— Vous voulez dire comme des nanas à bittes, par exemple
? Dans l'hilarité générale qui suivit, Langdon décida de ne pas aborder l'explication étymologique du mot hermaphrodite, dérivé d'Hermès et Aphrodite, qu'il avait pourtant prévu d'aborder.
— Hé ! Monsieur Langford ? demanda un gros baraqué.
C'est vrai que la Joconde est un portrait de Vinci en drag-queen
? Quelqu'un m'a dit que oui.
— Ce n'est pas du tout impossible. Leonardo Da Vinci était réputé pour être très farceur. On a fait des comparaisons informatiques de ce tableau et de ses autoportraits, qui confirment certaines analogies entre les deux visages. Quelles qu'aient été ses intentions, sa Mona Lisa n'est ni masculine ni féminine. Elle dégage une impression d'androgynie très subtile.
Elle est fusion des deux aspects.
— C'est pas plutôt une manière snob de dire qu'en fait sa Mona Lisa était plutôt moche ?
Cette fois, Langdon éclata d'un rire franc.
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— Vous avez peut-être raison. Mais en réalité le peintre a glissé dans son tableau un indice qui laisse supposer que le portrait était androgyne. Avez-vous déjà entendu parler du dieu Amon des anciens Égyptiens ?
— Moi, oui ! s'écria un jeune détenu musclé. C'était le dieu de la fertilité masculine !
Langdon était ébahi.
— J'ai vu ça sur les boîtes de capotes Amon, fit le costaud avec un sourire ravi. Il y a le dessin d'un grand mec avec une tête de bélier...
Sans être familier de cette marque, Langdon se réjouit que le fabricant ait au moins respecté des rudiments d'égyptologie.
— C'est tout à fait juste, répliqua-t-il. Les cornes du bélier étaient un symbole de virilité.
— Sans blague !
— Sans blague. Et savez-vous qui était l'équivalent féminin du dieu Amon ? La déesse égyptienne de la fertilité ?
Silence de plusieurs secondes.
— C'était la déesse Isis.
Il saisit un gros feutre et reprit tout en écrivant sur le transparent du rétroprojecteur :
— Nous avons donc le dieu AMON. Et la déesse ISIS, dont l'ancien pictogramme était L'ISA.
AMON L'ISA
— Ça vous rappelle quelque chose ?
— Putain, ça fait MONA LISA ! souffla un détenu.
— Vous voyez, messieurs. Il n'y a pas que le visage de la Joconde qui soit androgyne. Son nom est une anagramme de l'union divine entre l'homme et la femme. Il est là, le petit secret de Leonardo Da Vinci. Et c'est pour ça que son modèle arbore ce curieux sourire entendu...
— Mon grand-père est passé par là ! s'écria soudain Sophie, qui s'arrêta net, à environ trois mètres de la Joconde, braquant le rayon violet sur le plancher de la salle.
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Tout d'abord Langdon ne vit rien. Mais en s'agenouillant auprès d'elle, il remarqua une petite tache de liquide séché qui brillait sur le parquet. De l'encre fluorescente ? Il se rappela soudain la raison pour laquelle la police avait recours à la lumière noire. Une goutte de sang.
Il frissonna. Sophie ne se trompait pas. Jacques Saunière s'était effectivement rendu dans cette salle avant de mourir.
— Il ne serait pas venu sans raison, chuchota Sophie en se relevant. Je suis sûre qu'il m'a laissé un message.
Elle se dirigea à grands pas vers la Joconde, la lampe toujours braquée sur le parquet.
— Il n'y a rien par là !
Au même moment, Langdon s'aperçut que le panneau de Plexiglas scintillait d'un faible éclat pourpre. Il saisit le poignet de Sophie et orienta lentement le faisceau lumineux droit devant eux.
Ils se figèrent brusquement.
Sur le panneau protecteur, cinq mots à l'encre violette zébraient le visage de Mona Lisa.
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27
Assis au bureau de Jacques Saunière, l'inspecteur Collet discutait au téléphone avec le commissaire Fache et n'en croyait pas ses oreilles. Ai-je bien entendu ?
— Un morceau de savon ? Mais comment Langdon a-t-il pu savoir qu'il était sous surveillance GPS?
— C'est Sophie Neveu qui le lui a dit.
— Quoi ? Mais pourquoi ?
— Très bonne question. En tout cas, je viens d'écouter son message téléphonique. C'est elle qui l'a mis au parfum.
Collet était sans voix. À quoi pensait Sophie Neveu ? Fache détenait la preuve qu'elle venait de faire obstruction à une enquête policière. Elle risquait non seulement de se faire virer, mais aussi d'aller en taule.
— Mais commissaire... Où est Langdon ? s'enquit l'inspecteur.
— Vous avez eu un autre signal d'alarme ?
— Non.
— Et personne n'est repassé sous la grille ?
— Non plus. Nous avons mis un agent de sécurité du Louvre à l'entrée, comme vous nous l'aviez demandé.
— Donc Langdon est encore dans la Grande Galerie, conclut le commissaire.
— Mais qu'est-ce qu'il peut bien y faire ?
— Est-ce que l'agent du musée est armé ?
— Oui, monsieur. C'est un gradé.
— Dites-lui d'aller y faire un tour. Mes hommes n'arriveront pas au musée avant une dizaine de minutes, et il n'est pas question que Langdon nous file entre les doigts. Prévenez le garde que l'agent Neveu est sans doute avec lui.
— Je pensais qu'elle avait quitté le Louvre...
— Vous l'avez vue partir, de vos yeux ?
— Non, commissaire, mais...
— Personne d'autre ne l'a vue sortir du musée. On ne l'a vue qu'entrer !
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Collet était sidéré par le culot de cette fille. Elle est toujours dans le musée !
— Débrouillez-vous, Collet, mais je les veux menottes tous les deux à mon retour.
Le camion reprit sa route et Fache rassembla ses hommes.
Langdon jouait les filles de l'air et, avec l'aide de Sophie Neveu, il allait sans doute s'avérer plus difficile à serrer que prévu.
Le commissaire décida de ne plus prendre aucun risque.
Pour parer à toute éventualité, il ne renvoya au musée que la moitié de son équipe, et fit poster le restant autour du seul autre endroit de Paris où Langdon pouvait encore trouver refuge.
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28
Sur la face externe du caisson de Plexiglas, éclairées par le faisceau de lumière noire, les lettres pourpres et luisantes semblaient suspendues dans l'espace. Leurs ombres irrégulières flottaient sur le sourire mystérieux de Mona Lisa.
— Le Prieuré ! chuchota Langdon. Voici la preuve que votre grand-père en faisait partie.
Sophie le dévisagea, perplexe.
— À quoi voyez-vous cela ?
Les pensées de Langdon se bousculaient dans sa tête.
— L'allusion est impeccable, elle évoque le fondement même de la société secrète !
De plus en plus déconcertée, Sophie relut encore une fois les mots du message.
SA CROIX GRAVE L'HEURE
— C'est la croix des croisés ! Celle des Templiers, l'origine même du Prieuré de Sion...
Mais Sophie avait l'air d'en douter.
— Si mon grand-père m'a envoyée ici, c'est certainement pour y trouver quelque chose de plus important.
Elle pense qu'il ne s'agit que d 'une étape de plus dans le jeu de piste. Langdon ignorait si le message recelait ou non un autre sens caché. Son imagination galopait pour essayer de saisir les implications possibles.
— Robert ! souffla soudain Sophie en le poussant brusquement. Il y a quelqu'un !
On entendait en effet un bruit de pas qui venait de la Grande Galerie.
— Par ici ! s'écria-t-elle à voix basse en éteignant la lampe.
Et elle disparut.