Il connaissait la réponse. Fache n'était pas seulement réputé pour son flair, il l'était aussi pour sa vanité. Il veut se garder le bénéfice de l'arrestation. Après avoir fait diffuser la photo de Langdon sur toutes les télévisions, il voulait être sûr d'y apparaître aussi. Quant à Collet, il était tout juste bon à faire le siège en attendant que Fache vienne cueillir la victoire.
Une autre explication lui traversa l'esprit. Ou alors, il cherche à limiter les dégâts. C'est ce qu'on fait quand on n'est pas certain de la culpabilité d'un suspect. Peut-être se demande-t-il si Langdon est bien son homme. L'hypothèse était inquiétante. Fache avait sorti le grand jeu pour arrêter l'Américain - la surveillance cachée, Interpol, les télévisions. Il aurait du mal à survivre aux retombées politiques et diplomatiques d'une erreur pareille. S'il pensait finalement que Langdon n'était pas le meurtrier de Saunière, mieux valait en effet éviter à ce brave Britannique la vision de son château assiégé par une dizaine de flics armés et l'arrestation de son hôte américain.
Qui plus est, l'hypothèse d'un Langdon innocent avait l'avantage d'expliquer l'un des plus étranges paradoxes de cette affaire : pourquoi Sophie Neveu, la propre petite-fille de la victime, avait-elle aidé un suspect à s'évader du Louvre ? Il fallait qu'elle soit certaine que les charges retenues contre lui étaient fausses. Le commissaire Fache hésitait entre plusieurs interprétations du comportement étrange de la jeune inspectrice, sans exclure l'hypothèse d'un meurtre crapuleux : l'unique héritière de Saunière aurait persuadé son amant, Robert Langdon, d'assassiner son grand-père pour hériter plus vite. D'où le sens du « P.S. Trouver Robert Langdon » écrit par la victime avant de mourir. Mais Collet était pratiquement certain que l'explication était ailleurs. Sophie Neveu avait une personnalité beaucoup trop saine et solide pour se compromettre dans un crime aussi sordide. Un de ses agents arrivait en courant à sa rencontre.
— Inspecteur ! On a trouvé une voiture ! Collet l'accompagna cinquante mètres plus bas et l'agent lui désigna
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un épaulement herbeux de l'autre côté de la route. Une Audi noire y était garée, presque complètement dissimulée sous les taillis. Les plaques minéralogiques semblaient indiquer une voiture de location. Collet tâta le capot. Encore chaud. Presque brûlant, même.
— C'est peut-être là-dedans que Langdon est arrivé.
Appelez le loueur, et vérifiez que ce n'est pas une voiture volée.
— OK, inspecteur.
Un autre agent rappelait Collet devant la grille.
— Regardez là-bas, inspecteur, dit-il en lui tendant une paire de jumelles à vision nocturne. Sous les arbres, au bout de l'allée principale...
Collet orienta les jumelles dans la direction indiquée et tourna la molette de mise au point. Ayant repéré la courbe finale de l'allée, il la suivit jusqu'à un bosquet de persistants. Il resta bouche bée. Enseveli sous la verdure, il y avait un fourgon, identique à celui qu'il avait laissé sortir de la Zurichoise de Dépôt. Tout en priant pour qu'il s'agisse d'une coïncidence, il savait qu'il n'en était rien.
— C'est évidemment dans cette camionnette qu'ils ont réussi à quitter la banque tout à l'heure, fit l'agent.
Collet revit le chauffeur qu'il avait interrogé. Sa Rolex. Son impatience à sortir de la banque. « Je ne vérifie jamais mon chargement. »
Il n'en croyait pas ses yeux. Quelqu'un dans cette banque avait menti à la PJ et aidé Langdon et Sophie à s'enfuir. Mais qui ? Et pourquoi ? Collet se demanda si c'était la raison pour laquelle Fache lui avait interdit d'agir. Peut-être le commissaire s'était-il rendu compte que Langdon et Sophie Neveu n'étaient pas les seuls impliqués dans l'affaire. Et s'ils sont arrivés dans ce fourgon, qui donc était au volant de l'Audi ?
À plusieurs centaines de kilomètres au sud, un Beechcraft Baron 58 survolait la mer Tyrrhénienne. Malgré un ciel très calme, Mgr Aringarosa agrippait un sachet de papier, persuadé qu'il allait vomir d'un moment à l'autre. La conversation qu'il venait d'avoir au téléphone n'avait rien à voir avec ce qu'il avait imaginé.
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Seul dans la petite cabine, il tournait sa bague d'améthyste autour de son doigt, en tentant de surmonter la peur et le désespoir qui l'envahissaient. L'opération prévue à Paris a pris une tournure tragique. Fermant les yeux, il pria pour que Bézu Fache parvienne à retourner la situation.
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Assis sur le canapé du salon, plongé dans l'admiration de la rose incrustée sur le couvercle, Teabing tenait délicatement sur ses genoux le coffret en marqueterie. Cette nuit est la plus étrange, la plus magique de ma vie.
— Soulevez le couvercle, murmura Sophie. Langdon et elle se penchèrent au-dessus de lui.
Teabing sourit. Pas de précipitation. Après plus de dix années de recherches, il tenait à savourer chaque millième de seconde de ce moment. Il caressa de la main le couvercle, pour sentir le léger relief de la rose incrustée.
— La Rose ! soupira-t-il.
La Rose, c'est Marie Madeleine, c'est le Saint-Graal. La rose des vents qui indique la voie. Il se sentait ridiculisé.
Pendant des années, il avait visité toutes les cathédrales, toutes les églises de France. Il avait payé pour pouvoir y entrer seul. Il avait inspecté des milliers de croisées d'ogives, de rosaces, à la recherche d'une clé de voûte portant un message crypté. La clé de voûte, pierre gravée, cachée sous le signe de la Rose.
Avec une douceur infinie, il ouvrit le loquet, souleva le couvercle.
Découvrant enfin son contenu, il sut tout de suite que cela ne pouvait être que la clé de voûte. Il avait sous les yeux un cylindre de pierre ouvragé, composé de cadrans contigus sur lesquels étaient gravées des lettres. Un mécanisme qui lui paraissait étonnamment familier.
— Il a été fabriqué d'après un croquis de Leonardo Da Vinci, souffla Sophie. C'était un des passe-temps favoris de mon grand-père.
Bien sûr, se dit Teabing. II avait vu les croquis et les schémas. La clé du Graal est cachée dans ce cylindre en pierre.
Il souleva le cryptex et le tint entre ses mains. Bien que n'ayant aucune idée de la façon dont il pourrait l'ouvrir, il sentait que son destin tout entier se trouvait à l'intérieur. Il s'était tant de fois demandé s'il trouverait un jour la récompense à la quête de toute une vie. Ces inquiétudes étaient désormais évanouies. Il
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crut réentendre les formules anciennes, qui avaient fondé la légende du Graal.
« Vous ne trouvez pas le Saint-Graal, c'est le Saint-Graal qui vous trouve. »
C'était incroyable. Cette nuit, le Graal était venu le chercher, chez lui.
Laissant Sophie et Teabing parler du cryptex, du flacon de vinaigre et de leurs hypothèses sur le mot de passe, Langdon alla poser la boîte sur une table bien éclairée. Il venait d'avoir une idée, que les propos de Teabing lui avaient suggérée.
La clé du Graal est cachée sous le signe de la Rose.
Il souleva le coffret sous la lampe, pour examiner de plus près la rose de bois clair. Sans être un spécialiste en marqueterie, il s'était soudain rappelé ce monastère près de Madrid, dont les tuiles du plafond, plusieurs siècles après sa construction, avaient commencé à se détacher, mettant au jour des textes sacrés que les moines avaient gravés à même l'enduit.