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était albinos ?
— Celui de l'Arche ?
Silas ignorait complètement ce détail. Aringarosa souriait.
— Lui-même. Il avait, comme toi, la peau blanche d'un ange. Penses-y. Et il a sauvé du déluge toutes les espèces vivantes. Tu es destiné à de grandes choses, mon fils. Le Seigneur t'a envoyé à moi pour te confier une mission. C'est ta vocation. Il a besoin de toi pour l'aider à accomplir son œuvre.
Avec le temps, Silas avait appris à se regarder différemment. Je suis blanc, beau et pur, comme un ange.
Mais cette nuit, dans sa petite cellule, c'était la voix déçue de son père naturel qui remontait du passé.
Tu es un désastre. Un fantôme...
Il s'agenouilla sur le plancher pour implorer le pardon. Puis, ôtant sa robe, il saisit d'une main la discipline.
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Se débrouillant tant bien que mal avec le changement de vitesse, Langdon avait réussi à parvenir au rond-point de la place des Ternes, en ne faisant caler le moteur que deux fois.
Mais le même message inlassablement débité par le central de la société de taxis jetait une ombre sur le comique de la situation :
« Voiture cinq-six-trois ? Où êtes-vous ? Répondez ! »
Langdon ravala sa fierté masculine et enfonça la pédale de frein.
— Je crois vraiment que vous feriez mieux de conduire, Sophie...
Elle eut l'air soulagée en s'installant au volant, et s'engagea en souplesse dans l'avenue de Wagram, qu'elle remonta à toute allure. Langdon jeta un rapide coup d'œil au compteur. Elle frôlait les cent kilomètres/heure en arrivant à l'Étoile.
— Le chauffeur disait que la rue de Longchamp coupe l'avenue Kléber. Le numéro 24 devrait être sur la gauche au carrefour.
Langdon ressortit la clé de sa poche. Elle pesait lourd dans le creux de sa main, autant pour la suite de leur chasse au trésor, que pour sa liberté à lui.
En racontant tout à l'heure à Sophie l'histoire des Templiers, il s'était rendu compte que cette clé possédait un lien plus subtil avec le Prieuré de Sion que les deux initiales qui y étaient gravées. La croix à quatre branches égales n'était pas seulement le symbole de l'équilibre et de l'harmonie, c'était aussi celle que portaient les chevaliers du Temple. Leurs tuniques blanches ornées d'une grande croix rouge étaient représentées sur d'innombrables tableaux et gravures. Les branches en étaient certes évasées aux extrémités, mais elles étaient bien de même longueur.
Une croix carrée. Comme sur cette clé.
Son imagination se mit à battre la campagne à la perspective de ce qu'ils allaient découvrir. Le Saint-Graal. À
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cette idée absurde, il eut peine à retenir un éclat de rire. Le Graal était censé reposer en Angleterre, enterré depuis au moins le début du XVI e siècle dans la crypte de l'une des nombreuses églises du Temple.
L'époque du Grand Maître Leonardo Da Vinci.
Depuis que les documents du Graal avaient été rapatriés de Jérusalem en Europe, le Prieuré de Sion avait été contraint de les déplacer plusieurs fois au cours des siècles. Les historiens estimaient à six le nombre de ses cachettes successives. Le dernier témoignage datait de 1447, après un incendie qui avait failli détruire les précieux documents. On avait transporté le trésor in extremis dans quatre énormes coffres, portés chacun par six hommes. Après cette date, personne n'avait plus jamais prétendu l'avoir vu. Des rumeurs circulaient régulièrement, selon lesquelles le Saint-Graal serait caché en Grande-Bretagne, patrie du roi Arthur et des chevaliers de la Table ronde.
Quoi qu'il en soit, pensait Langdon, deux faits subsistent : 1. Leonardo Da Vinci savait où se trouvait le Graal de son vivant.
2. La cachette n'a probablement pas changé depuis.
D'où l'intérêt de tous les passionnés de la légende pour l'œuvre du grand génie italien, dans laquelle ils espéraient trouver des indices sur l'emplacement du Graal. Certains prétendaient que le décor de la Vierge aux rochers évoquait la topographie d'une série de collines écossaises truffées de cavernes troglodytiques. D'autres croyaient lire un code dans la curieuse disposition des apôtres de part et d'autre de Jésus, dans la Cène de Milan. Selon d'autres encore, la radiographie aux rayons X révélait que Mona Lisa portait, caché sous quelques glacis, un pendentif en lapis-lazuli représentant la déesse Isis. Langdon ne comprenait d'ailleurs pas très bien le lien entre ce bijou et le trésor des Templiers, mais il constatait que les mordus du Graal continuaient à discuter inlassablement de cette question sur Internet.
Les mystères ont toujours des fans.
Et les énigmes continuaient de surgir. La plus récente avait été soulevée par une découverte stupéfiante : la célèbre Adoration des Mages de Leonardo Da Vinci cachait sous ses
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couches de peinture un étrange secret. Un scientifique italien spécialisé dans l'analyse picturale,
Maurizio Seracini, avait découvert une vérité dérangeante, que le New York Times avait révélée dans un article intitulé « Le Maquillage de Leonardo Da Vinci ».
Seracini affirmait que, si Leonardo Da Vinci était bien l'auteur de l'esquisse au crayon gris-vert qui servait de base au tableau, ce n'était pas lui qui l'avait peint, mais un artiste anonyme qui avait « colorié » le dessin du maître plusieurs années après sa mort. Plus troublant encore était ce qu'on disait avoir découvert sous la peinture. Des photos prises aux infrarouges et aux rayons X laissaient supposer que cet imposteur avait pris de nombreuses libertés avec le croquis original... comme pour détourner les intentions du maître. Quoi qu'il en soit, le dessin original n'avait jamais été montré au public. Les conservateurs du musée des Offices avaient relégué le tableau dans un entrepôt situé de l'autre côté de la rue, et accroché à sa place une pancarte d'excuses :
CE TABLEAU SUBIT ACTUELLEMENT
UN DIAGNOSTIC EN VUE DE SA RESTAURATION
Dans le monde à part des adeptes du Graal, l'œuvre de Leonardo Da Vinci restait le mystère le plus captivant. Ses œuvres semblaient prêtes à révéler un secret, lequel se cachait peut-être sous une couche de peinture, à moins qu'il ne soit perceptible à l'œil nu, mais alors codé... si tant est qu'il y eût un secret. Peut-être la pléthore d'allusions excitantes dont son œuvre fourmillait n'était-elle après tout qu'une promesse vaine destinée à frustrer les curieux, d'où le sourire entendu de sa Joconde.
Ils contournaient l'Arc de triomphe quand Sophie tira Langdon de sa rêverie :
— Vous croyez que cette petite clé pourrait être celle de la cachette du Graal ?
Il éclata d'un rire forcé.
— Ça me paraît incroyable. D'autant qu'on raconte qu'il se trouve en Grande-Bretagne...
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Il lui résuma rapidement ce qu'il savait sur les déménagements successifs des documents du Prieuré.
— Et pourtant, ce serait la seule explication rationnelle au message de mon grand-père. Il m'a légué une clé gravée aux armes du Prieuré de Sion, dont vous me dites que les membres sont depuis l'origine les gardiens du Saint-Graal. Une clé qu'il a toujours jalousement cachée...
Le raisonnement de Sophie était en effet logique, mais, par intuition, Langdon refusait d'y adhérer. La tradition disait bien que le Prieuré s'était juré un jour de rapporter son trésor sur la terre de France, mais rien ne permettait de supposer que ce rapatriement avait eu lieu. Et cette adresse en plein Paris semblait un bien curieux sanctuaire...