— Comme je suis heureux, mon cher Robert, de votre visite impromptue cette nuit !
— Je suis navré de vous avoir entraîné dans cette histoire, Leigh.
— Je vous en prie ! J'ai attendu toute ma vie une aventure de ce genre !
Apercevant par le pare-brise l'ombre d'une longue haie, il posa une main sur l'épaule de Rémy.
— N'oubliez pas, Rémy, aucun coup de frein. En cas d'urgence, servez-vous du frein à main. Je voudrais attendre que nous soyons rentrés dans les bois. Ne risquons pas d'être aperçus depuis la maison.
– 313 –
Le chauffeur rétrograda avant de passer dans une brèche de la haie. La voiture s'engagea sur un chemin et la lune disparut derrière les branches des arbres.
Je n 'y vois absolument rien, se dit Langdon en essayant de distinguer un quelconque repère devant eux. L'obscurité était complète. Les branches basses raclaient la gauche du Range Rover, que Rémy redressa vers la droite. Sans toucher pratiquement au volant, il progressa d'une trentaine de mètres.
— Rémy, vous êtes parfait ! Je pense que nous sommes assez loin maintenant. Robert, pourriez-vous appuyer sur le petit bouton bleu, juste au-dessous du ventilateur ? Vous le voyez ?
Langdon s'exécuta.
Une faible lueur jaune balaya le chemin devant eux, faisant surgir d'épais taillis de chaque côté. Les feux de brouillard, comprit Langdon. Ils donnaient juste assez de lumière pour les guider, sans pour autant risquer de les signaler.
— Et voilà, Rémy ! s'exclama Teabing. Vous y voyez clair !
Nos vies sont entre vos mains.
— Où allons-nous ? demanda Sophie.
— Ce chemin traverse la forêt sur environ trois kilomètres.
Ensuite, nous sortons de la propriété et nous bifurquons vers le nord. Si nous ne rencontrons pas une vieille souche ou une mare, nous devrions nous retrouver indemnes sur l'autoroute A13. Indemnes. La tête de Langdon lui martelait le contraire. Il baissa les yeux vers le coffret, où le cryptex avait été remis à l'abri. La rose de marqueterie avait été relogée dans son habitacle et, malgré la migraine qui lui perforait les tempes, il brûlait d'envie de la déboîter à nouveau, pour pouvoir étudier la curieuse inscription qu'il n'avait qu'entrevue avant d'être assommé par le moine albinos. Il ouvrit la serrure, souleva doucement le couvercle. Teabing lui tapota l'épaule.
— Patience, Robert. La route est pleine de bosses et il fait nuit notre. Par pitié, ne cassons rien ! Si vous n'avez pas pu reconnaître en pleine lumière de quelle langue il s'agissait, ce n'est pas maintenant que vous y arriverez. Nous n'en avons plus pour longtemps.
– 314 –
Il avait raison. Langdon hocha la tête et referma le coffret.
À l'arrière, le moine gémissait et se débattait dans ses bandages de Chatterton. Il se mit à donner de violents coups de pied contre le dossier de la banquette arrière. Teabing se retourna vers lui en le menaçant du pistolet.
— Je ne vois vraiment pas de quoi vous pouvez vous plaindre ! Vous vous êtes introduit chez moi par effraction, et avez blessé d'un fort vilain coup le crâne d'un ami très cher. Je serais en droit de vous abattre sur-le-champ et de laisser votre cadavre pourrir dans les sous-bois...
Le moine se tut.
— Vous êtes sûr que c'était une bonne idée de remmener avec nous ? demanda Langdon.
— Plus que sûr ! s'exclama Teabing. Vous êtes recherché pour meurtre, mon cher Robert. Cette fripouille est votre passeport pour la liberté. Je parie qu'il détient la preuve de votre innocence. La police m'a l'air bien acharnée contre vous, pour vous avoir filé jusque chez moi.
— C'est ma faute, dit Sophie. J'aurais dû me douter qu'il y avait un mouchard dans le fourgon de la banque.
— Peu importe, répliqua Teabing. Ce qui m'étonne, ce n'est pas que la police vous ait retrouvés, c'est que cet hurluberlu de l’Opus Dei ait réussi à vous dénicher. Si j'en crois ce que vous m'avez dit, je ne vois pas comment il a pu retrouver votre trace sans un contact avec la PJ ou avec cette banque zurichoise.
Langdon réfléchit à la question. Fache cherchait visiblement un bouc émissaire pour les crimes de la journée. Et Vernet les avait subitement lâchés, Sophie et lui. Il est vrai que ce revirement était compréhensible, s'il avait appris les meurtres dont on accusait Langdon.
— Ce moine ne travaille pas seul, reprit Teabing. Et tant que nous ne connaissons pas son commanditaire, vous et Sophie êtes en danger. Mais la bonne nouvelle, c'est que vous êtes maintenant en position de force. Ce pauvre bougre derrière moi détient l'information, et celui qui tire les ficelles doit commencer à s'énerver.
– 315 –
Maintenant que la voie était éclairée, Rémy prenait de la vitesse. Ils traversèrent une flaque d'eau, grimpèrent une petite côte et redescendirent.
— Robert, seriez-vous assez aimable pour me passer le téléphone qui se trouve sur le tableau de bord ? demanda Teabing.
Langdon lui remit l'appareil et il composa un numéro. Il attendit un bon moment avant que l'on décroche.
— Richard ? Je vous réveille ? Évidemment, suis-je bête !
Pardonnez-moi, mais j'ai un petit problème. Je ne me sens pas très bien. Il faut que j'aille quelque temps là-bas avec Rémy, pour me faire soigner... Oui, cette nuit même. Je suis navré de vous prendre de court. Auriez-vous la bonté de me préparer Elizabeth d'ici, disons, une demi-heure ?... Je comprends...
Faites pour le mieux. Merci, Richard, à tout à l'heure.
— Elizabeth ? s'étonna Langdon.
— C'est mon avion. Il m'a coûté les yeux de la tête.
Et comme Langdon se retournait brusquement :
— Qu'y a-t-il, Robert ? Vous ne comptez tout de même pas rester en France avec toute la PJ aux trousses ? Londres sera beaucoup plus sûr.
— Vous voulez nous faire quitter le pays ? demanda Sophie.
— Mes chers amis, l'influence dont je dispose à Londres dépasse de très loin celle que je peux exercer ici. Et, qui plus est, le Saint-Graal est censé se trouver en Grande-Bretagne. Si nous ouvrons la clé de voûte, la carte que nous y trouverons vous prouvera certainement que nous sommes partis dans la bonne direction.
— Vous courez un gros risque en nous emmenant avec vous, objecta Sophie. Vous n'allez certainement pas vous faire d'amis dans la police française.
Teabing fit une grimace condescendante.
— J'en ai fini avec la France. Je ne m'y suis installé que dans le but de découvrir la clé de voûte. C'est chose faite. Je me moque bien de ne plus jamais revoir le château de Villette.
— Mais comment passerons-nous la sécurité à l'aéroport ?
s'enquit Sophie.
– 316 –
— Nous décollons du Bourget. Comme je n'ai pas très confiance dans les médecins français, je pars tous les quinze jours me faire soigner de l'autre côté de la Manche. Je paie pour obtenir certaines... dérogations au départ et à l'arrivée. Une fois que nous serons dans les airs, Robert, vous me direz si vous souhaitez qu'un membre de votre ambassade vienne vous chercher à l'aéroport.
Mais Langdon n'avait plus du tout envie que son ambassade s'occupe de lui. Il ne pensait qu'à la clé de voûte, sa seule préoccupation étant de savoir si cette inscription énigmatique leur permettrait de localiser le Graal. Il se demanda si Teabing ne se trompait pas en pariant sur la Grande-Bretagne. Il est vrai que de nombreuses légendes situaient le Graal outre-Manche.
Même l'île mythique d'Avalon, celle du roi Arthur, était censée n'être autre que Glastonbury, en Angleterre. Mais, quel que soit l'endroit où reposait le Graal, Langdon n'avait jamais imaginé qu'il se lancerait un jour à sa poursuite. Les documents du Sangréal. La véritable histoire de Jésus. Le tombeau de Marie Madeleine. Il avait l'impression ce soir de flotter dans des limbes ou dans une sorte de bulle où le monde réel ne pouvait l'atteindre.