— Ne vous en faites pas. Il faut que je vous laisse. Mais votre démarche explique pas mal de choses. Merci.
— Robert?
Langdon avait coupé. Faukman raccrocha son téléphone en hochant la tête. Ces auteurs... Même les plus sensés sont à moitié cinglés.
L'éclat de rire de Teabing résonna dans le Range Rover.
— Si j'ai bien compris, mon cher Robert, vous écrivez un livre qui traite d'une société secrète et votre éditeur s'empresse de leur envoyer le manuscrit ?
— Apparemment, fit Langdon, accablé.
— La coïncidence est cruelle, en effet.
Il ne s'agit pas d'une coïncidence, se dit Langdon. Solliciter la caution de Jacques Saunière pour un livre sur le culte de la déesse revenait à demander celle de Tiger Woods pour un
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ouvrage sur le golf. Et aucun essai sur la déesse ne pouvait omettre le Prieuré de Sion.
— Et maintenant, plaisanta Teabing, la question à un million de dollars : quelle était votre position envers le Prieuré ?
Favorable ou défavorable ?
Le sous-entendu de Teabing était limpide. Nombre d'historiens contestaient le fait que le Prieuré fût encore en possession des documents du Graal. Beaucoup pensaient que l'information aurait été divulguée depuis longtemps.
— Je ne me prononce pas sur l’action du Prieuré.
— Vous voulez dire sur leur inertie...
Langdon haussa les épaules. Teabing était évidemment favorable à la publication des documents du Graal.
— Je me suis contenté de fournir des renseignements sur l'histoire de leur Fraternité, précisat-il. En les décrivant comme une secte moderne du culte de la déesse, dont les membres sont les gardiens du Graal et de certains documents secrets.
— Avez-vous parlé de la clé de voûte ? demanda Sophie.
Langdon fit la grimace. Il l'avait fait, à plusieurs reprises.
— J'ai évoqué son existence supposée, comme un exemple des mesures prises par le Prieuré pour protéger les documents du Sangréal.
— En tout cas, cela expliquerait le « P.S. Trouver Robert Langdon », fit-elle.
Mais Langdon pressentait qu'il y avait autre chose dans son manuscrit, une autre référence, qui avait dû susciter l'intérêt de Saunière. Il en parlerait à Sophie lorsqu'ils seraient seuls.
— Donc, insista Sophie, vous avez menti au commissaire Fache.
— Comment ?
— Vous lui avez dit que vous n'aviez jamais correspondu avec mon grand-père...
— Mais c'était vrai ! C'est mon éditeur qui lui a envoyé le manuscrit !
— Réfléchissez, Robert, répliqua Sophie. Si Fache a trouvé dans son bureau une épreuve de votre livre, mais pas l'enveloppe d'expédition, il a dû conclure que c'est vous qui
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l'aviez envoyé. Ou pis, que vous le lui aviez remis en mains propres.
Arrivé à l'aéroport du Bourget, Rémy conduisit le Range Rover vers un petit hangar situé en bout de piste. Un homme en salopette kaki, ébloui par les phares, vint à leur rencontre. Il ouvrit la grosse porte coulissante en tôle ondulée sur un petit jet au fuselage d'un blanc étincelant.
— Elizabeth ? demanda Langdon en admirant le fuselage étincelant.
— Elle est bien plus rapide que ce fichu tunnel ! dit fièrement Teabing
Le mécanicien s'approcha de la voiture.
— Il est presque prêt, répondit-il avec un accent britannique. Désolé pour le retard, mais vous m'avez pris au pied levé et...
Il s'interrompit en voyant deux autres personnes sortir du Range Rover.
— Mes associés, déclara Teabing. Nous avons une affaire urgente qui nous attend à Londres, et pas de temps à perdre.
Préparez-vous à décoller immédiatement, dit Teabing en tendant ostensiblement à Langdon son pistolet.
Le pilote ouvrit des yeux ronds et lui chuchota à l'oreille :
— Je suis désolé, monsieur, mais ma licence ne m'autorise qu'à transporter deux personnes. Je ne peux pas transporter vos invités.
— Mon cher Richard, dit Teabing avec un grand sourire, un pourboire de deux mille livres et ce pistolet chargé vous convaincront, je pense, de les laisser monter à bord, ainsi d'ailleurs que ce pauvre garçon que vous voyez dans le coffre.
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Les deux moteurs Garrett TFE-731 lancés à plein régime arrachèrent du sol le Hawker 731, et la piste éclairée disparut en quelques secondes.
Je fuis mon pays, pensait Sophie, plaquée contre le dossier de son siège en cuir. Jusqu'à présent, la partie de cache-cache avec le commissaire Fache pouvait encore passer pour justifiable aux yeux de son administration. Je cherchais à protéger un innocent, tout en accomplissant les derniers vœux de mon grand-père mourant. Mais plus maintenant. Elle quittait la France sans papiers, en compagnie d'un homme recherché par la police et d'un otage ligoté. Elle venait de franchir la ligne de démarcation qui la mettait hors la loi. Et presque à la vitesse du son.
Elle était assise, comme Langdon et Teabing, à l'avant de la cabine - Jet design pour voyages d'affaires, ainsi que l'annonçait un médaillon rivé sur la porte. Leurs fauteuils moelleux, montés sur des rails rivés au plancher, pouvaient pivoter et se positionner autour d'une table en bois rectangulaire. Une salle de conférences miniature. La dignité du décor ne parvenait cependant pas à faire oublier l’arrière de l'appareil, nettement moins douillet, où Rémy était assis près de la porte des toilettes, chargé à contrecœur par Teabing de monter la garde, pistolet au poing, au-dessus du moine sanguinolent roulé en boule à ses pieds comme un sac de voyage.
— Avant que nous nous penchions ensemble sur la clé de voûte, attaqua Teabing avec la timidité solennelle d'un père se préparant à expliquer les mystères de la vie à ses enfants, je suis bien conscient de n'être que votre invité dans cette aventure, et vous m'en voyez très honoré. Toutefois, ayant consacré une grande partie de ma vie à la quête du Graal, je pense qu'il est de mon devoir de vous avertir que vous allez vous engager sur un chemin sans retour et probablement semé de dangers.
Il se tourna vers Sophie.
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— Mademoiselle Neveu, votre grand-père vous a confié ce cryptex dans l'espoir que vous perpétuiez en son nom le secret du Saint-Graal.
— Oui.
— Vous devez vous préparer à suivre sa piste, où qu'elle vous conduise...
Sophie hocha la tête, tout en pensant à l'autre motivation qui la brûlait. La vérité sur ma famille. Langdon avait beau lui avoir affirmé que la clé de voûte n'avait rien à voir avec ses parents, elle sentait qu'elle était sur le point de dénouer un mystère qui la touchait personnellement. Comme si le cryptex, façonné par les mains de son grand-père, cherchait à lui parler pour combler le vide qui la hantait depuis tant d'années.
— Jacques Saunière s'est sacrifié ce soir, continua Teabing, après ses trois sénéchaux, pour éviter que la clé de voûte ne tombe entre les mains de l'Église. L’Opus Dei a été tout à l'heure à deux doigts de faire main basse sur ce trésor. Je pense que vous avez conscience de la responsabilité exceptionnelle qui vous incombe. Votre grand-père vous a confié un flambeau. Une flamme vieille de deux mille ans qu'on ne doit pas laisser s'éteindre. Elle ne doit pas tomber dans de mauvaises mains.
Marquant une courte pause, il abaissa les yeux vers le coffret en bois de rose.
— Je sais, reprit-il, qu'on ne vous a pas laissé le choix d'endosser un tel fardeau. Mais étant donné l'importance des enjeux, vous vous devez de l'assumer, ou de le confier à quelqu'un d'autre...