Je viens avec vous !

— Non. On ne sait pas combien de temps la Grande Galerie restera déserte. Mais vous, il faut que vous partiez.

Il semblait hésiter, comme si sa curiosité d'universitaire était prête à l'emporter sur la raison et à le précipiter entre les mains de Fache.

— Allez-y, monsieur Langdon, insista-t-elle avec un sourire plein de reconnaissance. Je vous rejoindrai à l'ambassade.

— Je veux bien, mais à une condition, fit-il d'un ton grave.

— Laquelle ? demanda-t-elle, surprise.

— C'est que vous cessiez de m'appeler monsieur Langdon.

Sophie crut lire sur ses lèvres un vague sourire de guingois.

Elle lui sourit à son tour.

— Bonne chance, Robert.

Arrivé au bas des marches, Langdon reconnut l'odeur caractéristique des caves de musée, mixte d'huile de lin et de poussière de plâtre. Un couloir s'ouvrait devant lui au fond duquel brillait une inscription lumineuse : SORTIE/EXIT.

Il s'y engagea.

Sur sa droite, s'ouvrait une grande salle décrépie, peuplée d'une armée de statues en cours de restauration. À gauche, une série d'autres pièces qui ressemblaient aux ateliers de son département de Harvard - rangées de chevalets, tableaux,

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palettes, toiles tendues sur des châssis - une sorte de chaîne de montage artistique.

En longeant le corridor, il se demandait s'il n'allait pas se réveiller d'un moment à l'autre dans son lit à Cambridge. Toute cette soirée lui faisait l'effet d'un rêve fantastique. Je suis un fugitif, qui tente de s'évader du musée du Louvre.

Il avait encore en tête l'astucieuse anagramme de Jacques Saunière et s'inquiétait de ce qui attendait Sophie dans la Salle des États. Elle avait l'air convaincue que son grand-père voulait qu'elle rende visite au célèbre tableau. Si plausible que cela puisse sembler, un mystère restait cependant inexpliqué : P.S. Trouver Robert Langdon.

Saunière avait chargé sa petite-fille de la contacter, lui. Mais pourquoi ? Uniquement pour qu'il l'aide à décoder une anagramme ?

C'était fort peu vraisemblable.

Après tout, le conservateur en chef n'avait aucune raison de penser que l'Américain était particulièrement expert à cet exercice. Il ne me connaissait même pas. En revanche, il savait Sophie très entraînée à ce genre de jeux. C'est elle qui avait décrypté la séquence de Fibonacci et, avec un peu de temps, elle aurait forcément réussi à déchiffrer la suite toute seule.

Sophie était censée y arriver seule.

Langdon en était de plus en plus convaincu. Mais cette conclusion ne faisait que rendre plus inexplicable la logique de Jacques Saunière.

Pourquoi lui a-t-il parlé de moi ? se demandait Langdon en marchant. Pourquoi le dernier vœu de Jacques Saunière était-il que sa petite-fille — avec laquelle il était brouillé — cherche à me rencontrer ? Que croyait-il que je savais ?

Il eut un sursaut et s'arrêta net. Les yeux écarquillés, il plongea sa main dans sa poche et en sortit la photocopie du cliché de Saunière. Il réexamina la dernière ligne du message.

P.S. Trouver Robert Langdon.

Il se fixa sur les deux initiales.

P.S.

Au même instant, les pièces du puzzle symbolique de Saunière s'assemblèrent comme par magie. Comme un coup de

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tonnerre, la connaissance des symboles acquise pendant toute sa carrière déchaîna soudain une formidable symphonie dans la tête de Langdon. Tous les actes du vieil homme mourant répondaient à une logique impeccable.