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ici lorsqu'elle était gosse. Mais il y avait bien longtemps...
Qu'est-ce qu'elle pouvait bien faire ici cette nuit ? Et quand bien même ce serait vraiment elle, quelle raison avait-il de lui faire confiance ? Il avait entendu des rumeurs selon lesquelles elle était brouillée avec son grand-père.
— Vous me connaissez ! dit la jeune femme. Je peux vous affirmer que Robert Langdon n'est pas l'assassin de mon grand-père.
Pas question de prendre cette déclaration pour argent comptant. Grouard tenta à nouveau d'appeler son PC. Pas de connexion. Il était encore à une petite dizaine de mètres de la porte.
Il reprit lentement sa marche à reculons, décidant d'abandonner la fille tout en ajustant l'Américain à plat ventre.
Sophie Neveu redressa sa lampe de poche et l'orienta brusquement sur un grand tableau, accroché juste en face de la Joconde. Grouard, découvrant de quel tableau il s'agissait, en eut le souffle coupé.
Mais qu'est-ce qu'elle peut bien fabriquer ? se demandait-il.
Sophie sentit une sueur froide perler à son front. Langdon était toujours étendu sur le sol. Tenez bon, Robert, on y est presque. Persuadée que le garde n'oserait pas tirer sur elle ni sur Langdon, elle avait décidé de poursuivre son enquête. Elle cherchait sur les murs une autre œuvre de Leonardo Da Vinci.
Mais aucune inscription fluorescente n'était apparue.
Il doit pourtant bien y avoir un autre indice !
Elle était certaine d'avoir décodé correctement le message de son grand-père.
Qu'aurait-il pu signifier d'autre ?
Le tableau qu'elle observait maintenant mesurait presque deux mètres de hauteur. Il représentait une scène étrange, regroupant, en une composition pyramidale, la Vierge Marie, l'Enfant Jésus, saint Jean-Baptiste et l'ange Uriel, sur une plate-forme rocheuse assez périlleuse.
Chaque fois que son grand-père l'avait amenée ici pour admirer la Joconde, il l'avait aussi arrêtée devant ce tableau-là.
Grand-père, j'y suis arrivée, mais je ne vois rien !
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Elle entendait, derrière elle, le garde appeler vainement à l'aide.
Réfléchis, Sophie !
Elle se répéta le message écrit sur le Plexiglas.
SA CROIX GRAVE L'HEURE.
Le grand tableau qu'elle regardait à présent n'était pas protégé comme le portrait de la Joconde, et elle savait que jamais son grand-père n'aurait rien inscrit sur la précieuse toile, ni même sur le cadre. En tout cas, pas sur la toile. Son regard et sa lampe remontèrent le long des cimaises.
À moins que...
Saisissant à deux mains le côté gauche du cadre, elle le décolla du mur, glissa derrière la tête et les épaules, puis son corps tout entier, et promena sur le revers de la toile le faisceau de la lampe à lumière noire.
Elle mit quelques secondes à comprendre qu'elle se trompait. Pas de lettres ni de chiffres à l'encre pourpre. Rien qu'une grosse toile beige parsemée de taches brunâtres.
Qu'est-ce que... ?
Un petit morceau de métal brillait dans l'interstice séparant le rebord inférieur du châssis de la toile elle-même. Sophie retint son souffle en découvrant qu'une petite chaînette dorée y était suspendue.
Au grand étonnement de Sophie, au bout de ladite chaînette était pendue une clé en or familière. Son anneau en forme de croix s'ornait d'une fleur de lys et de deux initiales qu'elle n'avait pas revues depuis l'âge de neuf ans. P.S. À cet instant, elle entendit les paroles de son grand-père : « Un jour, Sophie, le moment venu, cette clé sera à toi. » Sa gorge se serra quand elle comprit que son grand-père, à l'heure de l'agonie, avait réussi à tenir sa promesse. « Elle ouvre une boîte dans laquelle je garde beaucoup de secrets. »
Sophie comprit que tous les messages codés de Jacques Saunière conduisaient à ce cadeau. Son grand-père l'avait sur lui lors du meurtre, et il était venu le cacher là pour que la police ne mette pas la main dessus. Puis il avait élaboré un astucieux jeu de piste pour que ce soit Sophie qui le découvre.
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— Au secours ! hurlait la voix du garde qui reculait vers la porte d'entrée, Sortant la tête de derrière le tableau, Sophie dégagea rapidement la petite clé et la glissa dans sa poche avec la lampe à lumière noire.
Il ne parvient pas à joindre le PC, pensa-t-elle, en se rappelant la frustration des touristes qui ne réussissaient pas à contacter par téléphone celui ou celle avec qui ils auraient voulu partager leur émerveillement devant la Joconde. Les dispositifs de sécurité de la Salle des États rendaient impossible toute communication radiophonique ou électronique avec l'extérieur.
Mais le garde était presque arrivé à la porte. Il fallait faire vite.
Elle leva les yeux vers la grande toile qui la masquait à demi et constata qu'encore une fois Leonardo Da Vinci allait venir à son secours.
Plus que deux mètres, calculait Grouard, le pistolet toujours braqué sur Langdon.
— Arrêtez, ou je la détruis ! cria la jeune femme à l'autre extrémité de la salle.
Grouard se retourna et se figea sur place.
— Mon Dieu, non !
Dans la brume rouge qui envahissait la pièce, il constata que la fille avait décroché un grand tableau qu'elle avait posé sur le sol devant elle. Sa silhouette disparaissait presque entièrement derrière l’énorme cadre.
Seuls les cheveux de la jeune femme dépassaient au-dessus du cadre. Il s'étonna d'abord que l'alarme ne se soit pas déclenchée lorsque le tableau avait quitté son support, mais comprit vite que le système avait dû être désactivé pour pouvoir soulever la herse.
Mon Dieu ! Que fait-elle ?
Son sang se glaça dans ses veines. La toile commençait à se gonfler par l'arrière, et le visage de la Vierge à se déformer, de même que le corps du petit Jean-Baptiste.
— Non ! hurla Grouard, pétrifié d'horreur, en voyant la toile se tendre de plus en plus.
Sophie Neveu enfonçait son genou au centre de la toile par-derrière.
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Grouard leva son arme vers le tableau, et la rabaissa. Il n'allait tout de même pas tirer sur un chef-d'œuvre de Leonardo Da Vinci...
— Déposez votre arme et votre poste de radio ! ordonna calmement la voix derrière la toile. Sinon, je la perce d'un coup de genou ! Je vous laisse imaginer ce qu'en aurait pensé mon grand-père...
Grouard fut pris de vertiges.
— Ne faites pas ça, je vous en prie ! C'est la Vierge aux rochers !
Jetant son pistolet et son talkie-walkie sur le plancher, il leva les deux mains au-dessus de la tête.
— Merci ! fit la jeune femme. Maintenant, vous ; allez faire exactement ce que je vous demanderai, et tout ira pour le mieux.
Deux minutes plus tard, Langdon dévalait l'escalier de secours derrière Sophie. Ni l'un ni l'autre n'avaient échangé une parole depuis qu'ils lavaient quitté la Salle des États, laissant derrière eux le pauvre garde allongé sur le plancher. Langdon serrait son arme dans la main droite, et tenait la rampe de l'autre, descendant les marches deux à deux. Il se demandait si Sophie s'était rendu compte de la valeur inestimable du tableau qu'elle avait menacé de détruire... Son choix s'était cependant révélé tout à fait assorti au thème de la soirée. Autant que la Joconde, la Vierge aux rochers regorgeait de symboles païens cachés.
— Vous avez choisi un otage de grande valeur, dit-il.