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À huit cents kilomètres de là, debout devant sa cuvette remplie d'eau froide, Silas lavait tant bien que mal le sang qui commençait à sécher sur son dos. Les taches rouges formaient des figures étranges avant de se dissoudre.

Purge-moi par l'hysope et je serai purifié, lave-moi et je serai plus blanc que neige, priait-il, citant les Psaumes.

Jamais, depuis le début de sa nouvelle vie, Silas n'avait ressenti une telle jouissance anticipée.

Il se sentait comme électrisé. Cela faisait maintenant dix ans qu'il obéissait aux préceptes de La Voie pour laver ses péchés, reconstruire sa vie, effacer la violence de son passé. Et voici que sa haine, qu'il avait tant travaillé à combattre, avait refait surface aujourd'hui. Avec une impressionnante rapidité. Il était bien sûr un peu rouillé mais son potentiel restait intact.

La parole de Jésus est un message de paix, de non-violence, d'amour. Telle était la conviction qu'on avait enseignée à Silas depuis le début, et la parole s'était gravée au fond de son cœur.

Or, c'était ce message même que les ennemis du Christ menaçaient aujourd'hui de détruire. Ceux qui affrontent Dieu seront vaincus par la force. Une force inébranlable et résolue.

Depuis deux millénaires, les soldats du Christ défendaient leur foi contre ceux qui cherchaient à l'anéantir. Et ce soir, c'est lui, Silas, qui était appelé au combat décisif.

Il tamponna ses blessures avec une serviette et revêtit sa longue robe à capuche, dont la laine brune accentuait la blancheur de ses cheveux et de sa peau. Il noua la cordelière autour de sa taille, rabattit le capuchon sur son front, et se laissa aller à admirer, dans le petit miroir, le feu luisant de ses yeux rouges.

La roue du destin est en marche.

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6

Une fois la grille franchie, Langdon se trouvait à l'entrée de l'interminable tunnel de la Grande Galerie, dont la voûte en berceau vitrée disparaissait dans l'obscurité. Au pied des deux hauts murs, des rampes à infrarouge projetaient depuis les plinthes de marbre une lueur rose tamisée sur la stupéfiante collection de tableaux du Caravage, du Titien, de Leonardo Da Vinci et des autres grands maîtres de la peinture italienne. Les lourds cadres dorés étaient accrochés à des cimaises de dix mètres de haut. Madones à l'enfant, crucifixions et autres scènes religieuses côtoyaient les portraits d'hommes politiques et de grands personnages.

Le regard de Langdon fut vite attiré, à quelques mètres sur sa gauche, par un tableau posé en travers sur le plancher, et entouré d'un cordon de sécurité suspendu à des piquets mobiles.

— Excusez-moi, commissaire, est-ce un Caravage, là-bas, sur le plancher ?

D'après une rapide estimation de Langdon, le tableau en question devait bien valoir deux millions de dollars et il gisait sur le sol comme une vieille croûte qu'on s'apprête à jeter.

— Nous sommes sur la scène du crime, monsieur Langdon.

Nous n'avons touché à rien. C'est M. Saunière lui-même qui l'a décroché.

Et comme Langdon se retournait vers la grille pour essayer de comprendre, le policier enchaîna :

— Il a été attaqué dans son bureau, s'est enfui dans la Grande Galerie et a décroché une toile pour déclencher l'alarme et la fermeture de la herse, laquelle bloquait l'unique issue.

— Pour enfermer son agresseur ?

Fache secoua la tête.

— Non, pour s'en isoler. L'assassin est resté bloqué dans le vestibule d'accès et il a tiré sur Saunière à travers la grille. Vous voyez cette étiquette orange accrochée à l'un des barreaux ?

Nous y avons trouvé des résidus de retour de flamme. Saunière est mort seul, enfermé dans la galerie.

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Langdon se rappela la photo du cadavre de Saunière.

Ils prétendent qu'il est l'auteur de cette mise en scène. Il scruta les profondeurs de la Grande Galerie.

— Mais où est le corps ?

Le commissaire rajusta son épingle de cravate cruciforme et reprit sa marche.

— Comme vous le savez sans doute, la Grande Galerie est extrêmement longue.

Si les souvenirs de Langdon étaient bons, elle mesurait en effet cinq cents mètres. La largeur était tout aussi impressionnante. On aurait facilement pu y loger deux trains de voyageurs côte à côte. L'espace central était parsemé de socles surmontés de statues ou d'urnes colossales, qui encourageaient le flot des touristes à respecter un sens unique pour la visite.

Fache avançait d'un pas rapide, sans dire un mot, le regard perdu dans les profondeurs de la galerie. Langdon se sentait presque irrespectueux de passer si rapidement devant tant de chefs-d'œuvre sans s'arrêter, même pour un bref instant.

La pénombre rougeoyante rappelait à Langdon celle des archives secrètes du Vatican et il ressentit, à cette nouvelle évocation de son aventure à Rome l'année précédente, un léger malaise mêlé au souvenir nostalgique de Vittoria. Elle était absente de ses rêves depuis des mois mais il n'arrivait pas à croire qu'il ne s'était passé qu'un an depuis leur séjour romain ; il lui semblait que des décennies s'étaient écoulées. Une autre vie. Son dernier échange avec Vittoria remontait à décembre, lorsqu'il avait reçu d'elle une carte postale lui annonçant son départ pour Java où elle devait entreprendre d'étranges recherches. Il était notamment question de repérer les trajectoires de migrations des raies mantas à l'aide de satellites d'observation. Sans jamais avoir cédé à l'illusion qu'une femme comme elle puisse trouver son bonheur à partager sa vie sur un campus américain, son âme de célibataire endurci avait cependant quelque peu défailli devant Vittoria, et depuis son existence lui paraissait insipide.

Langdon pressait le pas derrière le commissaire, mais il ne voyait toujours pas de cadavre.

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— Comment se fait-il que Jacques Saunière soit allé si loin ?

— Il n'est mort qu'au bout d'une vingtaine de minutes, d'une balle tirée dans l'estomac. C'était visiblement un homme en excellente forme physique, malgré ses soixante-seize ans.

— Et les services de sécurité du Musée ont mis quinze minutes pour arriver jusqu'à lui ?

— Bien sûr que non. Ils se sont retrouvés bloqués derrière la herse, et ont entendu quelqu'un qui se déplaçait au centre de la galerie, sans voir qui c'était. Ils l'ont appelé, mais n'ont pas obtenu de réponse. Pensant qu'il s'agissait d'un voleur de tableaux, ils ont alerté la PJ, et nous avons pris position en dix minutes. Nous avons soulevé la grille pour pouvoir passer dessous et j'ai envoyé une dizaine d'agents armés, qui ont ratissé toute la galerie.

— Et alors ?

— Ils n'ont pas retrouvé l'intrus...

Il pointa un doigt vers une grande urne de marbre, au centre de la galerie :

— Seulement sa victime.

Deux mètres derrière le socle, entre les colonnes de marbre brun, un spot sur trépied projetait sur le parquet un îlot de lumière au centre duquel gisait le cadavre nu du conservateur en chef, comme un insecte sous un microscope.

— Vous avez vu la photo, continua Fache...

En approchant, Langdon sentit un frisson lui parcourir tout le corps. Il avait rarement contemplé une scène aussi étrange.

Le cadavre livide de Saunière gisait dans la position exacte que Langdon avait découverte sur la photo. Stupéfait, l'Américain dut se répéter que c'était Saunière lui-même qui s'était allongé ainsi avant de mourir.

Il avait un corps curieusement mince et musclé pour un homme de son âge. Sur sa droite, ses vêtements soigneusement pliés formaient un petit tas, et il s'était étendu exactement au centre de la Grande Galerie, bras et jambes écartés, comme un individu soumis à un invisible supplice.