— Cette curieuse exigence avait un objectif précis. Les chevaliers étaient convaincus que les documents recherchés par le Prieuré étaient enfouis sous les ruines du Temple - sous le saint des saints, le site sacré dévolu à Dieu lui-même. C'est le cœur de la foi juive. Pendant presque dix ans, les neuf Templiers fouillèrent le sous-sol dans une clandestinité absolue.
— Et vous dites qu'ils ont découvert quelque chose ?
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— En effet. Au bout de neuf années, ils avaient enfin tiré des ruines ce qu'ils appelèrent leur trésor. Ils le transportèrent jusqu'en Europe, où leur influence grandit soudainement.
Personne ne pouvait dire si les Templiers avaient exercé un chantage auprès du Vatican, ou si c'est Rome qui avait pris l'initiative d'acheter leur silence, mais le pape Innocent II publia, dès leur retour en Europe, une bulle sans précédent, qui accordait aux chevaliers du Temple des pouvoirs, illimités, les déclarant « leurs propres législateurs », et faisant d'eux une armée indépendante de tout royaume et de tout prélat.
Avec la carte blanche qu'il venait d'obtenir de Rome, l'ordre des Templiers se développa à une vitesse vertigineuse, en nombre et en puissance politique, amassant de vastes domaines dans plus de douze pays. Grâce à leur immense fortune, ils devinrent les créanciers de royaumes en faillite financière, auxquels ils imposèrent des taux d'intérêt, inventant ainsi le système bancaire, moderne. Ils étendirent encore leur fortune et leur influence.
Au début du XIV e siècle, le Vatican commença, à s'inquiéter de leur puissance et Clément V décida qu'il était temps d'agir. Avec la complicité du roi de France Philippe IV le Bel, le pape prépara un coup monté très ingénieux, destiné à écraser définitivement les Templiers et à s'emparer de leur trésor, que le Vatican avait tant intérêt à reléguer aux oubliettes.
Sa manœuvre militaire fut digne de la CIA. Clément V rédigea des ordres scellés, qui devaient être ouverts par ses affidés dans toute l'Europe le vendredi 13 octobre 1307.
À l'aube du jour J, les destinataires découvrirent l'effroyable contenu de la lettre papale. Clément V y déclarait que Dieu lui était apparu pour l'avertir que les Templiers étaient des hérétiques, adonnés au culte du diable, à l'homosexualité et la sodomie, la dégradation de la croix du Christ et autres comportements blasphématoires. Dieu avait demandé an pape de nettoyer la terre en arrêtant tous les chevaliers du Temple et en les torturant jusqu'à ce qu'ils avouent leurs crimes contre la foi. Le plan machiavélique se déroula avec une précision d'horlogerie. Ce jour-là, d'innombrables Templiers furent capturés et torturés sans pitié, avant d'être brûlés sur les
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bûchers réservés aux hérétiques. Le souvenir de ce terrible massacre est resté gravé dans bien des cultures occidentales, et c'est à lui qu'on doit la superstition du maléfique vendredi 13.
Sophie avait l'air troublée.
— Ils ont tous été supprimés ? s'étonna-t-elle. Je croyais qu'il en existait encore...
— C'est vrai, mais sous des appellations différentes. Malgré les fausses accusations de Clément V et sa tentative d'élimination, certains d'entre eux échappèrent à la purge. Le véritable objectif du Vatican était la capture du trésor qui les avait rendus si puissants, mais il ne parvint pas à s'en emparer.
Les documents étaient depuis longtemps confiés à la garde du Prieuré de Sion, qui les protégeait jalousement de la cupidité papale. Avant le massacre, la Fraternité les aurait embarqués à bord d'un bateau qui partit du port de La Rochelle.
— Et sa destination ?
— Cette information est demeurée le secret du Prieuré. Et comme ces documents ont été constamment - et sont encore -
l'objet de recherches et de spéculations, ils ont dû être déplacés plusieurs fois au cours des siècles. On pense qu'ils sont actuellement cachés quelque part en Grande-Bretagne. Depuis cette époque, le secret légendaire a continué à se transmettre au sein de la Fraternité sous le nom de Sang réal. Des centaines d'ouvrages ont été publiés sur le sujet. Dans toute l'histoire de l'humanité, peu de mystères ont suscité un tel intérêt chez les historiens.
— Sang réal ? Comme le mot « sang » en français, et «
sangre » en espagnol ?
Langdon hocha la tête. Le secret des Templiers était avant tout une affaire de sang, mais sans doute pas dans le sens où Sophie l'entendait.
— C'est une légende très complexe. Mais ce qui compte, c'est que le Prieuré de Sion prétend en détenir la preuve, et attend pour révéler la vérité le moment qui lui paraîtra approprié.
— Quelle vérité ? Quel secret peut avoir une telle importance ?
Langdon prit une longue respiration.
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— L'expression Sang réal est très ancienne. Elle a évolué au cours de l'histoire. Lorsque je vous dirai sa forme actuelle, vous vous rendrez compte que vous la connaissez. En fait, presque tout le monde en a entendu parler.
— Pas moi ! rétorqua Sophie d'un air sceptique.
— Détrompez-vous, Sophie, fit-il avec un sourire. Il vous est familier, mais sous un autre nom, « Saint-Graal ».
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Sophie scrutait le visage de Langdon.
Il plaisante.
— Le Saint-Graal ?
Langdon hocha la tête avec le plus grand sérieux.
— Exactement. Sangréal signifiait Sang royal, ou Sang sacré. On l'orthographiait aussi San Real, ou San Graal.
Déçue de ne pas avoir deviné d'elle-même cette évolution linguistique, Sophie restait sceptique sur la signification de ce fameux secret. Les explications de Langdon étaient encore obscures pour elle.
— Mais je croyais que le Graal était un calice. Et vous me dites que c'est une collection de documents qui révèlent un mystérieux secret !
— Ils n'en représentent qu'une partie, et ont été enterrés avec lui. Ce sont eux qui conféraient un tel pouvoir aux Templiers, parce qu'ils révélaient la nature véritable du Graal.
La nature véritable du Graal ? Sophie avait de plus en plus de mal à suivre.
— La vraie nature d'un vase sacré ?
Elle avait toujours cru que le Saint-Graal était le calice de vin consacré par Jésus la veille de sa mort, et dont Joseph d'Arimathie se serait servi pour recueillir le sang de ses plaies après la crucifixion. ..
— Mais, Robert, le Saint-Graal est la coupe du Christ. C'est aussi simple que cela...
— Sophie, dit Langdon en s'inclinant vers elle, pour le Prieuré de Sion, la légende du calice est allégorique. Elle symbolise la véritable force du Graal. Une puissance qui concorde parfaitement avec toutes les allusions que votre grand-père nous a laissées en mourant, et en particulier les références symboliques au Féminin sacré.
Bien qu'encore sceptique, Sophie devinait au sourire patient de Langdon qu'il comprenait son double. Mais son regard était sérieux.
— Si ce n'est pas une coupe, qu'est-ce que c'est ?
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Il avait vu venir la question, mais ne savait pas encore comment y répondre. S'il ne lui présentait pas la réponse dans son contexte historique, elle resterait aussi incrédule que Jonas Faukman, son éditeur, auquel il avait montré son manuscrit quelques mois auparavant.
— Comment ? C'est ça que votre bouquin cherche à prouver ? s'était-il écrié en posant son verre de vin devant son assiette de déjeuner énergétique. Vous n'êtes pas sérieux, Robert !
— Suffisamment pour y avoir consacré une année de recherches.
Faukman tirait nerveusement sur le bouc qui lui garnissait le menton. Il ne comptait plus ses surprises de lecteur au cours d'une longue et illustre carrière, mais celle-ci le laissait pantois.