— Ne le prenez pas mal, avait-il repris. J'aime énormément tout ce que vous faites, mon cher
Robert, et j'ai toujours publié vos œuvres avec enthousiasme. Mais si je laisse paraître une énormité pareille, les lecteurs viendront me séquestrer dans ce bureau. Et votre réputation sera complètement ruinée. Vous êtes professeur à l'université Harvard, que diable, pas un hurluberlu avide de dollars vite gagnés ! Je serais curieux de savoir où vous avez bien pu dénicher assez de preuves crédibles pour soutenir une théorie aussi farfelue.
Langdon avait tranquillement sorti de la poche de sa veste une feuille de papier qu'il avait tendue à Faukman avec un sourire amusé. C'était une bibliographie de plus de cinquante ouvrages d'historiens, récents et anciens - dont un bon nombre de best-sellers. Tous ces auteurs avançaient la même hypothèse que Langdon. En la parcourant, Faukman donnait l'impression de découvrir que la Terre était en réalité plate.
Mais certains de ces écrivains sont des historiens réputés...
— Ce qui prouve, mon cher Jonas, que ce n'est moi qui ai inventé cette théorie... Elle existe depuis très longtemps, je me contente de la développer. Personne n'a jamais encore étudié la légende du Graal sous l'angle symbolique. Les pièces iconographiques que j'ai l'intention de fournir à l'appui de ma thèse sont, je dois dire, assez convaincantes.
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— Il y a même Teabing, l'historien de la Couronne britannique..., continua Faukman.
— Il a effectivement consacré plusieurs années de sa carrière à l'étude du Saint-Graal. Je l'ai rencontré personnellement, et il est en grande partie à la source de ce nouveau travail. C'est un chrétien pratiquant, mon cher Jonas, comme tous les historiens de la liste...
— Vous êtes en train de me dire que ces spécialistes patentés croient...
Il avait avalé sa salive, comme incapable de prononcer un blasphème.
— Le Saint-Graal est le trésor le plus convoité de toute l'histoire de l'humanité. Il a engendré des légendes, provoqué des guerres, il a représenté pour certains la quête de toute une vie. Il paraît vraiment très peu probable qu'on se soit donné tout ce mal pour une coupe, fût-elle sacrée. Certaines reliques beaucoup plus précieuses, comme la couronne d'épines du Christ, le bois de sa Croix, ou le saint suaire, auraient dû susciter un intérêt beaucoup plus grand. Or ce n'est pas le cas.
Le Graal occupe une place à part, et maintenant vous savez pourquoi...
Faukman secouait obstinément la tête.
— Mais si autant de livres ont défendu cette théorie, comment se fait-il qu'elle ne soit pas plus connue ?
— Parce qu'on ne conteste pas aussi facilement une histoire officielle pluriséculaire, surtout quand elle est répandue par le plus grand best-seller de tous les temps...
Faukman écarquilla les yeux.
— Ne me dites pas que le véritable sujet de Harry Potter, c'est la quête du Graal !
— Je parlais de la Bible.
— Merci, je le savais, avait grimacé Faukman.
— Arrêtez ça ! cria Sophie.
Langdon avait sursauté quand la jeune fille s'était penchée brusquement vers le siège avant en criant. Il remarqua que le chauffeur s'était mis à parler dans le micro de sa radio, qu'il venait de décrocher. Sophie s'empara du pistolet qu'il avait
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fourré dans la poche de sa veste, et en braqua le canon sur le cou du chauffeur, lequel leva la main droite et lâcha le micro.
— Sophie ! Mais qu'est-ce qui vous prend ? protesta Langdon.
— Arrêtez-vous ! hurla-t-elle de plus belle.
Tremblant, le chauffeur obtempéra, stoppant le taxi.
C'est alors que Langdon entendit une voix métallique et hachée monter du tableau de bord «... qui s'appelle Sophie Neveu... et un Américain, du nom de Robert Langdon... »
Langdon sentit ses muscles se raidir. Ils nous ont retrouvés
! — Descendez ! ordonna Sophie. Tremblant de peur, le chauffeur, les deux mains au-dessus de la tête, sortit du taxi et fit quelques pas. Sophie avait baissé sa vitre pour le maintenir en joue.
— Prenez le volant, Robert ! ordonna-t-elle calmement.
C'est vous qui conduisez.
Pas question de discuter avec une femme flic qui brandit un pistolet. Langdon s'installa donc sur le siège du conducteur. Sur le trottoir, le chauffeur proféra des jurons bien sentis, les mains toujours au-dessus de la tête.
— J'espère que vous en avez assez de notre forêt magique...
Il hocha la tête. Plus qu'assez.
— Très bien, maintenant, sortez-nous de là !
Il jeta un coup d'œil aux commandes. La barbe ! pensa-t-il en constatant la présence d'un changement de vitesse et d'une pédale d'embrayage.
— Vous ne croyez pas que vous... ?
— Démarrez ! cria-t-elle.
Quelques prostituées traversaient la rue pour assister au spectacle. L'une d'entre elles sortit son téléphone portable.
Langdon appuya sur l'embrayage et enclencha ce qu'il espérait être la première. Puis il appuya sur l'accélérateur. Les pneus crissèrent et le taxi dérapa après un bond en avant, dispersant efficacement les demoiselles ameutées. La fille au portable trébucha contre le rebord du trottoir après avoir évité de justesse le taxi.
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— Doucement ! hurla Sophie, alors que le taxi faisait une nouvelle embardée. Qu'est-ce que vous faites?
— J'ai essayé de vous avertir ! cria Langdon en maltraitant de plus belle l'embrayage, je n'ai jamais conduit que des voitures automatiques...
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39
La chambre Spartiate de la rue La Bruyère avait dû être le théâtre de bien des souffrances, mais Silas était convaincu que rien ne pouvait égaler l'angoisse qui l'étreignait en ce moment.
J'ai été trompé, tout est perdu.
Les quatre frères lui avaient menti, préférant mourir que de révéler leur secret. Il ne se sentait pas le courage d'appeler le Maître. En plus des quatre membres de la Fraternité, il avait supprimé une religieuse à l'intérieur de Saint-Sulpice. Elle aussi travaillait contre Dieu. Elle méprisait l'oeuvre accomplie par l’Opus Dei !
Mais il avait agi sous le coup d'une impulsion irréfléchie et la mort de cette femme compliquait beaucoup les choses. C'est Mgr Aringarosa qui avait donné le coup de téléphone grâce auquel Silas avait pu pénétrer dans l'église Saint-Sulpice. Que penserait le curé en apprenant la mort de la sœur ?
Silas l'avait recouchée dans son lit, mais la blessure à la tête était bien visible. Il avait aussi tant bien que mal reconstitué la plaque de marbre, mais l'effraction était évidente. On saurait que quelqu'un était entré cette nuit dans l'église.
Il avait projeté de rester caché dans le foyer de la rue La Bruyère une fois sa mission accomplie. Mgr Aringarosa me protégera. Silas ne pouvait imaginer d'existence plus heureuse que la vie de méditation que lui offrait le centre de l'Opus Dei à New York. Il ne quitterait jamais l'immeuble de Lexington Avenue, où il trouverait tout ce qui lui était nécessaire. Je ne manquerai à personne. Malheureusement, Silas le savait, une personnalité de l'importance de Mgr Aringarosa ne pouvait pas disparaître aussi facilement.
Je l'ai mis en danger, pensait-il, son regard vide fixé sur le sol. Il songea au suicide. Après tout, c'est l'évêque qui l'avait fait renaître à la vie... dans ce petit presbytère espagnol. C'est lui qui l'avait instruit, qui avait donné un sens à son existence.
— Mon ami, lui avait dit un jour son bienfaiteur, tu es né albinos. Ne laisse pas les autres t'en faire honte. Ne comprends-tu pas que cela te rend spécial, unique ? Ne sais-tu pas que Noé