— Je n'en ai jamais entendu parler, fit Langdon, en le faisant tourner entre ses mains.
Pas très étonnant, pour Sophie : la plupart des inventions de Léonard n'avaient jamais été étudiées ni même baptisées.
Peut-être le terme cryptex avait-il d'ailleurs été forgé par son grand-père. Un mot tout à fait adapté puisque cet objet utilisait la cryptologie pour protéger des informations elles-mêmes notées sur un rouleau de parchemin ou codex. Leonardo Da Vinci avait d'ailleurs été un pionnier de la cryptographie. Sophie le savait, et même si ses professeurs du RHI, lorsqu'ils présentaient les méthodes informatiques modernes de cryptage, n'évoquaient jamais le père fondateur de leur discipline, c'est pourtant ce peintre italien qui avait inventé l'une des premières formes de cryptage, il y a cinq siècles. Son grand-père, lui, s'était bien sûr fait un devoir d'expliquer tout cela à Sophie.
Tandis que le fourgon blindé filait sur l'autoroute, la jeune femme révéla à Langdon comment le cryptex, à une époque où téléphones et messages électroniques étaient encore inconnus, avait permis à Vinci d'envoyer des documents confidentiels à de lointains destinataires — sans que le messager soit tenté de les monnayer en route à des adversaires. Lettres, cartes, titres, plans ou croquis pouvaient ainsi voyager en toute sécurité.
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Une foule de grands esprits avaient d'ailleurs tenté, comme Vinci, de résoudre le problème de la protection des documents.
Jules César avait ainsi inventé un système de cryptographie, appelé le chiffre de César. Marie Stuart avait mis au point un code de substitution pour communiquer depuis sa prison. Abdul al-Kindi, un brillant savant arabe du Moyen Âge, protégeait ses secrets par un ingénieux code de substitution combinant plusieurs alphabets...
Mais Leonardo Da Vinci avait préféré la solution mécanique aux codes mathématiques ou cryptographiques. Une fois le message scellé dans le cryptex, il n'était accessible qu'au détenteur du mot de passe.
— Il nous faut découvrir ce mot de passe, déclara Sophie, en montrant les lettres gravées sur le cylindre. Le cryptex fonctionne grosso modo comme un antivol de vélo, sur lequel on doit aligner plusieurs chiffres pour pouvoir l'ouvrir. Ici, c'est un mot de cinq lettres qui actionnera la serrure interne et permettra d'ouvrir le cylindre.
— Et que trouve-t-on à l'intérieur ?
— Le compartiment creux est conçu pour renfermer un rouleau de papier où a été notée l'information secrète.
Langdon lui jeta un regard encore incrédule.
— Et vous dites que votre grand-père vous en fabriquait quand vous étiez enfant ?
— Oui, mais des plus petits. Il m'en a donné une ou deux fois, pour mon anniversaire, en me posant une devinette. La réponse était le mot de passe. Et je trouvais ma carte de vœux à l'intérieur.
— Cela fait beaucoup de travail pour une simple carte...
— Non, parce qu'elle contenait une autre énigme, ou un indice qui me guidait vers mon cadeau. Il aimait organiser des courses au trésor et des jeux de piste dans la maison. Pour me mettre au défi, pour s'assurer que je mériterais ma récompense.
Et les épreuves étaient toujours compliquées.
Langdon avait toujours l'air sceptique.
— Mais pourquoi ne pas tout simplement l'écraser ou le casser ? Le marbre n'est pas une roche si solide que ça, et le cuivre est un métal assez mou...
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Sophie sourit.
— Léonard avait prévu la parade. Si on cassait le cryptex, son contenu s'autodétruisait. Regardez !
Elle sortit avec précaution le cryptex de son coffret.
— D'abord, on écrit, ou on dessine, sur un rouleau de papyrus.
— Pourquoi pas sur du vélin ?
— C'est vrai que le vélin était plus solide et plus répandu à l'époque, mais il fallait que ce soit du papyrus, et le plus fin possible.
— Et ensuite ?
— Avant de l'insérer dans le compartiment, on l'enroulait autour d'un flacon en verre très fin.
Elle agita légèrement le cryptex à l'oreille de Langdon.
— Un flacon rempli de liquide.
— Quel liquide ?
— Du vinaigre.
— Génial ! s'exclama Langdon.
Si on écrasait au marteau le cylindre de marbre, le flacon se cassait et le vinaigre dissolvait immédiatement le rouleau de papyrus. Et on ne trouvait à l'intérieur qu'un amalgame de pâte molle.
— Comme vous le voyez, continua Sophie, la seule façon d'accéder au document est d'aligner les lettres du mot de passe.
Avec les cinq disques, ça fait environ dix millions de combinaisons possibles.
— Si c'est vous qui le dites... Et vous avez une idée de ce qu'on pourrait trouver à l'intérieur ?
— Aucune. Mais ce qui est certain, c'est que mon grand-père tenait à son secret comme à la prunelle de ses yeux.
Elle déposa le cylindre au fond de la boîte et referma le couvercle. Mais quelque chose la préoccupait encore.
— Vous disiez que la rose à cinq pétales était un symbole du Saint-Graal..., reprit-elle.
— Parfaitement. Pour le Prieuré de Sion, la Rose et le Graal sont des mots synonymes.
— C'est curieux, remarqua Sophie, parce qu'il me disait souvent que le mot rose signifiait secret. Quand il ne voulait pas
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que je le dérange dans son bureau, il suspendait une rose à la poignée de la porte. Et il me conseillait d'en faire autant. « Tu vois, ma chérie, plutôt que de nous enfermer avec un verrou, servons-nous de la fleur des secrets. Pour nous apprendre le respect et la confiance mutuelle. C'est une ancienne coutume des Romains. »
— Sub Rosa, fit Langdon, pensif. Les réunions qui se tenaient « sous la Rose » étaient en effet confidentielles.
Il expliqua à Sophie que cette connotation de secret n'était pas, pour le Prieuré, la seule raison de l'association entre la Rose et le Saint-Graal. La Rosa Rugosa, l'une des plus anciennes roses d'Europe, avait cinq pétales, ce qui l'apparentait au pentagramme, l'étoile de Vénus. D'où sa puissante symbolique féminine. S'ajoutait enfin à cela l'idée de la rose des vents, censée amener les navigateurs à bon port. La rose multipliait donc les affinités symboliques avec le Graal : secret, féminité, chemin de vérité... elle était à la fois le calice et l'étoile directionnelle, qui conduisaient à la vérité.
Langdon sentait que le moment était venu de révéler à Sophie ce qu'il brûlait de lui expliquer depuis qu'ils avaient quitté la Salle des États.
— Sophie, commença-t-il, l'une des missions du Prieuré de Sion est de perpétuer le culte de la déesse, en se fondant sur la conviction que les premiers dirigeants de l'Église chrétienne ont trompé leurs fidèles par des mensonges qui rabaissaient la femme en faveur de l'homme.
Sophie se taisait, les yeux fixés sur le coffret.
— Selon le Prieuré, continua Langdon, l'empereur Constantin et ses successeurs masculins ont substitué au paganisme matriarcal la chrétienté patriarcale. Leur doctrine diabolisait le Féminin sacré et visait à supprimer définitivement de la religion le culte de la déesse.
« Sans chercher à nier l'influence bénéfique qu'exerce l'Église catholique moderne sur le monde troublé d'aujourd'hui, on ne peut ignorer les multiples violences et les mensonges qui lui ont permis d'asseoir son autorité. La croisade brutale que mena le Vatican pour la « rééducation » des religions païennes
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et des cultes de la déesse, et qui s'étendit sur trois siècles, utilisa des méthodes de persuasion aussi sophistiquées que terrifiantes.
« L'Inquisition catholique est à l'origine d'une publication que l'on peut à bon droit qualifier d'ouvrage le plus sanguinaire de l'histoire humaine. L'Encyclique Malleus Maleficarum — «