Et ils sont les premiers à avoir exposé la vraie nature du Graal au grand public.
— Et comment le Vatican a-t-il réagi ?
— Ils ont crié au scandale, comme on pouvait s'y attendre.
Cela faisait plus de seize siècles qu'ils s'ingéniaient à enterrer le secret ! Les croisades, par exemple, résultent pour une part de cette campagne de désinformation. Elles avaient pour but de retrouver les documents et de les détruire. Marie Madeleine représentait une terrible menace pour l'Église des premiers âges. Non seulement c'était à elle que Jésus avait confié la construction de son Église mais, pis encore, elle apportait la preuve physique que le Fils de Dieu inventé par l'Église avait engendré une descendance humaine. C'est pour se défendre du pouvoir de Marie Madeleine que Rome a propagé son image de prostituée, et a dissimulé les preuves de son mariage avec Jésus.
On désamorçait ainsi toute revendication de descendance christique, ce qui permettait d'attester sa divinité.
Sophie guetta l'approbation de Langdon, qui ajouta :
— Il existe pour tout cela des preuves historiques substantielles.
— Je reconnais, reprit Teabing, que ce sont là de terribles allégations. Mais il faut comprendre la position de l'Église à l'époque : elle n'aurait jamais pu survivre à la révélation que Jésus avait eu un enfant. Pour pouvoir se déclarer la seule et unique voie de la rédemption et de la vie éternelle, elle avait absolument besoin d'affirmer la divinité du Christ.
Sophie contemplait la couverture du livre que l'Anglais avait dans les mains.
— Il y a une rose à cinq pétales, remarqua-t-elle. Le même dessin que sur le couvercle du coffret.
— Elle a l'esprit d'observation, cette petite, fit Teabing en se tournant vers Langdon. C'est en effet le symbole qu'a choisi le Prieuré de Sion pour évoquer le Graal - Marie Madeleine, dont le nom était proscrit par l'Église. Elle a été évoquée sous de
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nombreux pseudonymes : le Calice, le Saint-Graal, et la Rose.
Les cinq pétales sont une référence au pentacle de Vénus, et à la rose des vents. C'est, de plus, une appellation commune à l'anglais, au français, à l'allemand et à beaucoup d'autres langues.
— Le mot rose, ajouta Langdon, est aussi l'anagramme d'Éros, le dieu grec de l'amour physique.
Sophie le dévisagea d'un air étonné et Teabing reprit son exposé :
— La rose a toujours été le symbole par excellence de la sexualité féminine. Dans les cultes primitifs de la déesse mère, les cinq pétales représentaient les cinq étapes de la vie de la femme : la naissance, la fécondité, la maternité, la ménopause et la mort. A l'époque moderne, cette symbolique est devenue plus imagée. Mais nous allons demander au spécialiste des symboles de nous expliquer cela.
Langdon hésita. Un instant de trop.
— Allons Robert, laissez tomber votre pudibonderie américaine ! Ce qui embarrasse notre ami, ma chère enfant, c'est le fait que la rose épanouie symbolise le sexe féminin, la fleur sublime par qui tout homme vient au monde. Si vous connaissez les tableaux de Georgia O'Keefe, vous comprendrez tout de suite ce que je veux dire.
— L'important, fit Langdon en désignant la bibliothèque, c'est que tous ces livres soutiennent la même thèse historique.
— Celle de la paternité de Jésus..., suggéra Sophie.
— Précisément, déclara Teabing. Et que Marie Madeleine portait en son sein sa descendance. Et les membres du Prieuré de Sion vénèrent encore Marie Madeleine comme la déesse, le Saint-Graal, la Rose, et la mère divine.
Sophie revit en un éclair l'étrange rituel dans le sous-sol de la maison de son grand-père.
— Selon le Prieuré, continua Teabing, Marie Madeleine était enceinte lorsque Jésus a été crucifié. Pour protéger son enfant, elle a été contrainte de fuir la Terre sainte. Avec l'aide de Joseph d'Arimathie, elle est partie clandestinement pour la France - la Gaule à l'époque - où elle a trouvé refuge auprès de la communauté juive. C'est là qu'elle a mis au monde une fille,
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du nom de Sarah.
— On connaît même le prénom de l'enfant? s'écria Sophie.
— Et bien plus. Les vies de Marie Madeleine et de sa fille ont fait l'objet de chroniques détaillées de la part de leurs protecteurs juifs - n'oubliez pas que l'enfant était de sang royal, celui de David et de Salomon. Marie Madeleine était pour eux la génitrice d'une lignée de rois juifs. De nombreux lettrés de cette époque ont raconté la chronique de son séjour en Gaule, la naissance de Sarah, et l'arbre généalogique qui a suivi.
— Parce qu'il existe un arbre généalogique du Christ?
— Bien sûr. Ce serait même l’une des pierres angulaires des documents du Graal. Une généalogie complète des premiers descendants de Jésus.
— Mais il n'aurait aucune valeur ! s'exclama Sophie. Un arbre généalogique n'est pas une preuve... Aucun historien ne peut en confirmer l'authenticité !
— Pas plus que celle des textes de la Bible, grinça Teabing.
— Ce qui signifie ?
— Que l'Histoire est toujours écrite par les gagnants.
Lorsque deux cultures s'affrontent, c'est toujours celle des perdants qui disparaît. Et les vainqueurs rédigent les livres d'histoire - à la gloire de leur propre cause, en dénigrant celle des vaincus. Comme l'a dit Napoléon : « Qu'est-ce que l'Histoire, sinon une fable sur laquelle tout le monde est d'accord ? » C'est la nature même de l'Histoire que d'être un compte rendu partial des choses.
Sophie n'avait jamais envisagé les choses sous cet angle.
— Les textes du Saint-Graal, enchaîna Teabing, ne font que raconter l'autre aspect de l'histoire de Jésus. Et finalement, que l'on choisisse de croire à l'un ou à l'autre relève de la foi, ou de recherches personnelles. L'essentiel est que les informations contradictoires aient pu survivre. Les documents du Graal comportent des dizaines de milliers de pages de renseignements. Des témoins racontent qu'ils étaient transportés dans quatre énormes malles. Parmi eux se trouvent les « documents puristes » - des dizaines de milliers de pages de textes non retouchés datant d'avant Constantin, écrits par les premiers fidèles de Jésus, qui vénèrent en lui un maître et un
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prophète totalement humain. On pense que le Graal conserve également la légendaire Source Q - un manuscrit dont le Vatican lui-même reconnaît l'existence. Il s'agirait d'un document rassemblant les enseignements de Jésus, qui pourraient être écrits de sa propre main.
— Que le Christ lui-même... ?
— Pourquoi Jésus n'aurait-il pas rédigé la chronique de son ministère ? C'était une pratique courante à son époque. Un autre texte explosif serait Les Carnets de Marie Madeleine, où elle évoquerait sa relation avec le Christ, la crucifixion et son propre séjour en France.
Après un long silence, Sophie demanda :
— Et ce sont ces quatre caisses de manuscrits que les Templiers auraient découvertes sous le temple de Salomon ?
— Exactement. C'est ce qui les a rendus si puissants. Ils ont fait l'objet d'innombrables quêtes du Graal tout au long de l'histoire.
— Mais vous disiez que le Graal, c'est Marie Madeleine en personne. Pourquoi donc appeler quête du Graal la recherche de documents ?
Teabing fixa Sophie dans les yeux et parla d'une voix douce :
— Parce que le trésor du Graal renferme aussi un sarcophage. Littéralement, la fameuse quête du Graal n'est rien d'autre que le désir de s'agenouiller devant les reliques de Marie Madeleine. Le voyage qui conduit à se recueillir devant celle qui a été rejetée, devant le Féminin sacré.