Il avait un but inavouable.
Vous n'êtes pas le seul à détenir un secret, se dit-elle.
La sœur Sandrine Bieil, gardienne en titre de Saint-Sulpice, faisait avant tout fonction de sentinelle. Et cette nuit, les rouages anciens de l'organisation s'étaient remis en mouvement. La présence de cet étranger au pied de l'obélisque était un signal de la Fraternité.
Un cri de détresse silencieux.
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25
L'ambassade des États-Unis à Paris occupe un complexe de bâtiments situés à l'entrée de l'avenue Gabriel, au nord des Champs-Elysées. Sur un hectare et demi de territoire national, les ressortissants américains sont soumis aux mêmes lois et bénéficient des mêmes droits que dans leur pays.
La gardienne de nuit était plongée dans la lecture de Time Magazine quand le téléphone sonna.
— Ambassade des États-Unis, j'écoute !
— Bonsoir, dit une voix au fort accent français. J'ai besoin de votre aide.
Malgré la politesse des formules, l'homme parlait sur un ton sec et administratif.
— On m'a dit que vous aviez un message enregistré pour moi. Au nom de Robert Langdon. Mais je ne me souviens plus des trois chiffres de mon code d'accès. Si vous aviez la gentillesse de bien vouloir me le faire écouter...
— Je suis désolée, monsieur, mais ce message doit être très ancien. Nous avons abandonné ce système de messages enregistrés il y a deux ans, par mesure de sécurité. Et de plus, les codes d'accès comportaient cinq chiffres. Qui vous a dit que vous aviez un message chez nous ?
— Vous n'avez plus de messagerie automatique ?
— Non, monsieur. Si vous aviez un message, il serait enregistré par écrit dans nos services. Pouvez-vous me répéter votre nom ?
Mais l'homme avait raccroché.
Bézu Fache, interloqué, alla faire les cent pas le long du quai pour réfléchir tranquillement. Il était certain d'avoir vu Langdon taper un numéro à dix chiffres, suivi de trois autres, avant d'écouter son message.
Si ce n'était pas l'ambassade qu'il appelait, qui était-ce ?
Il regarda son téléphone portable, comprenant que la réponse se trouvait là. Langdon s'est servi de mon portable.
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Il fit défiler le menu, afficha un à un les derniers numéros appelés, et trouva celui que Langdon avait composé.
Un numéro à Paris, suivi de trois chiffres : 454.
Il composa le premier. Un répondeur, avec une voix de femme : « Bonjour, vous êtes bien chez Sophie Neveu, je suis absente pour le moment, mais... »
Son sang bouillonnait dans ses veines lorsqu'il composa le code à trois chiffres, 4... 5... 4...
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26
Malgré sa réputation monumentale, le portrait de la Joconde ne mesure que soixante-dix-huit centimètres sur cinquante-deux - moins que les reproductions grand format que l'on vend dans les boutiques du Carrousel du Louvre.
Le tableau, peint sur un panneau de bois de peuplier, était accroché sur le mur nord-ouest de la Salle des États, protégé par un caisson de Plexiglas de cinq centimètres d'épaisseur. La célèbre atmosphère éthérée et brumeuse qui baigne cette peinture illustre le talent et le goût de son auteur pour le style sfumato, où les formes semblent se fondre les unes dans les autres.
Depuis son admission au musée du Louvre, la Joconde a été dérobée deux fois, le vol le plus récent datant de 1911. Cette année-là, elle disparut du Salon carré, la « salle impénétrable »
du Louvre de l'époque. Les Parisiens pleuraient dans les rues et les journaux suppliaient les voleurs de rendre au musée son chef-d'œuvre. On devait la retrouver deux ans plus tard à Florence, dans une chambre d'hôtel, dissimulée dans le double fond d'une malle.
Ayant signifié clairement son intention de rester, Langdon accompagna Sophie vers la Salle des États. La jeune femme se trouvait à une vingtaine de mètres de la Joconde quand elle alluma sa lampe torche. Elle balaya le plancher de son rayon violet tout en avançant, à la recherche d'une trace d'encre luminescente.
Langdon marchait à côté d'elle, brûlant de l'impatience qui précède les retrouvailles avec les grandes œuvres d'art. Il plissait les yeux pour tenter de voir au-delà du faisceau de lumière pourpre que Sophie pointait devant elle. Sur leur gauche, la banquette centrale émergea de l'obscurité, telle une île noire sur la mer grisâtre du parquet.
Il commença enfin à deviner les contours du caisson transparent. Enfermé dans sa cellule de Plexiglas, le trésor mondialement connu les attendait.
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Aux yeux de Langdon, la renommée du célébrissime portrait ne tenait pas seulement à son sourire énigmatique, pas plus qu'aux interprétations multiples et souvent farfelues qu'en proposaient depuis quatre siècles les historiens d'art et autres amateurs de mystère. Elle était surtout, et tout simplement, l'œuvre que son auteur considérait comme sa plus grande réussite.
Vinci l'emmenait avec lui dans tous ses voyages et, lorsqu'on lui demandait pourquoi, le peintre répondait qu'il ne pouvait se séparer de sa plus parfaite expression de la beauté féminine.
Toutefois, selon certains historiens de l'art, le culte que Leonardo vouait à sa Mona Lisa n'avait rien à voir avec sa perfection artistique. Le portrait n'était en somme rien d'autre qu'un exemple ordinaire de sfumato. L'attachement de son auteur tenait à quelque chose de beaucoup plus profond, un message qu'il aurait dissimulé sous les couches de peinture. La Joconde était en fait l'un des canulars ésotériques les plus sensationnels de toute l'histoire de l'art. L'accumulation des ambiguïtés, des sous-entendus et des clins d'œil dans ce tableau avait donné lieu à d'innombrables commentaires. Mais la plupart des visiteurs continuaient à trouver que tout le mystère résidait dans le sourire de Mona Lisa.
Il n'y a là aucun mystère, songeait Langdon, qui commençait à distinguer le bord du tableau. Absolument aucun.
La dernière fois qu'il avait parlé du secret de la Joconde, c'était lors d'une conférence assez inattendue qu'il avait donnée dans une prison de la banlieue de Boston, dans le cadre du programme socio-éducatif de l'université Harvard. La « culture aux perpètes » comme l'avait baptisée certains de ses confrères.
Il avait trouvé les détenus, rassemblés pour l'occasion dans la bibliothèque de l'établissement, étonnamment intéressés —
frustes mais vifs.
— Vous avez peut-être remarqué, avait-il commencé en s'approchant de l'agrandissement du tableau qu'il venait de projeter au mur, que l'arrière-plan est asymétrique. La ligne d'horizon est nettement plus basse à gauche de Mona Lisa qu'à droite.
— Il a foiré son portrait ? demanda l'un des spectateurs.
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— Non, répliqua Langdon avec un petit rire. C'est un problème que Leonardo Da Vinci rencontrait assez rarement.
C'est une astuce volontaire. En abaissant la ligne d'horizon sur sa gauche, il faisait paraître Mona Lisa plus grande de ce côté qu'à droite. C'était une petite blague à usage interne. Selon une tradition très ancienne, le côté gauche était associé au féminin, et le droit au masculin. Et comme Leonardo Da Vinci était un grand féministe, il a choisi ce déséquilibre pour glorifier cette partie gauche.
— Il paraît qu'il était pédé ! lança un petit détenu à barbiche.
— Les historiens ne le disent généralement pas dans ces termes, mais c'est vrai, il était homosexuel.
— Et c'est pour ça qu'il se mettait du côté des femmes ?
— En réalité, il cherchait à rétablir l'équilibre entre les deux genres. Il était persuadé que l'âme humaine ne pouvait se comprendre et s'épanouir que si elle conjuguait les éléments féminins et masculins.