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La tension de Sophie sembla se relâcher. Elle avait gardé son sang-froid toute la soirée mais, pour la première fois, Langdon sentit que la carapace commençait à craquer. Des larmes apparurent dans ses yeux, qu'elle essuya du revers de sa manche.

Il se tut pour lui laisser le temps de se remettre. Au premier abord, le concept de l'acte sexuel comme accès à Dieu était certes ahurissant. Les étudiants juifs de Harvard étaient

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toujours stupéfaits lorsqu'il leur apprenait que les anciennes traditions judaïques comprenaient des rites sexuels. Et pas n'importe où : dans le Temple lui-même. Les Hébreux d'autrefois croyaient que le saint des saints, dans le Temple de Salomon, abritait non seulement Dieu mais son puissant double féminin, Shekinah. Les fidèles qui recherchaient l'accomplissement spirituel se rendaient au Temple, où ils s'accouplaient avec les prêtresses - ou hiérodules - pour expérimenter le divin à travers l'union charnelle. Le tétragramme hébraïque YHWH - le nom sacré de Dieu - est en fait dérivé de Jéhovah qui traduit l'union physique du masculin Jah et du nom préhébraïque d'Eve, à savoir Hava.

— L'usage que l'homme faisait de la sexualité pour communier directement avec Dieu représentait une sérieuse menace pour la jeune Église chrétienne, qui se posait en intermédiaire unique de la relation à Dieu. Elle a donc tout fait pour diaboliser l'acte sexuel et le stigmatiser comme dégoûtant et ignominieux. Et d'autres grandes religions en ont fait autant.

Sophie gardait le silence, mais Langdon sentit qu'elle commençait à mieux comprendre son grand-père.

Curieusement, quelques semaines plus tôt, il avait tenu des propos similaires à ses étudiants :

— Est-il surprenant que nous entretenions une relation conflictuelle avec la sexualité ? leur avait-il demandé. Notre héritage le plus ancien et notre physiologie la plus intime nous enseignent que le sexe est naturel, qu'il représente une voie privilégiée d'accomplissement spirituel ; pourtant, les religions modernes le dépeignent comme honteux, l'assimilant presque à une possession satanique.

Pour ne pas les choquer, Langdon avait renoncé à leur expliquer qu'une bonne dizaine de sociétés secrètes dans le monde - et pas des moins influentes - perpétuaient encore la tradition des rites sexuels païens. Dans Eyes Wide Shut, le film de Stanley Kubrick, le personnage interprété par Tom Cruise s'introduisait subrepticement dans une soirée de la haute société de Manhattan et assistait à un Hieros Gamos. Malgré d'inévitables ajouts hollywoodiens assez fantaisistes, le film

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était fidèle à l'essentiel : cette société secrète célébrait un mariage sacré.

— Professeur Langdon ? avait lancé un jeune étudiant du fond de la classe. Si j'ai bien compris, on ferait mieux de faire plus souvent l'amour que d'aller à l'église...

Langdon avait ri, décidé à ne pas se laisser piéger. D'après ce qu'il savait des soirées de Harvard, ces gosses n'étaient pas privés de sexe. Il savait qu'il avançait en terrain miné.

— Puis-je me permettre une suggestion, messieurs? Sans avoir l'audace de condamner les relations sexuelles avant le mariage, ni la naïveté de vous croire aussi chastes que des anges, j'ai envie de vous donner un petit conseil pour votre vie sexuelle.

Tous les garçons tendirent l'oreille.

— La prochaine fois que vous vous trouverez seuls avec une femme, demandez-vous si vous êtes capables d'envisager votre relation sexuelle sous l'angle spirituel, sinon mystique. Lancez-vous le défi de trouver cette étincelle de divinité qui n'est donnée à l'homme que par son union avec le Féminin sacré.

Les étudiantes arboraient un sourire entendu. Les étudiants échangèrent ricanements équivoques et plaisanteries scabreuses. Langdon poussa un soupir. Ils n'étaient encore que des gamins.

Sophie appuya son front contre le hublot froid. Les yeux dans le vide, elle essayait d'assimiler ce que Langdon venait de lui expliquer. Elle était envahie par un lourd regret. Dix ans.

Elle revoyait les paquets de lettres de son grand-père. Je vais tout raconter à Robert. Sans se retourner, elle se mit à parler. À

voix basse et craintive.

Elle se laissa happer par le souvenir de cette nuit... son arrivée dans les bois qui entouraient le château de son grand-père... son désarroi devant la maison vide... les voix qui montaient du sous-sol... la découverte de la porte cachée... la descente de l'escalier, jusqu'à la caverne... l’ôdeur fraîche et légère de la terre humide. C'était au mois de mars. Cachée dans l'ombre au pied des marches, elle regardait les étrangers se balancer en psalmodiant à la lueur orange des bougies.

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Je rêve, se disait-elle. Cela ne peut être qu'un rêve.

Les hommes et les femmes étaient intercalés : blanc, noir, blanc, noir. Les belles robes de tulle des femmes ondulaient chaque fois qu'elles brandissaient leur globe doré au-dessus de leur tête, en chantant à l'unisson :

« J'étais avec toi dès le commencement. À l'aube de tout ce qui est sacré. Avant le lever du jour, je t'ai tiré de mon sein. »

Puis elles baissèrent les bras et tous, hommes et femmes, se mirent à osciller d'avant en arrière, comme en transe. Ils semblaient vénérer quelque chose qui se trouvait au centre du cercle qu'ils formaient.

Que regardent-ils ?

L'incantation se précipita, se fit plus sonore.

Les femmes chantaient, levant leur globe :

« Contemple la femme. Elle est Amour. »

Les hommes répondaient :

« Elle a sa demeure dans l’éternité. »

Les voix s'unirent. Le chant se fit plus rapide. Tonitruant.

Effréné. Tous les participants avancèrent d'un pas et s'agenouillèrent.

Sophie découvrit enfin ce qu'ils regardaient tous.

Au centre du cercle, sur une sorte d'autel surbaissé, un homme était étendu sur le dos. Nu. Un masque noir sur le visage. Sophie reconnut immédiatement la tache de naissance qu'il avait sur l'épaule. Elle réprima un cri. Grand-père ! Ce seul spectacle aurait suffi à la choquer, mais ce n'était pas tout.

Au-dessus de lui, une femme était assise, à califourchon.

Nue comme lui, elle portait un masque blanc. Son épaisse chevelure grise flottait sur son dos. Son corps était grassouillet, loin de la perfection. Elle se balançait, au rythme de la mélopée, tandis que Jacques Saunière lui faisait l'amour.

Sophie voulait s'enfuir mais restait clouée sur place, comme emprisonnée par les parois de pierre de la crypte. Les voix montèrent en un crescendo enfiévré, comme en un cantique puissant, presque forcené. Soudain, hommes et femmes poussèrent ensemble un rugissement qui lui glaça le sang.

Sophie étouffait. Elle se rendit compte qu'elle sanglotait sans bruit.

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Pivotant sur elle-même, elle remonta en titubant l'escalier dérobé, sortit de la maison et reprit la route vers Paris, le corps agité de tremblements convulsifs.

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Le jet survolait Monaco illuminé lorsque Mgr Aringarosa éteignit son téléphone après sa communication avec le commissaire Fache. Il tendit la main vers le sac en papier mais il n'avait même plus la force d'avoir le mal de l'air.

Qu'on en finisse !

Ce que le commissaire Fache venait de lui apprendre était inimaginable. Plus rien n'avait de sens. Que se passe-t-il ? Tout semblait s'être emballé, dans une spirale infernale. Où ai-je entraîné Silos ? Et moi-même ?