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— La Vierge aux rochers ? Ce n'est pas moi qui l'ai choisi, c'est mon grand-père.

— Quoi ? Mais comment le saviez-vous... ? Pourquoi la Vierge aux rochers ?

Sophie se retourna vers lui, un large sourire aux lèvres.

Sa croix grave l'heure... La Vierge aux rochers. J'avais manqué les deux premières anagrammes. Je n'allais pas louper la troisième !

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31

— Ils sont morts ! bredouillait sœur Bieil au téléphone. Elle parlait à un répondeur automatique. Décrochez, s'il vous plaît !

Ils sont tous morts !

Les trois appels précédents s'étaient révélés aussi consternants l'un que l'autre. Elle avait successivement parlé à une veuve hystérique, à un policier qui passait la nuit sur les lieux d'un assassinat, et enfin à un prêtre au ton maussade qui tentait de consoler une famille qu'un deuil brutal venait de frapper. Les trois premiers contacts de sa liste avaient tous été assassinés. Restait le quatrième, celui qu'elle n'était censée appeler que si les trois autres ne répondaient pas. Et elle venait de tomber sur une boîte vocale qui proposait de laisser un message, sans donner le nom de son destinataire.

— Quelqu'un vient de casser la stèle de Saint-Sulpice ! Les trois autres sont morts !

Sœur Sandrine ne connaissait pas les identités des quatre hommes qu'elle protégeait ; en tout cas elle ne devait composer leurs numéros de téléphone personnels cachés sous son lit qu'à une unique condition.

« Si jamais vous constatez que la stèle a été forcée ou brisée, lui avait dit un jour une voix anonyme , cela signifiera que le dernier échelon aura été franchi. Que l'un de nous aura été menacé de mort et contraint de livrer le faux secret.

Appelez les numéros. Prévenez les autres. Ne manquez pas à votre responsabilité. »

Un système d'alarme silencieux. Le plan de sécurité lui avait paru d'une simplicité infaillible. Elle avait d'abord été surprise quand on le lui avait expliqué. Si l'un ou l'autre des membres de la Fraternité venait à être découvert, il était censé proférer un mensonge qui déclencherait forcément l'alerte auprès des trois autres. Mais ce soir, il apparaissait d'évidence que plusieurs frères avaient été démasqués.

— Répondez, je vous en supplie ! Où êtes-vous ?

— Raccrochez immédiatement ! ordonna derrière elle une voix grave.

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Terrorisée, la petite sœur se retourna vers la porte. Le moine tenait à bout de bras un gros chandelier d'autel en fer forgé. Elle raccrocha d'une main tremblante.

— Ils sont morts, tous les quatre, articula le moine. Et ils se sont joués de moi. Dites-moi où est la clé de voûte !

— Je... je ne sais pas ! s'exclama-t-elle. C'est un secret qu'ils étaient les seuls à connaître...

Et ils sont morts !

L'albinos s'avança vers elle, son poing blanc serré sur le chandelier.

— Vous, une religieuse, vous êtes à leur service !

— Le message de Jésus est clair, rétorqua la sœur, et l'Opus Dei l'a dénaturé !

Une soudaine explosion de fureur étincela dans les yeux rouges du moine. Il abattit brusquement le lourd candélabre. En s'effondrant, la petite sœur fut saisie d'une angoisse indicible.

Ils sont tous morts.

La précieuse vérité est à jamais perdue.

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32

Le déclenchement de l'alarme affola les pigeons, qui s'envolèrent en masse vers le jardin des Tuileries. Sophie et Langdon sortirent en courant de la pyramide. On entendait au loin le mugissement des sirènes de la police.

— C'est celle-là, montez ! cria Sophie, à bout de souffle, montrant du doigt une minuscule voiture rouge...

Elle ne va pas me faire monter dans ce pot de yaourt ?

Langdon n'avait jamais vu de si petite voiture.

— C'est une Smart, un litre aux cent kilomètres ! annonça-t-elle. À peine avait-il réussi à se glisser dans le minuscule habitacle qu'elle démarrait déjà en trombe. Langdon s'agrippa tant bien que mal au tableau de bord, en essayant de caser comme il le pouvait ses longues jambes devant lui. Il eut un instant l'impression qu'elle allait traverser en voiture le rond-point planté de buis qui abritait la pyramide inversée qu'il avait pu admirer un peu plus tôt de l'intérieur du musée. Elle n'aurait fait qu'une bouchée de la petite Smart.

Mais Sophie opta finalement pour un itinéraire plus classique. Après avoir fait le tour du rond-point dans un crissement de pneus, la petite voiture s'engouffra sous le guichet est du Louvre et tourna à gauche dans la rue de Rivoli, qu'elle enfila vers l'ouest à toute allure.

Les sirènes beuglaient derrière eux et Langdon aperçut les gyrophares dans le rétroviseur droit. Le coup d'accélérateur de Sophie fit rugir de plus belle le moteur de la Smart. Devant eux, à cinquante mètres, un feu passa au rouge, mais la jeune femme jura à mi-voix sans ralentir pour autant.

— Sophie ! hurla Langdon.

Après un rapide coup d'œil à droite et à gauche et un appel de phares, la jeune femme qui avait à peine levé le pied traversa le carrefour et appuya encore sur l'accélérateur. Langdon se retourna et se tordit le cou pour apercevoir les véhicules de police. Apparemment ils n'étaient pas suivis ; l'essaim de gyrophares semblait s'être regroupé autour du musée.

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Langdon sentit son cœur qui ralentissait sa cadence.

— Une visite guidée d'un genre nouveau ! articula-t-il.

La Smart longeait les arcades de la rue de Rivoli. Sophie ne réagit pas, les yeux fixés sur

l'embranchement de l'avenue Gabriel à droite au fond de la place. L'ambassade n'était plus qu'à quelques centaines de mètres et Langdon se renfonça dans son siège.

Sa croix grave l'heure.

Sophie l'avait décrypté tout de suite.

La Vierge aux rochers.

D'après elle, Jacques Saunière lui avait laissé sur ce tableau un message final. Un message final ? Langdon était émerveillé par l'astucieuse cachette trouvée par le vieillard. La Vierge aux rochers constituait un chaînon manquant dans la série des mystérieux symboles, intimement liés entre eux, de cette soirée.

À chaque étape de son jeu de piste, Saunière avait réaffirmé son affection pour les équivoques et l'espièglerie du grand maître de la Renaissance.

La Vierge aux rochers résultait d'une commande faite à Vinci par la congrégation des Sœurs de l'Immaculée Conception, qui lui avaient demandé un tableau central pour le triptyque surmontant l'autel de l'église Saint-François-Majeur de Milan. Elles avaient imposé des dimensions précises, ainsi que les personnages de la scène : la Vierge Marie, l'Enfant Jésus, le petit Jean-Baptiste et l'ange Uriel, en mémoire d'une légende selon laquelle l'Enfant Jésus aurait rencontré son cousin dans une caverne pendant son séjour en Egypte. L'artiste avait rempli son contrat mais, lors de la livraison de l'œuvre, les religieuses avaient été saisies d'effroi. Le tableau contenait des détails étranges et dérangeants.

La composition triangulaire, dominée par la tête de la Vierge, est magistrale. Vêtue d'une robe et d'une cape bleu nuit, elle est assise, le bras droit passé autour de l'épaule d'un très jeune enfant nu, agenouillé et les mains jointes. Au premier plan, sur sa gauche, l'ange Uriel, adossé à un coussin rouge, soutient de la main gauche un enfant plus jeune, qui bénit le premier. Pourquoi est-ce Jean-Baptiste qui bénit Jésus, comme pour le soumettre à son autorité ? Et pourquoi la Vierge tient-

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elle Jean-Baptiste -et non son propre fils au creux de son bras ?