On ne pouvait exercer la première avec objectivité si l'on était croyant. Et la seconde n'avait pas besoin d'une confirmation scientifique de ses croyances.
Il n'était toutefois pas fâché de faire connaissance avec ce haut lieu de l'histoire du catholicisme, dont on commençait d'ailleurs à distinguer les toits aux détours de la route en lacet, qui surplombait la vallée où s'étaient jadis affrontés les Horaces et les Curiaces. Avec ses murailles flanquées de tours carrées, Castel Gandolfo présentait un exemple impressionnant d'architecture défensive, adapté à sa situation au sommet d'une falaise. Mais le Vatican en avait malheureusement gâché l'imposante perspective par la construction des deux dômes d'aluminium de l'observatoire, qui faisaient figure de chapeaux melon d'opérette perchés sur une forteresse.
Lorsqu'il était descendu de voiture devant la porte d'entrée, un jeune jésuite s'était précipité pour l'accueillir.
— Bienvenue à Castel Gandolfo, monseigneur. Je suis le père Mangano, je suis astronome.
Grand bien vous fasse ! Aringarosa le suivit dans la majestueuse entrée, puis gravit le grand escalier de marbre, jusqu'à un premier palier, où une série de flèches indiquaient diverses salles de conférences et de lecture, ainsi que des services d'information touristique. Des photos de planètes et de constellations garnissaient les murs. L'évêque de l'Opus Dei fut navré de constater à nouveau que le Vatican, qui ne manquait pas une occasion de faillir à sa mission - fournir à ses fidèles des directives d'édification spirituelle strictes et cohérentes -, trouvait le temps de proposer des conférences d'astronomie aux touristes.
— Dites-moi, mon fils, il y a longtemps que le monde marche sur la tête dans cette maison ?
Le jeune prêtre le regarda avec stupéfaction.
— Pardon?
– 162 –
Il n'insista pas. Le Vatican a perdu la tête. Comme ces pères lâches qui trouvent plus facile de
satisfaire tous les caprices de leurs enfants que de leur opposer fermement des valeurs fortes, l'Église ne cessait de s'aveulir. Elle s'égarait en tentant de se réinventer pour se soumettre aux diktats d'une civilisation à la dérive.
Au dernier étage, un large couloir, luxueusement décoré et meublé conduisait à une grande porte de chêne à double battant, rehaussée d'une rutilante plaque de cuivre : BIBLIOTECA ASTRONOMICA
La célèbre bibliothèque abritait plus de vingt-cinq mille volumes, dont des ouvrages anciens d'une inestimable valeur, signés Copernic, Galilée, Kepler, Newton et Secchi. C'était, paraît-il, l'endroit où les hauts responsables du Vatican, et le pape lui-même, donnaient les entretiens privés qu'ils préféraient soustraire à une publicité importune.
En approchant de cette porte, Mgr Aringarosa était loin de se douter de l'effarante nouvelle qui l'y attendait, ni de la suite d'événements catastrophiques qu'elle devait entraîner.
Une heure plus tard, il sortait en titubant de la bibliothèque, et ce n'est qu'au bas du grand escalier qu'il prit conscience de l'affreuse réalité.
Plus que six mois ! Que Dieu nous aide !
Assis à l'arrière de la Fiat, il s'aperçut qu'il serrait les poings au souvenir de cette épouvantable entrevue. Pour relaxer ses muscles, il se força à respirer calmement.
Tout ira bien, se dit-il.
Il attendait pourtant désespérément la sonnerie de son téléphone cellulaire.
Comment se fait-il que le Maître ne m'ait pas encore appelé
? À l'heure qu'il est, Silas devrait avoir trouvé la clé de voûte.
Il tenta de se concentrer sur la grosse améthyste qui ornait sa bague ; palpant les reliefs de la gravure et les facettes des diamants, il se répétait que le pouvoir qu'elle symbolisait n'était rien au regard de celui qui serait bientôt le sien.
– 163 –
35
Le hall de Saint-Lazare ressemblait pour Langdon à celui de toutes les gares d'Europe au milieu de la nuit. Une caverne ouverte aux vents, et qui abritait toujours les mêmes personnages -SDF assis ou couchés par terre derrière leur abri de carton, jeunes en transit, les yeux cernés, réfugiés dans la musique de leurs baladeurs MP3, employés de nuit vaquant à leurs occupations, une cigarette aux lèvres.
Sophie leva les yeux vers le panneau des départs, qu'on était en train d'actualiser. Une fois tous les caractères noirs immobilisés, Langdon regarda le haut de la liste.
Caen, 5 h 38.
— C'est bien tard, fit Sophie, mais il faudra s'en contenter.
Elle l'entraîna vers une billetterie automatique.
— Vous allez nous acheter deux billets, avec votre carte bancaire.
— Mais je croyais que la police pouvait retrouver la trace des paiements...
— Justement.
Langdon avait renoncé à suivre les raisonnements de Sophie Neveu... Il lui tendit donc sa carte sans broncher, et lui récita avec la même docilité les chiffres de son code quand elle les lui demanda.
Elle ramassa les deux billets dans le bac du distributeur, passa son bras sous le sien et l'entraîna vers l'extrémité ouest de la gare, où un escalier redescendait vers la rue de Rome.
Garé contre le trottoir, un taxi leur faisait des appels de phares.
Sophie s'engouffra sur la banquette arrière et Langdon la suivit. Dès que le chauffeur eut amorcé la côte de la rue de Rome, Sophie déchira les deux billets de train.
Si je comprends bien, j'en suis pour mes soixante-dix dollars, soupira Langdon.
– 164 –
C'est seulement alors qu'il se rendit compte qu'ils étaient vraiment en fuite. Le taxi s'arrêta au feu rouge du boulevard des Batignolles et Langdon n'eut que le temps d'apercevoir la silhouette illuminée du Sacré-Cœur. Une voiture de police les croisa, toutes sirènes hurlantes, et Sophie le força pratiquement à se coucher sur la banquette.
Les sirènes s'éloignèrent.
Langdon se rassit et profita de l'éclairage du carrefour pour examiner de près la petite clé dorée, y cherchant désespérément le poinçon d'un fabricant.
Sophie avait demandé au chauffeur de filer plein bord, et Langdon vit à son air soucieux qu'elle réfléchissait à la suite des opérations.
— Cela n'a pas de sens ! déclara-t-il enfin.
— Je ne vous le fais pas dire...
— Jacques Saunière ne se serait jamais donné autant de mal pour vous léguer cette clé si vous ne savez pas quoi en faire...
— Je suis bien d'accord avec vous.
— Vous êtes sûre qu'il n'y avait aucune inscription derrière le tableau ?
— Absolument. J'ai vérifié scrupuleusement.
Langdon se replongea dans son observation. Il passa un doigt sur le pan triangulaire non gravé, et rapprocha la clé de ses yeux.
— J'ai l'impression qu'elle a été nettoyée récemment...
— À quoi voyez-vous cela ?
— Elle sent l'alcool à 90°.
— Pardon?
Il la renifla de plus près.
— L'odeur est plus forte sur l'autre face. Elle a été frottée...
Attendez !
Il demanda au chauffeur d'allumer le plafonnier et se pencha pour la regarder sous la lumière.
— Vous l'avez bien regardée avant de la mettre dans votre poche ?
– 165 –
— Non, je n'avais pas le temps...
— Vous avez toujours votre torche à lumière noire ?
Elle la sortit, l'alluma et braqua le rayon sur le dos de la clé que Langdon lui tendait.
Les lettres pourpres apparurent immédiatement griffonnées à la hâte mais parfaitement lisibles.